![]() |
Vulnérabilité des ressources en eau et sociétés insulaires de Basse-Casamance dans un contexte de variabilité climatique: exemple de l'accès à l'eau potable à Carabane (commune de Diembéring), Diogué et Niomoune (commune de Kafountine)par Pape Samba DIOP Université Cheikh Anta Diop - Master 2020 |
CHAPITRE VII : GESTION DE L'EAU EN MILIEU INSULAIRELe droit à l'eau potable a été reconnu, par l'Assemblée générale des Nations Unies, comme condition préalable à tous les droits fondamentaux de l'être humain20. Pour ce faire, des efforts doivent être intensifiés surtout dans les milieux les plus défavorisés en particulier les plus vulnérables. A travers un ensemble d'initiatives, l'Etat du Sénégal a entrepris des actions considérables en matière d'accès à l'eau potable notamment avec le PEPAM, le Plan d'Actions pour la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (PAGIRE), etc. Ces actions doivent être suivies afin d'en déterminer leur impact dans un contexte où la ressource en eau semble menacer. Ce qui implique une préoccupation majeure tant au niveau national qu'au niveau local. I. INITIATIVES NATIONALES D'AMELIORATION DE LA GESTION DE L'EAU EN MILIEU RURAL Les stratégies d'amélioration de la gestion du service public de l'eau en milieu rural concernent entre autres les documents institutionnels et les programmes d'actions. I.1. Le cadre institutionnel de l'eau Au Sénégal, le sous-secteur de l'hydraulique a pour vocation l'approvisionnement en eau potable des populations rurales. Ainsi, la charge est confiée à la Direction de l'Hydraulique (pour la planification et la supervision stratégique) et l'OFOR (pour la réalisation et le renouvellement des ouvrages hydrauliques, la gestion du patrimoine constitué et du service public de l'eau potable). Par conséquent, ce sous-secteur a connu plusieurs réformes ; de la loi n° 81- 13 du 04 mars 1981 portant Code de l'eau et de ses décrets d'application21, en passant par la Lettre de politique sectorielle de l'hydraulique et de l'assainissement en milieu urbain et rural en 200522, la loi portant organisation du Service Public de l'Eau Potable de l'Assainissement collectif des eaux usées domestiques (SPEPA) en 200823, la loi 2014-13 portant création OFOR24, à la Lettre de Politique Sectorielle de Développement (LPSD) 2016. Ces réformes devaient renforcer la gestion du service de l'eau en particulier en milieu rural. 20 Résolution adoptée par l'Assemblée générale le 28 juillet 2010, 64/292. Le droit de l'homme à l'eau et à l'assainissement ; UN A/RES/64/292 (2010). 23 http://www.pseau.org/sites/default/files/fichiers/bassin fleuve senegal/loi spepa.pdf 24 104 TROISIEME PARTIE: ACCES A L'EAU ET GESTION DE LA RESSOURCE DANS LES ILES DE NIOMOUNE, DIOGUE ET CARABANE Ainsi depuis l'année 2016, la nouvelle LPSD pour le secteur de l'eau 2016-2025, incluant la GIRE s'inscrit dans un horizon décennal pour poursuivre les efforts consentis en vue de l'atteinte des cibles des ODD en matière d'eau. De plus, cette initiative marque une forme d'adaptation aux effets qui fragilisent le sous-secteur de l'eau notamment l'avancée de la mer, la salinisation de certaines nappes, etc. celle-ci marque également une véritable consolidation des acquis et dispositions de celle du PEPAM. Cependant, ces efforts consentis par les pouvoirs publics peinent à trouver leur impact ou influence dans les îles de Basse-Casamance en raison de la faiblesse des initiatives nationales menées dans cette région. C'est dans cette perspective qu'a été initié un projet d'importante envergure destinée à soulager les populations de ce milieu. I.2. Le projet d'alimentation en eau potable des iles de la Basse- Casamance Le projet d'alimentation en eau potable des îles de la Basse-Casamance est une initiative financée par la Banque Arabe pour le Développement Economique en Afrique (BADEA) et l'Etat du Sénégal, destiné à approvisionner ces dernières à travers un transfert depuis le continent (la terre ferme) pour un horizon de 40ans. L'objectif était de réaliser des batteries de forages dans les parties continentales (champs captant), des châteaux d'eau en béton armé pour le stockage, la pose et fourniture des réseaux de canalisation pour l'alimentation en eau potable de ces milieux insulaires ainsi que les villages traversés par les conduites. Au préalable, une étude d'avant-projet détaillée a été réalisée afin d'identifier et d'analyser les composantes du milieu physico-humain. Il en est ressorti une subdivision de la zone d'influence du projet en six Systèmes d'Alimentation en Eau Potable (SAEP) répartie dans les trois départements de la région de Ziguinchor25. Chaque SAEP couvrira une zone géographique bien définie (Ex : SAEP5 couvrira les îles localisées dans la Commune de Diembéring, SAEP2 ; les îles de Couba, Hilol, Mantaté, Coumbaloulou, SAEP1 pour le reste des îles de la Commune de Kafountine y compris certaines localités, etc.). De plus, chaque SAEP comprendra des forages, un château d'eau, un refoulement entre les forages et le château d'eau, et un réseau de distribution en plus des bornes fontaines et/ou des branchements privés. Les forages et château seront localisés en terre ferme en fonction des sites ciblés lors des études hydrogéologiques réalisées. Cette étude avait déjà identifié les potentiels des nappes d'eau captées et leur qualité afin d'assurer la 25 En plus de l'ensemble des îles de la Basse-Casamance, le projet couvrira certaines localités de la région de Ziguinchor notamment Kafountine, Abéné, Diana... (département de Bignona), Bandial, Etama, Kaléane ... (département de Ziguinchor), Kagnout, Pointe St-Georges, Nikine ... (département d'Oussouye). 105 TROISIEME PARTIE: ACCES A L'EAU ET GESTION DE LA RESSOURCE DANS LES ILES DE NIOMOUNE, DIOGUE ET CARABANE desserte pendant la durée de temps considérée (OFOR, 2019). Aussi, pour M. Sadio (Responsable du projet auprès de l'OFOR), cette initiative va permettre de soulager les doléances longtemps formulées par ces populations insulaires en ce qui concerne leur mauvaise condition d'accès à la ressource. Ce sera donc un véritable progrès dans ce domaine longtemps négligé. Cependant, bien que la portée du projet ait un enjeu fondamental et assez bénéfique sur l'amélioration des conditions d'accès à l'eau potable pour ces populations longtemps défavorisées, il convient d'effectuer des appréciations sur les perspectives suivantes : V' Vu que la durée de cette initiative est fixée pour un horizon de 40 ans, qu'adviendra-t-il au-delà de la date d'échéance c'est-à-dire en 2061 ? Quelles seront les perspectives pour cet horizon ? V' Quel sera le coût du service de l'eau pour une population en grande partie démunie et n'ayant pas l'habitude de payer le service de l'eau ? V' Qu'en sera-t-il de la valorisation des initiatives locales en matière d'accès et gestion de la ressource notamment les cuves à impluvium et autres ? II. LES STRATEGIES LOCALES D'AMELIORATION DE LA GESTION DE L'EAU Dans les îles étudiées, plusieurs stratégies d'adaptations sont développées par les populations, parfois avec l'aide des ONG, pour parer à la problématique d'accès à l'eau potable. Parmi ces initiatives locales, il y a la collecte des eaux pluviales et l'installation des ouvrages de captage des eaux météoriques (les cuves à impluvium). II.1. Collecte des eaux pluviales La collecte des eaux pluviale est une stratégie développée dans toutes les îles de la Basse-Casamance. C'est une méthode de collecte très ancienne, toujours pratiquée par les populations locales, qui consiste à récupérer l'eau de la pluie au moyen des toitures en zinc servant de chutes d'eau. Cette opération est effectuée à chaque hivernage et l'eau collectée est stockée dans des bidons ou fûts pendant de longues périodes. L'objectif est de pouvoir disposer d'une eau de bonne qualité puisque les sources disponibles sont en grande partie salées. Elle demeure l'initiative locale la plus exploitée. 106 TROISIEME PARTIE: ACCES A L'EAU ET GESTION DE LA RESSOURCE DANS LES ILES DE NIOMOUNE, DIOGUE ET CARABANE II.2. Citernes de récupération des eaux de pluie Les citernes de récupération des eaux de pluie en Basse-Casamance insulaire sont des infrastructures constituées de « cuves en béton armé d'une capacité de 350m3, d'un diamètre de 15m et d'une hauteur utile de 2m, munie d'un toit en impluvium (forme orientée vers l'intérieur-technique traditionnelle des cases Diola) de 400m2 couvert de tôles en aluminium. Ce toit repose sur une charpente soutenue sur des socles en béton armé »26. Ce sont des ouvrages conçus par différents partenaires pour aider les communautés de la zone à améliorer leur condition d'accès. Ils sont localisés dans les îles de Diogué et de Niomoune. ? Au niveau de Carabane, une cuve est en cours de construction depuis 2020. Elle est financée d'après le chef de quartier par une ONG italienne. Photo 14: Cuve à impluvium en cours d'exécution dans l'île de Carabane (P. S. DIOP, 2021) ? Au niveau de Diogué, 3 cuves y étaient installées entre 2010 à nos jours. Présentement, une seule cuve reste fonctionnelle et se localise à côté du jardin des femmes. La première cuve à Diogué a été réalisée par ENDA en collaboration avec la mairie de Kafountine en 2010. 26 EAU SEINE NORMANDIE : Rapport final du projet de solidarité internationale, Construction de citernes de récupération des eaux de pluie et latrines dans les îles de Casamance. TROISIEME PARTIE: ACCES A L'EAU ET GESTION DE LA RESSOURCE DANS LES ILES DE NIOMOUNE, DIOGUE ET CARABANE Photo 15: Cuve à impluvium fonctionnelle à Diogué (P. S. DIOP, 2020) ? Au niveau de Niomoune, il existe 5 cuves réparties dans les 4 quartiers du village et la mission catholique. Ces ouvrages ont été réalisés par ENDA ACAS durant ces périodes : les cuves de Essanghol et Some (1994-1995), celles du campement (quartier Elou) et Oubak (1995-1999) et la dernière de la mission catholique sis à Some (2003-2004). Après l'installation de ces citernes, des comités de gestion constitués de la population locale, avaient été créés avec l'appui d'ENDA ACAS ; ceux-ci chargés de la gestion de ces ouvrages. Pour ce faire, des jours de puisage (au moins deux jours par semaine pendant la saison sèche) étaient organisés, et chaque concession avait un nombre de bidons qui lui était alloué moyennant un prix forfaitaire de 10frs le bidon. Ainsi, les sous collectés doivent servir à l'entretien de la citerne et à la javellisation de l'eau après puisage. Par ailleurs, avec le temps, la plupart des citernes se sont détériorées et ont nécessité par la suite des travaux de réfections pour certains. Photo 16: Cuve à impluvium disponible à Niomoune, Campement (P. S. DIOP, 2020) 107 108 TROISIEME PARTIE: ACCES A L'EAU ET GESTION DE LA RESSOURCE DANS LES ILES DE NIOMOUNE, DIOGUE ET CARABANE III. PERSPECTIVES L'avancée du biseau salé dans la plupart des points d'eau étant la principale contrainte d'accès à l'eau potable dans les milieux insulaires, il convient d'adapter des initiatives beaucoup plus productives. Dès lors, la démarche de l'ODD6.5 relatives à la GIRE apparait comme une solution durable tout en priorisant l'approche participative, inclusive et répondant à des critères de durabilité, d'efficacité et d'équité. Ainsi, l'élaboration d'ouvrages moins couteux permettra une pérennisation de la ressource. Deux principales recommandations ont été formulées dans ce travail notamment la première, par les populations enquêtées et la seconde à travers un plan idéalisé en fonction des réalités du milieu. III.1. Recommandations locales Les recommandations locales concernent les différentes suggestions émises par les populations enquêtées pour une meilleure amélioration de leurs conditions d'accès à la ressource. Au regard de ces idées, la multiplication, la rénovation et l'installation des cuves à impluvium demeurent la principale doléance des insulaires. Ainsi, pour les populations de Carabane, ayant connaissance du caractère saumâtre et salé de leurs nappes (donc non adaptée pour les forages), l'installation des cuves apparait comme la meilleure alternative. Ils considèrent que ces ouvrages ont beaucoup aidé les îles bénéficiaires. Au niveau de Diogué, c'est surtout la multiplication de ces cuves qui est la plus recommandée. Cependant, certains des populations émettaient l'hypothèse de l'installation des forages au niveau de la forêt. Quant à Niomoune, vu le nombre de cuves non fonctionnelles, une rénovation suivie d'une extension du réseau a été suggérée. III.2. Perspectives d'un plan de gestion intégrée des ressources en eau potable dans les iles de la Basse-Casamance Les perspectives énumérées ici sont destinées à faire bénéficier à tous l'accès à une eau de bonne qualité et à très faible coût. Dans des milieux fortement enclavés et sous influence marine, il convient ainsi de valoriser le potentiel existant notamment les eaux pluviales et saumâtres. III.2.1. Le principe du forage dessalinisant La mise en place d'un forage qui va capter la nappe du CT, situé à une faible profondeur et sous influence marine. Après pompage, l'eau sera distribuée à une usine de dessalement, localisée à proximité (toujours dans l'île). Cette dernière va permettre de rendre l'eau saumâtre, douce et l'acheminer au niveau d'un château d'eau implanté aux alentours afin de la rendre potable. 109 TROISIEME PARTIE: ACCES A L'EAU ET GESTION DE LA RESSOURCE DANS LES ILES DE NIOMOUNE, DIOGUE ET CARABANE Une fois potable, la ressource en eau sera desservie aux ménages à l'aide des conduits. Cette idée est le fruit d'un projet en cours d'élaboration dans l'île d'Ourong développé par des partenaires. III.2.2. Valorisation des eaux pluviales La valorisation des eaux pluviales se base sur le principe des cuves à impluvium mais cette fois-ci de manière plus amélioré. Il s'agit dans cette perspective de mettre en place un système de citernes composé d'un noeud central (le château d'eau) et de bassins satellitaires semi-enterrés. Les bassins satellitaires seront réalisés à partir d'un prototype réalisé sur la base de la morphologie des bassins de rétention (longueur et épaisseur) et des cuves à impluvium (toit et hauteur). Ces derniers au nombre de huit au minimum (pour chaque village) seront localisés tout autour des villages et interconnectés au noeud central qui se trouvera dans une zone bien dégagée. Ainsi les différents bassins serviront de collecte de la ressource et le feront transiter jusqu'au château d'eau à l'aide d'un mécanisme. |
|