5.1.2. Le non-respect des chefferies traditionnelles
Le non-respect des chefferies traditionnelles est
manifesté par le rejet des décisions qu'ils prennent lors des
litiges. Ces décisions ne sont pas toujours acceptées et les
protagonistes recourent très souvent aux instances policières et
judiciaires. Le Secrétaire Général de Sapia affirme ceci :
« dès l'instant où au village même le chef n'est
pas respecté, il peut même convoquer quelqu'un qui est du village,
et le monsieur peut ne pas venir ici ». Ainsi, le chef du village
apparait désormais comme un simple habitant dont la consultation n'est
pas une nécessité en cas de conflit. Poursuivant, le
Secrétaire Général de Sapia ajoute ceci : « nos
difficultés, c'est que les protagonistes ne nous comprennent pas. Eux
ils croient que quand on tire une conclusion d'un tribunal coutumier, on n'est
contre
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celui qui n'a pas raison ; souvent c'est comme ça
ils prennent. Sinon sur le terrain, nous on veut faire la paix entre les
habitants du village. On n'a rien à gagner, on n'a rien à perdre.
Nous on veut la paix, on veut la justice. Que la population nous comprennent,
les décisions que nous prenons, c'est pour faire la paix au niveau des
membres de la famille ».
Dans les villages intégrés, un climat de
méfiance règne entre les habitants et les autorités
villageoises qu'ils accusent de complices dans la plupart des cas. De ce fait,
l'autorité villageoise peine à faire accepter sa volonté
de préserver la cohésion sociale au sein du village.
5.1.3. La multiplication des litiges fonciers dans les
villages intégrés
5.1.3.1. Les causes des litiges fonciers
Des litiges fonciers sont observés à Sapia,
Tagoura et Zakoua avec des particularités. La figure 17 montre la
répartition des causes de litiges fonciers dans chaque village.
Source : Notre enquête, 2019
Figure 17 : Répartition des causes de litiges
fonciers dans les villages intégrés
La délimitation des parcelles (41%) et la
réclamation des parcelles cédées (33%) sont les principaux
types de litiges fonciers. Suivent la réticence des allogènes
(21%) et la vente d'un même terrain à plusieurs personnes (5%).
Le graphique 18 montre la répartition des types de litiges
fonciers à Sapia.
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Source : Notre enquête, 2019
Figure 18 : Répartition des causes de litiges
fonciers à Sapia
A Sapia, les litiges fonciers liés aux
réclamations des parcelles cédées (80%) sont de loin les
plus dominants depuis le début des lotissements privés en 2014.
Les litiges fonciers liés aux délimitations des parcelles (13%),
la vente multiple de terrain (5%) et la réticence des allogènes
(2%) représentent ensemble près du quart (20%) de ces litiges. En
effet, les enjeux économiques suscités par la vente de terrain
urbain ont favorisé la remise en cause des terres obtenus des membres de
la famille ou des proches par le jeu des relations familiales, amicales ou de
bon voisinage. Le Secrétaire Général de Sapia explicite :
« lui il m'a dit, petit frère, toi tu restes là,
voilà la limite entre toi et moi. Aujourd'hui, moi j'ai fait ma culture
vivrière, et pendant ce temps, Dieu le rappel. Ses enfants vont dire,
notre père a travaillé ici, donc notre lotissement doit prendre
en compte cette partie-là. Moi, je vais dit non, ce n'est pas normal,
c'est mon grand frère, c'est lui-même qui m'a cédé
là pour mes cultures vivrières ; Ou bien c'est moi qui lui est
cédé là pour faire ses cultures vivrières. Sinon ce
n'est pas ce que vous dites, voilà la limite entre nous. Alors à
tout moment, ce sont ces problèmes là qu'on traite ici. Les gens
réclament trop le patrimoine de leurs parents».
A Sapia, la réclamation des patrimoines fonciers
autrefois cédés est quasi permanente et est même devenu un
banal fait de société dont le règlement agace à la
limite la chefferie traditionnelle. Les revendications incessantes des
patrimoines fonciers créée une situation de tension et de
méfiance au sein des familles. Ces revendications ont également
pour corolaire un autre type de litige foncier lié à la vente des
lots situés aux limites des parcelles. Parlant de ce type de litige, le
Secrétaire Général de Sapia explicite :
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« vous, il vous a donné votre parcelle
, · votre grand frère aussi il lui a donné , ·
votre petit frère aussi il lui a donné. Chacun connait qu'en
même sa limite. Mais si vous débordez pour entrer chez Paul
, · Paul à son tour va s'opposer sur la vente des lots qui sont
à la limite récupérée ».
A Sapia, les enjeux économiques suscités par les
lotissements sont à l'origine de la multiplication des litiges fonciers.
La figure 19 montre la répartition des causes de litiges fonciers
à Tagoura.
Source : Notre enquête, 2019
Figure 19 : Répartition des causes de litiges
fonciers à Tagoura
A Tagoura, les différends sur le foncier se situent
généralement au niveau de la délimitation des parcelles
lors des opérations de lotissement (90% du total), la réclamation
des parcelles cédées (5%), la vente multiple de terrain (3%) et
la réticence des allogènes (2%). Les litiges liés aux
délimitations des parcelles naissent lorsque par inattention ou par
méconnaissance, un propriétaire terrien empiète sur
l'espace d'un autre. Ce genre de litige est généralement
réglé à l'amiable entre les deux voisins ou en envoyant
sur le terrain un `'sachant» qui rétablit les limites des parcelles
de chacun. Face aux conflits récurrents liés à la
délimitation des parcelles, il est désormais recommandé
à toute personne qui initie un lotissement, de le faire en
présence de ses voisins immédiats.
La figure 20 montre la répartition des causes de
litiges fonciers à Zakoua.
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Source : Notre enquête, 2019
Figure 20 : Répartition des causes de litiges
fonciers à Zakoua
A Zakoua, les litiges fonciers sont prioritairement
liés à la réticence des allogènes (80% du total)
vis-à-vis du lotissement des terres sur lesquelles ils exercent
l'activité agricole depuis des décennies. L'importance de ces
litiges s'explique par le fait que les autochtones de Zakoua ont reçu
d'importantes populations allogènes venus pour l'exploitation agricole
des forêts. Ces d'allogènes ont créé de vastes
plantations de cacao et de café. Vu que la ville a atteint ces parcelles
cédées, il est question de les morceler et mettre les lots
à disposition. C'est alors qu'intervient le propriétaire terrien
qui fait prévaloir son droit de propriété. Ainsi, des
conflits naissent souvent lors de la purge des droits de cultures ou lors du
partage des lots. C'est ce que traduisent les propos du chef de Zakoua : «
Nos difficultés c'est que les allogènes sont souvent
réticents. C'est la brousse tu as acheté, tu n'as pas
acheté la terre. La terre ne se vend pas. Maintenant, à partir du
moment où tu n'a plus rien sur cette terre, la terre revient au
propriétaire terrien ».
Face à la réticence des allogènes qui
exploitent les parcelles à des fins agricoles, un compromis est
trouvé afin de préserver une entente entre le propriétaire
terrien et l'allogène. « Des fois, pour éviter les
méfaits, on fait de fois à part égale. Quand vous faites
à part égale, vous êtes tous content, surtout
l'allogène. Et à partir de là, il devient maintenant,
à part entière, un membre de la famille ; quand tu as
problème, il vient à ton secours », explique le chef de
Zakoua.
Le partage des lots par consensus permet donc de maintenir de
bonnes relations entre l'allogène et son tuteur. L'allogène
manifeste toujours sa reconnaissance au propriétaire terrien car il a de
quoi assurer sa survie. Il n'a pas le sentiment qu'une injustice ait
été créée.
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