Aux detours de la voix et ses "en je"par Sylvie ROSI DETTO ROZZI Université Paul Valéry Montpellier III - Master II 2021 |
VII- 3 Le groupe au sein de la chorale :On se souvient du célèbre film des choristes, une comédie dramatique française réalisée par Christophe Barratier, sorti en 2004 L'histoire est inspirée de l'expérience de la chorale du centre Kergoat en bretagne, pionnière en matière d'éducation. 1949, un professeur de musique sans affectation, se voit contraint d'accepter un poste de surveillant. Ce nouveau poste est au sein d'un internat de rééducation pour mineur. Une rigueur de fer y est appliquée. Le nouveau surveillant, Clément Mathieu, a du mal à supporter ces méthodes. Le directeur Rachin a beaucoup de mal à faire régner l'ordre dans son établissement. Clément Mathieu va monter une chorale afin d'initier les enfants au chant et à la musique. Par le biais de la musique, il va tenter de changer et d'apporter un peu d'espoir dans le quotidien des pensionnaires de cet internat. Non seulement cela sera une grande victoire, mais il va y découvrir de vrais talents vocaux. Chacun purent s'exprimer et créer un espace créatif et émotionnel qui permit en commun de supporter les moments difficiles de la vie. « Une voix qui fournit à celui qui l'émet l'enveloppe sonore dont a manqué à l'entourer. »111 La voix, ses sonorités, ses intonations, sa musicalité jouent un rôle manifeste dans la construction identitaire des individus. La voix de l'autre, au même titre que le regard, agit comme un opérateur qui révèle le sujet à lui-même. La voix est du dedans et du dehors car il s'agit d'abord d'incorporer le son, de l'analyser et de le sentir chevillé au corps pour qu'elle devienne invocante c'est- à-dire appeler l'autre à nous entendre et à nous répondre. C'est pourquoi elle participe de la construction psychique du sujet. L'autre non seulement nous investit de son regard, mais il nous entoure et nous pénètre de sa voix. La voix de cet autre, qui nous interpelle, nous révèle progressivement l'existence de l'extériorité et, avant même que nous puissions appréhender le sens des mots. C'est l'espace de ce qui est inter-dit qui fait sens nous apportant les premières marques de reconnaissances sur ce que nous sommes. 112 Il est utile, pour comprendre le rôle structurant de la voix, d'évoquer le rôle et les manifestations du Surmoi. Cette instance psychique, qui régule le Ça, est acquise dans la prime enfance par le 111 Didier Anzieu « L'enveloppe sonore du soi » dans : Nouvelle Revue de Psychanalyse (n° 13, 1976),pp. 161180 112 Bernadette Bailleux « et dedans et dehors...la voix « 2011 Presse Universitaire de Louvain 77 biais d'une intériorisation des voix parentales. Dans ses premiers écrits, Freud explique que le Surmoi est né « de l'influence critique des parents, médiée par la voix ». Ces voix parentales précisément, qui deviennent « voix intérieures », portent en elles les référents socioculturels d'une communauté. Elles apportent un cadre à l'expressivité des affects et des pulsions de l'individu. Elles résonnent à l'intérieur du sujet, comme des autorisations ou des restrictions à cette expressivité. Le Surmoi, en un mot, c'est la Loi. Loi morale, ordre posant les limites du Bien et du Mal ; et surtout celui de faire taire la voix de la mère pour entendre notre propre voix. Et c'est d'jà la voix du père qui pourra être la médiatrice et permettre la castration vocale posant un ordre au sein du chaos pulsionnel intérieur. Sans cette instance morale, le sujet serait en prise totale avec ses pulsions, poussé par ses virulents désirs de satisfaction libidinale parfois contradictoires. La voix de l'autre, au même titre que le regard qu'il pose sur nous, s'offre donc comme un cadre structurant pour l'individu. En effet, la voix de l'autre, de même que la musique d'une manière générale se situe comme le regard chargé du désir de l'autre, qui se pose sur nous, et qui nous invite à nous envisager comme l'unique objet de son désir Par exemple, il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre quelques fans témoigner du fait qu'ils ont la sensation que la musique qu'ils affectionnent particulièrement leur donne l'impression qu'elle leur est adressée personnellement. Et cela encore s'explique très bien : elle est pour eux le signifiant du désir de l'autre, à la fois porteur de jouissance (« pour que je jouisse, Tu dois être comme cela »), mais aussi désir qui fait naître l'illusion de l'omnipotence (« C'est Toi qui a le pouvoir de me faire jouir »). Pour dire les choses simplement : la musique aurait le pouvoir de signifier à l'individu sa propre désirabilité, de lui signifier sa puissance potentielle. Ce faisant, elle offrirait au fan une position narcissique particulièrement confortable : celle où le sujet est objet de satisfaction de l'autre, bout manquant de l'autre grâce auquel seulement il pourra jouir. Lorsqu'il écoute une musique, l'individu est mis en rapport avec sa propre sentimentalité, avec ses propres affects. Une musique lyrique pourra ainsi lui permettre de manifester sa tristesse, son désespoir. Une musique plus rythmée lui permettra d'expulser les pulsions agressives qui l'animent en son sein, d'exprimer sa rage. Une musique sensuelle le mettra en contact avec ses désirs charnels. La musique possède ainsi une dimension cathartique : elle est foncièrement libératrice et constitue un formidable exutoire. 78 a) Le choeur : Le choeur vit de l'instrument le plus précieux et le plus naturel qui soit la voix humaine. Le son commence à vivre quand il est uni à d'autres sons pour créer une atmosphère. . Si la littérature et la peinture restent avec le temps, la musique est éphémère. Au moment où elle nait elle meure l'instant d'après. De même la voix s'éteint à chaque expire et se réanime à chaque inspire. Le désenchantement que l'adulte peut vivre à l'idée qu'il progresse vers son ultime soupir le pousse à habiter activement son souffle et à projeter sa voix de sorte que le sujet en souffrance passe de l'en-vie à l'en-voix. Cette-en-voix a besoin de l'imagination pour être dirigée vers l'auditoire. Ce que va encourager le chanteur à chanter pour l'auditoire c'est un sentiment de bonté, d'espérance de joie et de souffrance. Forcément touché par les émotions de la musique le chanteur est amené à exprimer ses émotions. Je parle d'une souffrance qui grâce à la musique évolue vers la paix intérieure. Donc le chanteur est amené à jouer de ses émotions qui deviennent illusion puisqu'il en joue un rôle d'interprète. Du latin de base de l'époque "illusio", "illusorius". Le mot venait de "illudere" qu'on peut traduire par "se jouer de". Le mot "illudere" vient à son tour de "ludere" et "ludus" qui signifie "jouer en acte" par opposition avec "iocus" qui se rapporte aux "jeux de mots", aux "plaisanteries". Le pluriel "ludi" sert à dénommer "les jeux" qui avaient un caractère religieux ou officiel, notamment les jeux donnés en l'honneur des morts (origine étrusque). Curieusement "ludi" est devenu "scolaire" de telle sorte que "ludi magister", mot à mot "maître des jeux", a désigné le maître d'école ! Au sens premier de "ludere", jouer s'est greffé celui de "singer, imiter par jeu", d'où "se jouer de, se faire un jeu de". Cela a donné "ludibrium", moquerie, dérision, objet de moquerie. On aura pour dérivé "alludere", "faire allusion, effleurer de manière badine", ou "eludere" exclure du jeu. En 1907 Freud montre que la création artistique a des liens avec le rêve éveillé : l'inspiration peut surgir comme un rêve que le créateur fait les yeux ouverts. L'adulte créatif se rapproche de l'enfant qui joue et qui se construit un monde fantastique qu'il peuple avec ses productions variée de son imagination. Il y a bien sur illusion idéaliste de celui qui croit détenir la vérité et qui se croit invulnérable omnipotent et omniscient. C'est cette mentalité fanatique que Freud définira comme une régression infantile n'omnipotence par trois caractéristiques : narcissique, toute puissance et projection qui est destructrice. Mais revenons à l'illusion artistique bienfaisante telle que la décrit Freud. Freud se défiait de l'art musical car il n'y trouver pas de contenu significatif, quantifiable ni visu able car on ne 79 peut en effet trouver d'image son. Pourtant la voix de la mère est primordiale puisqu'il l'entend avant toute chose. Il la reconnait avant qu'il ne reconnaisse son visage. La voix de la mère est musique par son contour mélodique qu'elle insuffle à ses paroles. Cette musique constitue une multitude d'impressions sensibles en de ça du discours intelligible et rationnel. Ces sonorités marquent le corps de l'enfant dont il gardera les traces affectives toute sa vie. Si Winnicott pas plus que Freud n'a parlé spécifiquement de l'illusion musicale, il intègre les productions sonores de l'enfant dans les « phénomènes transitionnels ». Il parle notamment des gazouillis, du baby talk et du répertoire mélodique au moment de s'endormir qui interviennent dans l'aire intermédiaire en tant que phénomène transitionnels ». Ces mélodies et ritournelles il les retrouvera quand il sera seul pour palier à la séparation et à l'absence de la mère. Pour les grecs la musique était dans le haut de la hiérarchie des arts car elle se rapporte au premier registre symbolique dans lequel s'incarne la vie psychique. Si les arts plastiques sont des arts de l'espace, c'est-à-dire de la représentation visuelle, la musique est l'art du temps, c'est-à-dire de la conscience et de la vie intérieure. Elle conduit à la subjectivité du fait qu'elle est virtuelle, elle fait le lien entre un passé que l'on se remémore et subissons et un avenir qu'on invente et recrée. Puisqu'elle virtuelle, elle est illusion détachée du temps réel. Cette illusion nous permet de lutter contre l'angoisse de la mort. Le soupir en musique n'est jamais le dernier, il est un silence qui traverse un espace musicale. Ce temps musicale est vécu d'amour, de haine, de nostalgie, de présence et séparation, mais elle est toujours promesse d'union et de paix avec une impression d'accompli. Elle rappelle l'idéal maternel, sécurisant et permet de palier aux frustrations désillusions et conflits internes que l'on peut traverser sans dommage. Bien qu'étant illusion, la musique ne peut rester abstraite elle a besoin du corps pour s'exprimer. Elle permet donc au corps d'être transcendé et donne au musicien l'illusion que la mort ne compte plus et de vivre un moment d'éternité. Si le rêve est une illusion individuelle, le groupe peut avoir un rêve collectif. Ainsi toute situation de groupe serait vécue comme réalisation imaginaire de désir. Il a une sorte d'euphorie fusionnelle où tous les membres se sentent bien ensemble. Elle peut donc apporter un mieux à un sentiment d'insécurité développant la solidarité et la fraternité. La solitude est donc provisoirement exorcisée au sein de la chaleur communicative d'un groupe. Le groupe suscite un comportement régressif permettant de tenter de faire un retour à la fusion avec le bon objet des premiers temps de la vie. En ce sens il devient objet transitionnel rejouant l'image de la mère toute puissante. Le leader ou le chef de groupe évoque le père. En tant que père il instaure 80 la loi des interdits qui marque le renoncement au rêve et de l'acceptation de la réalité telle qu'elle est avec ses frustrations et ses déceptions inévitables sans lesquels le groupe serait menacé de voguer dans de dangereuses chimères. On le voit notamment dans les sectes où le leader devient despotique et favorise l'idéologie maternante conduisant les adeptes au culte de la personnalité et à n'avoir plus aucun libre arbitre. Donc il pourrait exister un aspect pervers de l'illusion idéologique avec ses dérives. Il est indispensable que chacun dans le groupe ait conscience de ses propres tendances hostiles qui aide à mieux tolérer autrui ; Freud se défiait de l'illusion religieuse et l'illusion idéologique lorsqu'elles se prennent pour la vérité absolue, mais il considérait l'illusion artistique comme illusion pure. Il s'agit de « jouer » avec des objets culturels sans risque de collusion avec la réalité. La partition musicale, est un gage de cohésion et d'entente, car plus l'orchestre ou la chorale est uni plus belle sera la production. La communication doit être intense, et le rêve d'harmonie s'incarne dans la beauté de l'oeuvre exécutée. On pourrait dire que l'accord sonore est une métaphore de l'accord affectif. J'en ai fait l'expérience en dirigeant ma chorale au combien la production variait en fonction de l'état effectif de chacun. Si le groupe était en forme et uni nous avions un franc succès qui s'ensuivait de grandes embrassades et de reconnaissance les uns vis-à-vis des autres. La musique sauve le groupe d'un dogmatisme idéologique du chef qui se doit d'être fidèle à l'interprétation de l'oeuvre. Au sein de la chorale toute les voix concourent à l'harmonie de l'ensemble choral synthèse d'une grande famille. Michel Serres déclare que « le choeur est le modèle réduit de la société idéale ».113 Le désir d'appartenance est comblé tout en renforçant le sentiment d'individualité car chacun a une place bien définie et un rôle à l'intérieur d'une entité projetée comme une famille idéale de sorte que les symboliques maternelle et paternelle sont actifs dans l'inconscient du groupe. b) L'identification au chef : « Le chef de choeur comme le chef d'orchestre est une figure paternelle qui, loin de séparer fantasmatiquement l'enfant de sa mère, l'y ramène pour une alliance heureuse et comblée. Il y a là sur le plan culturel, des occasions extraordinaires pour les musiciens et les chanteurs 113 Michel Serres, Interview par Claude Maupommé, France-Musique, le 28-03-81. 81 d'abord, pour le public ensuite, de vivre ensemble cette plongée bienfaitrice dans le sein de la mère bonne nourricière, en l'occurrence la musique avec le sentiment océanique qui l'accompagne : expérience hors espace et du temps - c'est un rêve éveillé dirigé. » 114 Le chef a un rôle primordial dans la cohésion du groupe car il donne au groupe une consistance particulière dont il est le gardien. Il incarne le chef du clan Surmoïque tout puissant, il fait surgir la voix et affects des autres au profit d'un projet commun. Non seulement il dirige avec sa voix mais aussi avec ses mains. André Leroy-Gourhan pour qui la voix et la main sont étroitement liées avec le langage et la sensibilité esthétique, a attiré l'attention sur le rapport entre oralité et manualité avec la pulsion d'emprise comparable à ce que dit Freud des appétits cannibaliques et la faim.115 Freud dit que « le groupe c'est l'identification des membres au chef et entre eux ».116 L'identification au chef du groupe choeur se fait par le biais d'Eros mais il y a renoncement à l'amour sexuel pour le chef non dans une perspectif d'identification secondaire de dépassement de l'OEdipe, mais par un mécanisme d'identification primaire, primaire car le chef de choeur encourage et facilite les retrouvailles amoureuses avec la musique symbole maternel et cette identification préserve un amour idéalisé, purifié, proche du narcissisme. » Narcissique parce qu'on aime l'objet pour la perfection que l'on souhaite à son propre Moi et cherche à satisfaire son propre narcissisme. Le chef ne peut être un hypnotiseur tel que le définit Freud 117 car le groupe a la tâche d'exécuter une partition de musique qu'elle soit instrumentale ou vocale dans des règles rigoureuses, devant la présence médiatisante du public qui participe au narcissisme de chacun donnant du poids à la réalité et à l'objectivité. Freud parle de l'imago du chef qui assure le lien groupal. Le groupe rêve d'être sous la dépendance d'un chef juste, intelligent, fort et bon qui assure les responsabilités.118 Le chef de choeur est donc une figure paternelle qui au lieu de séparer l'enfant de sa mère l'y ramène pour une alliance heureuse et comblée. Le groupe n'a pas d'identité sexuelle il est prégénital car la musique est androgyne. Nous nous retrouvons dans un espace où le groupe lui-même est un 114 Marie France Castarède « l'enveloppe vocale » Ed Eres Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2012 https://doi.org/10.3917/pcp.007.0017 115 André Lorou Gourhan « le geste et la parole » émission https://www.youtube.com/watch?v=UT3sN3Df2j4 116 Sigmund Freud, « Psychologie des masses et analyse du moi », chapitre 7, Paris, PUF, Coll. Quadrige, 2010. 117 Sigmund Freud. « Pour introduire le narcissisme » 1914 118 Sigmund Freud., « Psychologie des masses et analyse du moi », 1921, Nouv. trad. fr. in : Essais de Psychanalyse, Payot, 1981, p. 154 82 objet transitionnel remplaçant le sein maternel, de sorte que le groupe et la musique sont des mères de substitution. c) L'idéalisation et la sublimation : La sublimation est la transposition du but pulsionnel. Il ne s'agit cependant pas d'une renonciation à une satisfaction, laquelle sera simplement trouvée autrement . La sublimation ne nécessite pas le refoulement selon Freud qui a conceptualisé le terme sublimation en 1905 pour rendre compte d'un type particulier d'activité humaine (la création littéraire, artistique et intellectuelle) sans rapport apparent avec la sexualité mais tirant sa force de la pulsion sexuelle en tant qu'elle se déplace vers un but non sexuel en investissant des objets socialement valorisés. La sublimation est donc un destin des pulsions tandis que l'idéalisation s'attache à l'objet. Sommes toutes on pourrait dire qu'avec la musique l'énergie du Moi serait désexualisé car il y a renoncement aux buts purement sexuels, au profit d'une dimension narcissique. Le chant s'accompagne toujours d'un plaisir érotique. Même s'il y a une participation du corps érotisée par la voix en la pulsion invocante , il a sublimation par la musique, ce qui permet aussi d'éviter tout dérive vers la jouissance. En effet les phénomènes vocaux sont sublimés mais non désexualisés à cause de la participation du corps de sorte que la libido corporelle serait réinvestie par la libido narcissique. La sublimation va dans le sens de la réparation ou de l'instauration de l'objet total, objet total (enfant individualisé différencié totalement de la mère) qui est en relation avec le moi total ((bon objet ayant survécu aux attaques et aux dangers qui l'ont menacé) pendant les premiers mois de la vie pulsionnelle. La sublimation serait le triomphe des pulsions de vie sur les pulsions de mort. Il m'est arrivé en parlant d'effet sublimatoire de vivre au sein de groupe de quelque chose qui nous laissait un peu en suspens avec une impression d'harmonie totale et dans cette situation, quelque chose dans le groupe venait se réparer. Concernant l'idéalisation elle permet d'expulser le mauvais à l'extérieur (position paranoïde et schizoïde). La musique constitue une défense contre le bruit persécuteur. Le clivage grâce auquel s'établit l'illusion groupale tient une place fondamentale dans le vécu musical ; Il demeure présent et actif dans notre perception : entre silence et bruit, bruit et musique, bonne 83 et mauvaise musique, juste ou faux, autant de catégorie subjectives qui opèrent dans nos choix, nos refus, attraits et nos répulsions.
Le groupe chorale est un corps il ne forme qu'un seul choeur. Mais cette idée de corps peut sembler être une menace pour l'individu, car l'être humain n'existe que comme sujet. Dans le groupe le sujet a peur d'être noyé dans la masse et risque de se sentir menacé dans son unité personnelle. En général c'est l'anonymat qui donne une impression de se perdre et de se décomposer en les autres personnes présentes. Le groupe risque de représenter un miroir qui 84 se brise qui renvoie une image défigurée. Un groupe qui a réussi est un groupe qui est parvenu à supprimer cette image d'un corps morcelé et donc restaurer un corps propre. La voix a cette particularité qu'on est dans une chorale obligé de l'entendre pour s'accorder avec les autres. On est donc un dans tout. Cet accord vient à nous rappeler la fonction vitale du holding dans le maintien physique et moral de l'enfant. Le rythme et le mouvement musical nous porte et nous transporte dans un espace de totale liberté dans une mobilité du corps tantôt active tantôt passive évoquant les soins du nourrisson. Le handling traduit la manipulation plaisir actif ou passif dans le jeu musical de sorte que Ch. Bollas 1989119 a proposé le concept d'objet transformationnel pour évoquer les toutes premières relations de soins prodigué par l'environnement et en l'occurrence la musique en groupe. Le jeu musical permet de répéter et de s'auto-stimuler de s'auto-calmer de se bercer au son de la musique qu'elle soit vocale ou instrumentale. Le sujet devient acteur du rôle de la mère pour lui-même et pour les autres. Françoise Dolto120 utilise de terme de mameté et bien la musique permet de se « mameter ». Si la musique nous porte le « holding »elle nous émeut voir même nous manipule le « handling »affectivement, corporellement, psycho physiologiquement nous permettant de rejouer activement nos ressentis. Elle emprunte ainsi des matériaux aux traces auditives d'avant l'usage de la parole et aux traces sensorimotrices d'avant la marche. On entend par orature l'ensemble des genres dont le mode d'expression est la voix, et qui s'entrepose dans la mémoire, à la fois des narrateurs et des auditeurs. Elle sollicite principalement l'ouïe, le sens global, celui de l'invisible. Tout d'abord, on dit qu'elle constitue un art temporel, c'est-à-dire qu'elle s'inscrit, comme son nom l'indique, dans le temps. Elle reste un événement unique et irréversible. En effet, elle requiert des conditions particulières : la présence charnelle du récitant et de son assistance, le silence, l'intérêt et il faut également que l'orateur se sente d'humeur à pratiquer son art. Elle est sans retour, parce qu'on pourrait la comparer à une émission télévisée en direct. Ainsi, si le conteur se trompe, il aura la possibilité de se corriger, certes, mais son public se souviendra néanmoins de son erreur. On ne peut revenir en arrière et l'auditeur ne peut ajourner l'histoire. Il faut la saisir quand elle se déroule, car peut-être l'occasion ne se représentera-t-elle plus. Enfin, l'orature est un art de la sociabilité, 119Christopher Bollas ; Danielle Goldstein « L'objet transformationnel » (1989), trad. Dans : Revue française de psychanalyse (vol. 53, n° 4, 1989) Article en page(s) : pp. 1181-1199 (19 pages) 120 Françoise .Dolto « L'image inconsciente du corps »Ed. Du Seuil 85 car elle possède un caractère public et collectif. Elle consiste en la relation entre un émetteur et un récepteur. 86 |
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