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Dématérialisation du service public. étude du lien entre médiation numérique et l’action sociale.


par Lauriane Debaque
Université Toulouse Jean Jaurès - Master 1 Sciences de l'Education et de la Formation 2019
  

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1.2.L'action sociale aujourd'hui : l'accompagnement entre injonction à l'autonomie et levier d'empowerment

Au cours des années 70, le travail social reconnu, la crise économique dû au choc pétrolier de 1973 a soumis les pratiques sociales à une remise en question (Le Bossé, Dufort, & Vandette, 2004, p. 91). Il a été question, comme l'évoque Paul (2016, p. 25), de « repenser le fonctionnement d'un Etat-providence qui, par sa logique distributive, a conduit à l'assistanat des couches de population répertoriées, catégorisées ». L'assistance n'est plus de rigueur et laisser place à l'accompagnement.

Qu'entendons-nous par accompagnement ? L'étymologie du verbe accompagner : accum-pagnis, ac (vers), cum (avec), pagnis (pain) renvoie à la notion de partage. A partir de cette étymologie, Paul (2012) nous donne la définition suivante : « Se joindre à quelqu'un / pour aller où il va / en même temps que lui ».

Dans leur ouvrage, Ion & Ravon (2005, p. 81) exposent l'accompagnement comme une démarche ne pouvant être construite sans le consentement de l'usager. Ils précisent qu' « accompagner, c'est faire un bout de chemin avec l'autre, et non pour ou malgré lui ; lequel est considéré comme une personne à part entière, un acteur plutôt qu'un patient. ». Ainsi, nous comprenons que l'accompagnement s'exerce au sein d'une relation et qu'il est un processus ou l'Autre n'est pas perçu comme dépourvu ou insuffisant. Cette définition est

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confirmée et complétée au sein du Dictionnaire de l'enseignement et de l'éducation spécialisée où « l'accompagnement mise sur les capacités des personnes à développer leur autonomie, [il] doit permettre l'émergence du désir, moteur actif de la démarche à entreprendre et permettre à l'autre de trouver des moyens de réaliser ses objectifs individuels. » (Fuster & Jeanne, 2004). Cela nous précise que l'accompagné est acteur de son projet.

Paul (2016, p. 25) précise que nous serions donc passé « d'une logique de réparation, centrée sur les manques les déficiences, les retards, [...] à une logique d'optimisation, valorisant les capacités et les ressources ». L'accompagnement devient progressivement un phénomène social qui gagne tous les secteurs professionnels. Ce terme est introduit dans le vocabulaire professionnel et vient peu à peu à être utilisé par les pouvoirs publics. Elle ajoute que : « l'accompagnement est une commande sociale, c'est souligner qu'il s'inscrit dans une nouvelle logique sociale, les politiques sociales sont maintenant des politiques d'accompagnement qui s'appuient sur une nouvelle norme, l'autonomie.» (Paul, 2011, p. 61). L'autonomie est commande sociale qui se déploie à travers une relation contractuelle ou l'implication est recherchée : les acteurs sont partenaires. Les politiques d'insertion mettent en évidence cette nouvelle norme et instaure une forme d'injonction à l'autonomie (Duvoux, 2009).

Des dispositifs d'accompagnement se mettent en place. Prenons l'exemple du Revenu Minimum d'Insertion (RMI), le contrat d'insertion a pour objectif d'impliquer l'individu dans sa démarche de réinsertion professionnelle et sociale. Toute personne demandant cette allocation s'engage à participer aux actions nécessaires à son insertion sociale ou professionnelle. La notion d'autonomie devient alors paradoxale : « les personnes sont invitées à se débarrasser des liens de dépendance pouvant constituer une entrave à leur autonomie, mais cet appel à l'agir et au rôle d'acteur peut rendre à son tour dépendant et limiter l'autonomie des personnes peu prêtes à cette démarche. » (Alberola & Dubéchot, 2012, p. 147). Liée contractuellement à un accompagnement, cette injonction à l'autonomie est devenue paradoxale. L'individu peut devenir dépendant de cet accompagnement et avoir des difficultés à acquérir le niveau d'autonomie recherchée.

Pour les politiques publiques, l'autonomie à acquérir est proche de ce que l'on appelle l'autonomie sociale qui « correspond à l'idée de bénéficier d'un certain confort matériel de base notamment en termes de logement, de santé... » (Chauffaut & David, 2003). Néanmoins, dans la société, l'autonomie est plus généralement perçue comment une « notion de liberté

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individuelle » (2003). Paul (2011, p. 61) défini l'autonomie comme : « l'aptitude d'une personne à s'intégrer de manière individuelle dans la société par opposition à la situation d'assistance de tiers et des pouvoirs publics [...]. Le terme d'autonomie correspond ici à la capacité à s'autogérer. » Le terme autonomie renvoie à la capacité de l'individu de faire des choix dans sa vie. « L'objectif est alors de permettre aux personnes de résoudre par eux-mêmes leurs propres problèmes, mais en les accompagnant. Ainsi accompagner vise à permettre la prise en charge de soi par soi. » (Paul, 2012). En ce sens, elle s'approche de la notion de pouvoir d'agir.

Les commandes sociales et sous sa forme injonctive rendent la notion d'autonomie peu à peu négative. Elle est progressivement négligée et donne place au pouvoir d'agir, à la capacité d'agir qui renvoient à la notion anglosaxonne d'empowerment, qui, quant à elle, a une image plus positive. « Le contexte d'origine de [l'empowerment] est à situer dans le cadre de l'action de mobilisation collective et des mouvements sociaux aux États-Unis dans les années 1960-1970, en particulier dans les luttes, fondées sur des revendications citoyennes, contre la discrimination raciale et pour les droits des femmes... » (Rhéaume, 2019, pp. 127-129). C'est au cours des années 2000 que cette notion fait son apparition en France.

« L'empowerment articule deux dimensions : celle du pouvoir qui constituent la racine du mot et celle du processus d'apprentissage pour y accéder. » (Bacqué & Biewener, 2015, p. 16). Au regard de ces deux dimensions, la traduction en français est complexe. « Les termes autonomisation, émancipation ou capacitation s'ils indiquent bien un processus ne font cependant pas référence à la notion de pouvoir qui constituent la racine du mot, les expressions « pouvoir d'agir » où « pouvoir d'action » ne rendre quant à elle pas compte du processus pour arriver à ce résultat et de sa dimension collective » (Bacqué & Biewener, p. 17).

En effet, l'autonomisation peut être définie comme un processus qui mène à acquérir plus d'autonomie. Bacqué et Biewener (Bacqué & Biewener, p. 307) nous précise : « le projet néolibéral d'autonomisation vise à produire un individu entrepreneur, consommateur, sujet efficace et responsable, agissant selon un rationalité présumée universelle du calcul coût/bénéfice. » Nous comprenons ici tout le sens de la logique d'optimisation de l'Etat évoquée par Paul. Néanmoins, bien que l'empowerment a une visée de transformation de l'individu, ce ne sont pas les mêmes individus qu'il s'agit et ce ne sont pas les même subjectivités qui sont mises au travail. » (Bacqué & Biewener)

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L'émancipation, quant à elle, renvoie à une idée de liberté. Il s'agit de couper avec la dépendance, de s'affranchir d'une autorité (CNRTL, 2020). Cette définition est marquée par une idée d'éloignement : il ne s'agit pas là de participer au fonctionnement de la société, elle désigne une démarche d'affranchissement personnelle ou collective (Lee, 1994). La capacitation, « désigne la capacité qu'on les gens de gagner du pouvoir d'agir sur leur vie » (GIS M@ARSOUIN, 2017). Cette définition peut donner l'idée que certaines personnes seraient capables et d'autres non.

Le pouvoir d'agir « passe tant par la capacité à participer à vie sociale et politique, que par le fait de saisir des opportunités pour se former, augmenter son pouvoir d'achat, s'insérer professionnellement » (GIS M@ARSOUIN). Le pouvoir d'agir « passe tant par la capacité à participer à vie sociale et politique, que par le fait de saisir des opportunités pour se former, augmenter son pouvoir d'achat, s'insérer professionnellement » (2017). Dans ces déclinaisons, nous constatons l'absence de la notion de processus.

L'empowerment peut être défini comme un processus d'apprentissage, d'évolution permettant de gagner en autonomie, en capacité, en connaissances, en compétences, .... Ce gain offrant la possibilité de participer au développement et au fonctionnement de la société.

L'empowerment, par son image positive, devient progressivement l'objectif recherché par l'accompagnement social. Le décret n° 2017-877 du 6 mai 2017 (Legifrance, 2017) relatif à la définition du travail social met en évidence cette évolution en précisant que :

Le travail social vise à permettre l'accès des personnes à l'ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d'émancipation, d'accès à l'autonomie, de protection et de participation des personnes, le travail social f...] participe au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes.

Ce décret clarifie la loi du 2 janvier 2002. Il insiste sur la notion d'autonomie et met en avant la visée d'émancipation : la personne est considérée comme sujet actif. Nous comprenons que les travailleurs sociaux ont pour mission d'accompagner les personnes vers une autonomisation. En ce sens, ce décret nous amène à comprendre que le travail social agit en faveur de l'empowerment des citoyens.

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Selon le Haut Conseil en Travail Social (2018) , il peut se décliner selon trois aspects :

- « Le pouvoir de » : développement individuel des compétences personnelles (confiance en soi, estime de soi, sentiment d'utilité, sens critique...)

- « Le pouvoir avec » : capacité à agir avec les autres, et sur son environnement

- « Le pouvoir sur » : pouvoir du citoyen à agir sur les politiques sociales, voire participer à leur transformation

Ces aspects apparaissent comme différents niveaux. Le niveau micro avec le pouvoir de qui concerne l'individu, le niveau méso avec le pouvoir avec comprenant l'individu et son environnement et le niveau macro avec le pouvoir sur qui concerne l'individu, son environnement et l'ensemble de la société. Nous pouvons donc dire qu'il s'agit de gagner en autonomie, en confiance en soi avant de pouvoir agir autour de soi et avec son environnement ce qui, par la suite, permettrait d'agir collectivement sur la société.

Dans leur article, Le Bossé, Dufort et Vandette (2004, p. 96), construise une grille d'évaluation de l'empowerment d'après plusieurs dimensions dont la motivation à agir, le sens du contrôle perçu et le sentiment d'efficacité personnel. Ces critères évaluables nous interpellent sur le fait que l'empowerment semble évaluable, il y a donc des degré d'empowerment. Cela nous renvoie également au différents niveaux précités. De plus, la construction de cette grille d'évaluation nous fait remarquer que l'empowerment dépend de la motivation à agir, du sentiment d'efficacité personnel... Il convient de dire que les prérequis à un plus grand empowerment sont la confiance en soi, l'estime de soi, la motivation... au même titre que le consentement est un prérequis à l'accompagnement. Bacqué & Biewener (2015, p. 117) nous précise que l'empowerment serait « un processus socio-politique, articulant l'acquisition d'une conscience de soi, d'une estime de soi d'une conscience critique et le développement de capacités individuelles avec l'engagement, la mobilisation et l'action collective pour une transformation sociale. » Il s'agit d'acquérir, dans un premier temps, une capacité et une volonté à agir pour s'extraire des lien de dépendance et aller vers une autonomisation et une participation sociétale.

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Synthèse du chapitre 1

Lors de la période préindustrielle, l'action sociale relevait de la charité et du bénévolat. L'assistance étant de rigueur. L'individu dans le besoin était perçu « comme objet à réparer, problème à résoudre, dossier à traiter » (Paul, 2004) : il était assisté, pris en charge. La révolution industrielle et la période d'après-guerre ont accru le développement de l'action sociale : il est question de répondre à de nouveaux besoins. C'est un tournant dans le processus de professionnalisation de l'action sociale. Des lois sont venues la reconnaître, l'encadrer et la clarifier. Les pratiques ont évolué. L'individu est progressivement perçu comme « sujet actif, autonome et responsable » : l'accompagnement est le nouveau mot d'ordre. Les politiques sociales s'organisent : l'autonomie est l'objectif recherché ; les dispositifs d'accompagnement se multiplient : il est alors question d'injonction à l'autonomie. Perçue négativement, la notion d'autonomie laisse place à celle d'empowerment. Les travailleurs sociaux ont pour mission d'accompagner le processus d'évolution permettant de gagner en autonomie, en connaissances, en compétences et d'avoir la capacité d'agir au sein et pour la société.

Plus récemment, nous avons connu une nouvelle révolution : la révolution numérique. Cette dernière bouscule les pratiques personnelles comme professionnelles. Nous allons voir comment cette révolution vient agiter l'action sociale et peut freiner l'empowerment des citoyens.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon