1.2.L'action sociale aujourd'hui : l'accompagnement
entre injonction à l'autonomie et levier d'empowerment
Au cours des années 70, le travail social reconnu, la
crise économique dû au choc pétrolier de 1973 a soumis les
pratiques sociales à une remise en question (Le Bossé, Dufort,
& Vandette, 2004, p. 91). Il a été question, comme
l'évoque Paul (2016, p. 25), de « repenser le
fonctionnement d'un Etat-providence qui, par sa logique distributive, a conduit
à l'assistanat des couches de population répertoriées,
catégorisées ». L'assistance n'est plus de rigueur
et laisser place à l'accompagnement.
Qu'entendons-nous par accompagnement ? L'étymologie du
verbe accompagner : accum-pagnis, ac (vers), cum (avec), pagnis (pain)
renvoie à la notion de partage. A partir de cette
étymologie, Paul (2012) nous donne la définition suivante :
« Se joindre à quelqu'un / pour aller où il va / en
même temps que lui ».
Dans leur ouvrage, Ion & Ravon (2005, p. 81) exposent
l'accompagnement comme une démarche ne pouvant être construite
sans le consentement de l'usager. Ils précisent qu' «
accompagner, c'est faire un bout de chemin avec l'autre, et non pour ou
malgré lui ; lequel est considéré comme une personne
à part entière, un acteur plutôt
qu'un patient. ». Ainsi, nous comprenons que
l'accompagnement s'exerce au sein d'une relation et qu'il est un processus ou
l'Autre n'est pas perçu comme dépourvu ou insuffisant. Cette
définition est
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confirmée et complétée au sein du
Dictionnaire de l'enseignement et de l'éducation
spécialisée où « l'accompagnement mise sur
les capacités des personnes à développer leur autonomie,
[il] doit permettre l'émergence du désir, moteur actif de la
démarche à entreprendre et permettre à l'autre de
trouver des moyens de réaliser ses objectifs individuels. » (Fuster
& Jeanne, 2004). Cela nous précise que l'accompagné est
acteur de son projet.
Paul (2016, p. 25) précise que nous serions donc
passé « d'une logique de réparation, centrée sur les
manques les déficiences, les retards, [...] à une logique
d'optimisation, valorisant les capacités et les ressources ».
L'accompagnement devient progressivement un phénomène social
qui gagne tous les secteurs professionnels. Ce terme est introduit dans le
vocabulaire professionnel et vient peu à peu à être
utilisé par les pouvoirs publics. Elle ajoute que : «
l'accompagnement est une commande sociale, c'est souligner
qu'il s'inscrit dans une nouvelle logique sociale, les politiques sociales sont
maintenant des politiques d'accompagnement qui s'appuient sur une
nouvelle norme, l'autonomie.» (Paul, 2011, p. 61).
L'autonomie est commande sociale qui se déploie à travers
une relation contractuelle ou l'implication est recherchée :
les acteurs sont partenaires. Les politiques d'insertion mettent en
évidence cette nouvelle norme et instaure une forme d'injonction
à l'autonomie (Duvoux, 2009).
Des dispositifs d'accompagnement se mettent en place. Prenons
l'exemple du Revenu Minimum d'Insertion (RMI), le contrat d'insertion a pour
objectif d'impliquer l'individu dans sa démarche de réinsertion
professionnelle et sociale. Toute personne demandant cette allocation s'engage
à participer aux actions nécessaires à son insertion
sociale ou professionnelle. La notion d'autonomie devient alors paradoxale :
« les personnes sont invitées à se débarrasser des
liens de dépendance pouvant constituer une entrave à leur
autonomie, mais cet appel à l'agir et au rôle d'acteur peut rendre
à son tour dépendant et limiter l'autonomie des personnes peu
prêtes à cette démarche. » (Alberola &
Dubéchot, 2012, p. 147). Liée contractuellement à
un accompagnement, cette injonction à l'autonomie est devenue
paradoxale. L'individu peut devenir dépendant de cet
accompagnement et avoir des difficultés à acquérir le
niveau d'autonomie recherchée.
Pour les politiques publiques, l'autonomie à
acquérir est proche de ce que l'on appelle l'autonomie sociale qui
« correspond à l'idée de bénéficier d'un
certain confort matériel de base notamment en termes de logement, de
santé... » (Chauffaut & David, 2003). Néanmoins, dans la
société, l'autonomie est plus généralement
perçue comment une « notion de liberté
10
individuelle » (2003). Paul (2011, p.
61) défini l'autonomie comme : « l'aptitude d'une personne à
s'intégrer de manière individuelle dans la société
par opposition à la situation d'assistance de tiers et des pouvoirs
publics [...]. Le terme d'autonomie correspond ici à la capacité
à s'autogérer. » Le terme autonomie renvoie
à la capacité de l'individu de faire des choix dans sa vie.
« L'objectif est alors de permettre aux personnes de
résoudre par eux-mêmes leurs propres problèmes, mais en les
accompagnant. Ainsi accompagner vise à permettre la prise en charge de
soi par soi. » (Paul, 2012). En ce sens, elle s'approche de la notion de
pouvoir d'agir.
Les commandes sociales et sous sa forme injonctive rendent
la notion d'autonomie peu à peu négative. Elle
est progressivement négligée et donne place au pouvoir
d'agir, à la capacité d'agir qui renvoient à la notion
anglosaxonne d'empowerment, qui, quant à elle, a une image plus
positive. « Le contexte d'origine de [l'empowerment] est à situer
dans le cadre de l'action de mobilisation collective et des mouvements sociaux
aux États-Unis dans les années 1960-1970, en particulier dans les
luttes, fondées sur des revendications citoyennes, contre la
discrimination raciale et pour les droits des femmes... » (Rhéaume,
2019, pp. 127-129). C'est au cours des années 2000 que cette notion fait
son apparition en France.
« L'empowerment articule deux dimensions : celle
du pouvoir qui constituent la racine du mot et celle du processus
d'apprentissage pour y accéder. » (Bacqué &
Biewener, 2015, p. 16). Au regard de ces deux dimensions, la traduction en
français est complexe. « Les termes autonomisation,
émancipation ou capacitation s'ils
indiquent bien un processus ne font cependant pas
référence à la notion de pouvoir qui constituent la racine
du mot, les expressions « pouvoir d'agir »
où « pouvoir d'action » ne rendre
quant à elle pas compte du processus pour arriver à ce
résultat et de sa dimension collective » (Bacqué &
Biewener, p. 17).
En effet, l'autonomisation peut être
définie comme un processus qui mène à acquérir plus
d'autonomie. Bacqué et Biewener (Bacqué & Biewener, p. 307)
nous précise : « le projet néolibéral
d'autonomisation vise à produire un individu entrepreneur, consommateur,
sujet efficace et responsable, agissant selon un rationalité
présumée universelle du calcul coût/bénéfice.
» Nous comprenons ici tout le sens de la logique d'optimisation
de l'Etat évoquée par Paul. Néanmoins, bien que
l'empowerment a une visée de transformation de l'individu, ce ne sont
pas les mêmes individus qu'il s'agit et ce ne sont pas les même
subjectivités qui sont mises au travail. » (Bacqué &
Biewener)
11
L'émancipation, quant à elle, renvoie
à une idée de liberté. Il s'agit de couper avec la
dépendance, de s'affranchir d'une autorité (CNRTL, 2020). Cette
définition est marquée par une idée d'éloignement :
il ne s'agit pas là de participer au fonctionnement de la
société, elle désigne une démarche
d'affranchissement personnelle ou collective (Lee, 1994). La
capacitation, « désigne la capacité qu'on les gens
de gagner du pouvoir d'agir sur leur vie » (GIS M@ARSOUIN, 2017). Cette
définition peut donner l'idée que certaines personnes seraient
capables et d'autres non.
Le pouvoir d'agir « passe tant par la
capacité à participer à vie sociale et politique, que par
le fait de saisir des opportunités pour se former, augmenter son pouvoir
d'achat, s'insérer professionnellement » (GIS M@ARSOUIN). Le
pouvoir d'agir « passe tant par la capacité à
participer à vie sociale et politique, que par le fait de saisir des
opportunités pour se former, augmenter son pouvoir d'achat,
s'insérer professionnellement » (2017). Dans ces
déclinaisons, nous constatons l'absence de la notion de processus.
L'empowerment peut être défini comme un
processus d'apprentissage, d'évolution permettant de gagner en
autonomie, en capacité, en connaissances, en compétences, .... Ce
gain offrant la possibilité de participer au développement et au
fonctionnement de la société.
L'empowerment, par son image positive,
devient progressivement l'objectif recherché par
l'accompagnement social. Le décret n° 2017-877 du 6 mai
2017 (Legifrance, 2017) relatif à la définition du travail social
met en évidence cette évolution en précisant que :
Le travail social vise à
permettre l'accès des personnes à l'ensemble des droits
fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à
exercer une pleine citoyenneté. Dans un but
d'émancipation, d'accès à
l'autonomie, de protection et de participation des
personnes, le travail social f...] participe au développement
des capacités des personnes à agir pour
elles-mêmes.
Ce décret clarifie la loi du 2 janvier 2002. Il insiste
sur la notion d'autonomie et met en avant la visée d'émancipation
: la personne est considérée comme sujet actif. Nous comprenons
que les travailleurs sociaux ont pour mission d'accompagner les personnes vers
une autonomisation. En ce sens, ce décret nous amène à
comprendre que le travail social agit en faveur de l'empowerment des
citoyens.
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Selon le Haut Conseil en Travail Social (2018) , il peut se
décliner selon trois aspects :
- « Le pouvoir de » : développement
individuel des compétences personnelles (confiance en soi, estime de
soi, sentiment d'utilité, sens critique...)
- « Le pouvoir avec » : capacité à
agir avec les autres, et sur son environnement
- « Le pouvoir sur » : pouvoir du citoyen
à agir sur les politiques sociales, voire participer à leur
transformation
Ces aspects apparaissent comme différents niveaux. Le
niveau micro avec le pouvoir de qui concerne l'individu, le niveau
méso avec le pouvoir avec comprenant l'individu et son
environnement et le niveau macro avec le pouvoir sur qui concerne
l'individu, son environnement et l'ensemble de la société. Nous
pouvons donc dire qu'il s'agit de gagner en
autonomie, en confiance en soi avant de pouvoir agir autour de soi et
avec son environnement ce qui, par la suite,
permettrait d'agir collectivement sur la
société.
Dans leur article, Le Bossé, Dufort et Vandette (2004,
p. 96), construise une grille d'évaluation de l'empowerment
d'après plusieurs dimensions dont la motivation à agir, le sens
du contrôle perçu et le sentiment d'efficacité personnel.
Ces critères évaluables nous interpellent sur le fait que
l'empowerment semble évaluable, il y a donc des degré
d'empowerment. Cela nous renvoie également au différents niveaux
précités. De plus, la construction de cette grille
d'évaluation nous fait remarquer que l'empowerment dépend de la
motivation à agir, du sentiment d'efficacité personnel... Il
convient de dire que les prérequis à un plus grand empowerment
sont la confiance en soi, l'estime de soi, la motivation... au même titre
que le consentement est un prérequis à l'accompagnement.
Bacqué & Biewener (2015, p. 117) nous précise que
l'empowerment serait « un processus socio-politique, articulant
l'acquisition d'une conscience de soi, d'une estime de soi d'une conscience
critique et le développement de capacités individuelles avec
l'engagement, la mobilisation et l'action collective pour une transformation
sociale. » Il s'agit d'acquérir, dans un premier temps, une
capacité et une volonté à agir pour s'extraire des lien de
dépendance et aller vers une autonomisation et une participation
sociétale.
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Synthèse du chapitre 1
Lors de la période préindustrielle, l'action
sociale relevait de la charité et du bénévolat.
L'assistance étant de rigueur. L'individu dans le besoin était
perçu « comme objet à réparer, problème
à résoudre, dossier à traiter » (Paul, 2004) : il
était assisté, pris en charge. La révolution industrielle
et la période d'après-guerre ont accru le développement de
l'action sociale : il est question de répondre à de nouveaux
besoins. C'est un tournant dans le processus de professionnalisation de
l'action sociale. Des lois sont venues la reconnaître, l'encadrer et la
clarifier. Les pratiques ont évolué. L'individu est
progressivement perçu comme « sujet actif, autonome et responsable
» : l'accompagnement est le nouveau mot d'ordre. Les politiques sociales
s'organisent : l'autonomie est l'objectif recherché ; les dispositifs
d'accompagnement se multiplient : il est alors question d'injonction à
l'autonomie. Perçue négativement, la notion d'autonomie laisse
place à celle d'empowerment. Les travailleurs sociaux ont pour mission
d'accompagner le processus d'évolution permettant de gagner en
autonomie, en connaissances, en compétences et d'avoir la
capacité d'agir au sein et pour la société.
Plus récemment, nous avons connu une nouvelle
révolution : la révolution numérique. Cette
dernière bouscule les pratiques personnelles comme professionnelles.
Nous allons voir comment cette révolution vient agiter l'action sociale
et peut freiner l'empowerment des citoyens.
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