La coutume Kongo face aux conflits fonciers.par Rhéa Mylord voka Université Kongo/ Mbanza-Ngungu - Licence en Droit privé et judiciaire 2019 |
A. Modes pacifiques d'acquisition de la terre en droit coutumierParmi les modes d'acquisition pacifique de la terre en droit coutumier, nous pouvons citer, notamment : le droit du premier occupant, du droit de hache et du droit de feu ; de mode d'acquisition par relation économique, de mode d'acquisition par alliance et des terres pignoratives. 117 Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A 1670, 23 octobre 2007, op.cit., p.16 34 a. Droit du premier occupant L'occupation de la terre d'après les traditions historiques semble avoir été en Afrique centrale, le mode originaire dont les diverses populations ont plus usé pour s'attribuer des droits sur les terres qu'elles occupent.118 En effet, d'une manière générale les Africains fondent sur la première occupation les droits qu'ils exercent sur la terre. Autrement dit, ils ne tiennent leurs droits d'aucune personne, La terre vacante devient le bien de la collectivité qui l'a matériellement appréhendée. C'est la première occupation d'une terre vacante qui constitue le titre juridique. Par ailleurs, il a été jugé que le fait d'indiquer un endroit à quelqu'un ne peut en aucun cas signifier qu'on est le premier occupant.119 A ce propos G. MALENGREAU souligne qu'à l'origine de la propriété foncière, comme à l'origine de toute propriété indigène, il y a le fait de prise de possession. Aux yeux des noirs, comme aux yeux des nôtres, pour être légitime, l'appropriation d'un domaine foncier suppose sa vacance. Mais si la terre est vacante, elle appartient au premier occupant et son occupation qui n'est pas nécessairement une occupation effective est un titre d'appropriation dont tous les indigènes reconnaissent la parfaite légitimité. Les propriétés foncières collectives aujourd'hui aux mains des indigènes peuvent donc avoir eu une double origine : tantôt elles sont le fait de l'occupation pacifique d'une terre vacante, à laquelle a rapidement succédé un essaimage ou un partage, selon que l'occupation s'est effectuée par un individu fondateur de groupe ou, au contraire, par tout un groupe à la fois ; tantôt, surtout lorsqu'il s'agit de groupements politiques qui ne sont pas nés par l'instauration d'un pouvoir étranger, elles résultent d'une spoliation lente ou brutale des terres d'autrui.120 D'ailleurs, suivant la coutume mukongo en général et manianga en particulier, le premier occupant est celui qui a ses propres cimetières, exploitant des composants personnels et ayant habité dans les hameaux avant l'arrivée de l'autre.121 L'occupation permet à ceux qui s'établissent pour la première fois sur des terres vacantes de s'opposer à ceux-là qui y viendront après eux. 118 D. MAKETAMA MALONDA, op.cit. , p. 26 119 Tribunal de paix de Luozi, 5 décembre 2000 In Odon NSUMBU KABU, op.cit., p.129 120 GUY MALENGREAU, Droits fonciers coutumiers chez les indigènes du Congo belge : essai d'interprétation juridique, Bruxelles, Falk fils, 1947, pp. 78 - 79 121 Tribunal de paix de Luozi, RC 188,27 mai 1996 In Odon NSUMBU KABU, op.cit., p.117 35 Ainsi, la décision de la colonisation d'une région nouvelle, qui peut être prise pour des raisons matérielles ou morales dépend du chef du village ou du conseil de village qui veut émigrer. Et donc, la tradition rapporte qu'un chef de famille après avoir reconnu le territoire résolut de s'y fixer. Dans ce but, il offrit un sacrifice aux puissances surnaturelles du lieu et leur demanda l'autorisation de s'établir sur la terre qu'elles contrôlaient.122
Traditionnellement, le troc126 était au centre des échanges économiques. D'ailleurs à ce propos, le professeur S. SHOMBA KINYAMA souligne qu'en réalité l'économie traditionnelle était une économie essentiellement échangiste. Elle ne possédait pas toujours un symbole unique et universel de convertibilité (la monnaie).127 122 Tribunal de paix de Luozi, RC 188,27 mai 1996 In Odon NSUMBU KABU, op.cit., p.117 123 Termes latin signifiant : « chose sans maître » 124 G.MATONDO LUMINUKU, De la gestion conflictuele du foncier à Mbanza-Ngungu : entre droit moderne et droit coutumier », in Enjeux patrimoniaux en contexte post colonial en RDC, l'Harmattan, Paris, 2017, p. 42 125 D. MAKETAMA MALONDA, op.cit., p. 27 126 Le concept troc est considéré comme étant l'échange d'une marchandise à une autre sans recours à la monnaie 127 S. SHOMBA, op.cit. , p.18 36 Concernant l'acquisition de la terre, ce mode consiste dans le fait que quelques terres furent l'objet de transactions économiques. Certains échangeaient alors directement les terres contre quelques têtes de porcins, caprins et des bovins ou contre d'autres biens d'utilité économique.128
La mise en gage est une pratique qui consiste à donner la terre en garantie afin de garantir une créance. En effet, la mise en gage fut une pratique courante dans la société kongo. Il sied de préciser que dans certains cas, dans la société traditionnelle kongo, les clans pauvres dans le but d'enterrer, marier, rembourser certains biens dotaux ou même tenir une fête traditionnelle, aller jusqu'à contracter des dettes des quelques valeurs auprès des clans riches avec comme garantie la mise en gage de leurs terres. En effet, si la famille débitrice violait unilatéralement le contrat passé avec les familles créancières, des terres entières furent ainsi acquises sous forme de saisi arrêt. Quand bien même, quelques clans voulurent honorer leurs dettes, ils heurtèrent à la brusque montée des intérêts moratoires d'où le bien donné en gage passe dans le patrimoine de la famille créancière.131 128 http://www.terrepouvoir.Com, Traité : ancêtre - terre - parenté, p.33, page consultée le 18 février 2020 129 Propos recueillis lors de nos enquêtes à Mbanza-Nsundi auprès du chef de groupement Emmanuel LUSONGONIA, le 12 mai 2020 130 Pignorative : du latin pignus, oris qui signifie gage 131 D. MAKETAMA MALONDA, op.cit. , p. 29 37
De nos jours, l'esclavage constitue une pratique anticonstitutionnelle134 et est condamné par la Déclaration universelle des droits de l'homme,135 le pacte international relatif aux droits civils et politiques136 et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.137 L'interdiction de l'esclavage fait partie du jus cognes,138 c'est-à-dire elle est une norme impérative du droit international à laquelle aucune dérogation n'est permise. Il y a lieu, sur ce point, de relever la place qu'a occupée cette institution dans la société traditionnelle kongo, les écarts de la coutume kongo par rapport à la loi. En effet, l'achat d'esclave symbolisait in illo tempore139 l'un des signes de richesse du peuple kongo.140 D'ailleurs certaines coutumes notamment manianga 132 Tribunal de paix de Luozi, R074, du 19 septembre 2003, In Odon NSUMBU KABU, op.cit. , p. 160 133 D. MAKETAMA MALONDA, op.cit., p. 29 134 Article 16 de la Constitution du 18 février 2006 135 Article 4 de la Déclaration universelle des droits de l'homme 136 Article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 137 Article 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples 138 Terme latin Jus cognes signifie droit international 139 Terme latin in ilo tempore signifie à l'ancien temps 140 Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A.1478 du 08 Aout 2003, In Odon NSUMBU KABU, op.cit., p. 55 38 prévoit que lorsqu'un maître achète son esclave, celui-ci perd son clan d'origine pour adhérer à celui de son maître.'4' L'esclave ne pouvait avoir qu'un seul maître et ne travaillait que sur le terrain de ce dernier, mais l'esclave peut devenir chef de famille à la mort de son maître.'42Ainsi, il a été jugé que, dans la coutume kongo, l'esclave non affranchi prend le clan de son maître à la mort de celui-ci, si ce dernier n'ayant pas laissé un héritier.'43 Après avoir analysé dans le précèdent point les modes qualifiés de volontaire d'acquisition de la terre en droit coutumier, nous allons dans ce point répertorier les modes involontaires d'acquisition de la terre puis les analyser. B. Modes violents d'acquisition de la terre en droit coutumier Ces modes violents d'acquisition de la terre dans la coutume kongo pouvaient se faire : par déposition brutale à la suite d'une guerre (a) et le vol des terres (b).
En droit écrit, le code pénal définit le vol comme la soustraction frauduleuse d'un bien appartenant à autrui.'45 Dans le cadre de notre étude, le vol doit être compris comme un acte par lequel un clan prend par ruse, par force ou en utilisant des manoeuvres frauduleux afin de s'approprier des terres qui appartiennent à un autre clan. 141 Tribunal de paix de Luozi, R.C.405, du 28 mars 2000, In Odon NSUMBU KABU, op.cit., p. 57 142 Tribunal de paix de Luozi, R.C .240, du 22 Avril 1997, In Odon NSUMBU KABU, op.cit., p. 57 143 Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A.1448, du 12 mai 2004, In Odon NSUMBU KABU, op.cit., p. 55 144 Tribunal de paix de Songololo, R n°293 du 26 janvier 2002, In Odon NSUMBU KABU, op.cit., p.56 145 Article 79 du code pénal congolais, livre II 39 Dans la coutume kongo, cette pratique était et /ou appelée « kikwafu ». Cet acte malicieux exige de l'audace et de la pugnacité dans le chef de son auteur, les vertus parmi lesquelles doit incarner un chef de clan, pour assurer à la fois la protection et l'envergure sociale de son groupe. Néanmoins, bien des chefs de clans outrepassent les limites de leur compétence pour sombrer dans le banditisme foncier en s'accaparant des terres qui ne sont pas dans leur domaine foncier ancestral.146 146 MAKETAMA MALONDA, op.cit., p. 29 40 |
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