3) Discussion
Le but de ce mémoire était de démontrer
l'importance d'insérer un module d'apprentissage à l'inhibition
dans les apprentissages en sciences de l'association « La main à la
pâte ». La littérature s'accorde pour dire que les
préconceptions des enfants sont robustes face aux apprentissages (Asoko,
2002), comme démontré d'ailleurs chez les sujets experts qui ont
toujours besoin d'inhiber leurs heuristiques (Masson & Foissy, 2012 ; Borst
& al., 2015). Le passage d'une conception naïve aux faits
scientifiques serait selon Posner et al. (1982) ; Hewson et Hewson (1984),
facilité par la mise en évidence d'un conflit cognitif, et selon
Lubin et al. (2009) et Cremin et al. (2015), par la mise en action des enfants.
Houdé
27
(2014) pense que l'apprentissage peut se faire par
assimilation d'information (l'apprentissage classique), mais également
par inhibition des informations. Les tâches utilisées dans ce
mémoire engendraient toutes un conflit cognitif. Nous supposions, suite
aux précédents résultats de Potvin et al. (2015) que cette
tâche nécessitait de faire appel à des capacités
inhibitrices pour être réussit.
Nos résultats sont bien en accord avec Potvin et al.
(2015) chez les enfants de CM1/CM2 et chez les enfants de CE1 pour ce qui est
des performances, mais pas pour les TR. Ces résultats peuvent
s'expliquer par le fait que les enfants de CE1 à l'inverse des enfants
de CM1 n'ont jamais dû avoir de cours sur la flottaison avant cette
expérience, en effet, les cours de sciences sur Flotte/coule sont
principalement au programme de CE1 et de CM1, on peut donc supposer que les
enfants de CM1 ont des connaissances algorithmiques supérieures à
ceux des CE1. De plus, ces derniers semblaient lors des passations ne pas avoir
une connaissance suffisante des matériaux utilisés. Pour
réussir la tâche flotte coule, il faut en effet avoir une
connaissance de ce qu'est le polystyrène, le bois et le plomb. Or
certains enfants semblent considérer que le polystyrène coule
plus que le plomb ou que le bois, et ce, quel que soit la taille. Les
résultats sur l'amorce des enfants de CE1 montrent d'ailleurs une
tendance à répondre moins rapidement dans la situation
contrôle, où les deux balles sont de mêmes tailles par
rapport à la situation test (la situation de conflit). Cependant, les
performances indiquent bien un effet d'AN, ainsi qu'une différence
significative entre l'amorce test, où il faut inhiber pour
répondre correctement, et l'amorce contrôle où il n'est pas
nécessaire d'inhiber. Ce qui laisse envisager, comme nous le supposions
que les enfants de CE1 ont bien besoin d'inhiber pour qu'un changement
conceptuel s'opère. Ces résultats ont des implications au niveau
pratique et laissent envisager qu'il serait essentiel de mettre en place une
pédagogie métacognitive centrée sur la mise en
évidence du conflit cognitif et la nécessité d'inhiber une
heuristique.
28
Pour ce qui concerne la tâche
d'électricité, nos résultats ont montré que les
enfants commettent un nombre d'erreurs important. En effet, les enfants de CE1
tombent beaucoup dans l'heuristique qu'un seul fil électrique suffit
pour allumer une lampe. Cependant, le programme scolaire de CE1 n'inclut pas de
cours sur l'électricité. Un effet d'AN est bien présent
chez les enfants de CE1 sur les TR lors du pré test, cependant ce
résultat est à relativiser en raison du pourcentage très
faible de bonnes réponses sur lequel cet effet a pu être
démontré. En l'absence de cours de science sur ce domaine, ces
enfants ne pouvaient que tomber dans l'heuristique. Cependant, ils commettent
également de nombreuses erreurs sur l'amorce et la cible contrôle,
ce qui peut s'expliquer par une surcharge cognitive éventuelle. En
effet, dans les situations de contrôle, les enfants devaient
déplacer leur attention sur le fait que le fil soit coupé ou non.
Dans cette situation, le temps pour vérifier que le fil est coupé
a pu augmenter leur TR et leurs erreurs, s'ils se sont essentiellement
centrés sur le fait que la lampe soit allumée ou non. Il est
également possible que les résultats que nous avons obtenus
soient dus au hasard. Le taux de bonnes réponses étant
très faibles, il est possible que le fait d'inclure 2 types d'images ait
été trop compliqué pour des enfants de CE1 et qu'ils aient
répondu au hasard. Les enfants de CM1/CM2 tombent également
massivement dans l'heuristique qu'un seul fil suffit à allumer une lampe
électrique, en revanche ils semblaient connaître la règle
qu'il est nécessaire d'avoir deux fils électriques pour allumer
une lampe. En effet lors de l'entraînement, de nombreux enfants (certains
de CE1 également) nous ont spécifié après
s'être trompés que c'était parce qu'il fallait 2 fils pour
allumer une lampe. Cependant avec l'entraînement et tout au long de la
tâche, nous avons renforcé l'heuristique qu'un seul fil suffit
à allumer une lampe lors de la présentation de la cible où
un seul câble permet d'allumer une lampe de chantier. L'heuristique
était ensuite trop fortement activée pour que le concept
scientifique, que les enfants connaissent pourtant, soit inhibé. Nos
résultats pour les CM1 sont tout de même en accord avec ceux de
29
l'équipe de Masson, pour les performances. Nos
résultats sont cependant limités, en raison du faible
échantillon dont nous disposions, dû à un souci technique
lors de la passation du pré test. Malgré tous, les
résultats du pré test laissent envisager l'importance d'inclure
un apprentissage métacognitif à l'inhibition chez les enfants.
Concernant les résultats attendus pour le transfert de
l'effet de l'apprentissage à l'inhibition auquel nous nous attendons ;
suite à l'analyse des résultats du pré test, il est
dorénavant possible d'imaginer que ce transfert soit difficile à
obtenir. Essentiellement, car les enfants n'ont pas tous eu un cours sur
l'électricité. Or Matlen et Klahr (2013), ainsi que Potvin et al.
(2013) ont montré l'importance de l'instruction pour que le passage
d'une préconception à un concept scientifique s'opère. De
même, les résultats seront à relativiser en raison du peu
de données qui ont pu être analysées chez les enfants de
CM2. Enfants, qui sont les seuls à avoir réussi majoritairement
la tâche en pré test. Or, aucun cours sur
l'électricité n'a été prévu entre le
prétest et le post test afin de s'assurer que les résultats
obtenus soient bien liés au transfert et non à l'instruction des
enfants. Il est aussi probable que notre apprentissage à l'inhibition
soit trop spécifique à la tâche flotte/coule pour qu'un
transfert ait lieu. Un apprentissage à l'inhibition moins
spécifique avec divers entrainements métacognitifs sur un plus
long terme avec des tâches impliquant l'inhibition pourrait permettre des
effets de transfert. C'est ce que laisserait envisager l'étude de
Linzarini et al. (2015) ou les capacités au Stroop ont permis ensuite
une meilleure inhibition dans une tâche logico-mathématique.
Cependant, les travaux de Chase et Ericsson (1982) ont montré que le
transfert est rarement possible d'une activité entrainée par
apprentissage à une autre. En effet, dans leur étude
l'étudiant SF avait appris à « augmenter» pendant 2 ans
son empan mnésique de 7 à environ 80 pour des chiffres. Cependant
SF n'était pas capable de transférer cette compétence pour
des lettres. Si le transfert n'est pas possible pour l'apprentissage à
l'inhibition d'un concept scientifique à un autre, cela implique que les
enseignants passent
30
systématiquement, pour chaque apprentissage par une
pédagogie métacognitive à l'inhibition en
spécifiant chaque fois que nécessaire de faire attention à
l'heuristique à inhiber.
Notre étude présente également certaines
limites dont il faudra tenir compte dans l'interprétation des
résultats. Pour la tâche Flotte/coule, de nombreux enfants ne
connaissaient pas les différents types de matière des balles. En
l'absence de cette connaissance, le polystyrène a pu parfois être
considéré comme plus dense que le bois ou le plomb, malgré
un apprentissage rapide lors de l'entraînement. Il en est de même
lors de nos apprentissages logique et métacognitif entre la brique, le
métal et le verre. De plus, les apprentissages à l'inhibition et
logique ont été passés par 3 expérimentateurs (deux
étudiantes et moi-même) qui n'étaient pas aveugles des
hypothèses. En effet, nous nous sommes assuré que seulement les
enseignants soient aveugles afin que leur apprentissage LAMAP ne soit pas
différent d'un groupe à un autre. Il reste pourtant possible que
nous influencions toutes les trois les résultats. Une expérience
en aveugle permettrait de limiter d'éventuels effets. De même,
inclure un groupe contrôle qui ne suit pas la pédagogie LAMAP
permettrait de tester l'apport d'un apprentissage métacognitif et celle
de l'apprentissage LAMAP.
En conclusion, ce mémoire a des implications pour le
terrain, car il laisse envisager l'importance de développer des
apprentissages métacognitifs de manière systématique en
classe, car les enfants ont certes besoin de manipuler, mais nos
résultats montrent qu'ils ont également besoin d'inhiber. Ces
apprentissages métacognitifs seraient à la fois
bénéfiques pour les enfants en difficultés scolaires qui
éprouvent les difficultés avec l'apprentissage logique, mais
également pour les élèves « tous venants », pour
qui l'apprentissage logique est sans doute utile, mais non suffisant, au vu du
nombre d'adulte qui tombent encore dans le piège (Potvin et al.
2015).
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