1.3.3. Approche interactionniste
Dans une perspective interactionniste dominante en sciences
sociales, le pouvoir est une relation qui se caractérise par la
mobilisation des ressources pour obtenir d'un tiers qu'il adopte un
comportement auquel il ne serait pas résolu en dehors de cette relation.
La relation de pouvoir se conçoit donc comme une
25 Le mot souverain pris
adjectivement désigne une qualité de la puissance qui, dans
l'ordre de la compétence, ne relève d'aucune autorité
supérieure. Pris substantivement, il désigne alors le
détenteur de la force politique suprême de l'Etat.
24
interaction, une relation d'échange inégale,
l'importance de cette inégalité reflétant
l'intensité du pouvoir exercé.
Le pouvoir suppose obligatoirement une relation sociale.
Robert Dahl définit classiquement le pouvoir comme la capacité
d'une personne A d'obtenir qu'une personne B fasse quelque chose qu'elle
n'aurait pas fait sans l'intervention de A. Michel Crozier insiste sur le fait
que le pouvoir est une relation et non un attribut des acteurs. Le pouvoir est
donc une relation réciproque mais déséquilibrée.
Pierre Bourdieu appréhende à ce titre les
relations de pouvoir au sein des différents champs sociaux qu'il
définit comme les espaces spécifiques où s'organisent des
rapports de domination. Chaque champ est un champ de forces (marqué par
une distribution inégale des ressources et donc un rapport de forces
entre dominants et dominés, et un champ de luttes (les agents sociaux
s'y affrontent pour maintenir ou transformer ce rapport de force).
Les relations de pouvoir s'organisent donc dans un champ
donné qui définit un certain nombre de règles et de
croyances. C'est dans cette approche dite interactionniste que plusieurs
auteurs dont Max WEBER, Tacoltt PARSON, Jean WILLIAM LAPIERRE et Julien FREUND
ont pu définir le concept de pouvoir politique. Ainsi, Max WEBER
conçoit la définition du pouvoir politique comme suit: le pouvoir
est toute chance de faire triompher, au sein d'une relation sociale, sa propre
volonté, même contre les résistances ; peu importe sur quoi
repose cette chance.
Quant à TACOLTT, il définit le pouvoir politique
comme la mise en oeuvre d'une capacité généralisée
consistant à obtenir des membres de la collectivité
l'accomplissement d'obligations légitimes au nom de la
collectivité,
Le pouvoir politique peut revêtir plusieurs formes. Il
peut être communautaire, individualisé ou
institutionnalisé.
25
permettant éventuellement de contraindre le
récalcitrant par l'application des sanctions négatives.
Pour Jean WILLIAM LAPIERRE, le pouvoir politique est la
combinaison variable d'autorité légitime (recours au consensus)
et de la puissance publique (recours à la coercition) qui rend certaines
personnes ou certains groupes capables de décider pour et au nom de la
société globale tout entière et de commander à
celle-ci afin de faire exécuter les décisions prises Enfin,
Julien FREUND définit le pouvoir politique comme activité sociale
qui se propose d'assurer par la force généralement fondée
sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde
extérieure d'une unité politique particulière en
garantissant l'ordre au milieu de luttes qui naissent de la diversité et
de la divergence des opinions et des intérêts.
De ce qui précède, nous dirons que le pouvoir
suppose la présence d'au moins deux individus. La notion d'interaction
est capitale. Elle suppose que le pouvoir n'est pas une essence : il n'existe
pas une nature abstraite et immuable du pouvoir. L'interaction évolue
suivant le contexte et les rapports des forces. On ne peut d'ailleurs
comprendre toutes les formes de relations de pouvoir sans appréhender
tous les tenants du contexte dans lesquelles elles s'expriment.
Au demeurant, suivant les ressources mobilisées pour
l'obtention d'un résultat, Philippe BRAUD distingue deux grandes
catégories de pouvoir : le pouvoir d'injonction et pouvoir
d'influence.
§1. Formes de pouvoir politique
26
? Le pouvoir politique communautaire
Le pouvoir politique est communautaire lorsqu'il appartient
à tous les membres du groupe. Cette forme de pouvoir politique a
fonctionné dans les sociétés traditionnelles au sein de
certaines unités politiques à caractère familial (village,
clan, tribu, etc.).
? Le pouvoir politique
individualisé
Dans ce système, le pouvoir s'est détaché
de la société. Il appartient à un individu qu'on peut
isoler de la masse. Il y a une figure concrète, celle du chef ou du
monarque.
On parle du pouvoir personnel ou individualisé lorsque
le pouvoir s'incarne en un homme qui l'exerce en raison de ses qualités
personnelles. Dans ces conditions, la personne qui exerce le pouvoir en est
également le propriétaire.
Cette forme de pouvoir politique se retrouve aujourd'hui moins
dans les pays occidentaux que dans les pays en voie de développement
où des hommes au pouvoir ont tendance à confondre leur vouloir
avec le pouvoir, à exercer le pouvoir comme bon leur semble et : sans
avoir de compte à rendre, de procédures obligatoires à
suivre, de règles ou de principes à respecter .
L'une des caractéristiques fondamentales propres au
pouvoir individualisé, est la concentration des pouvoirs dans les mains
d'un seul individu, c'est-à-dire que l'autorité politique est
exercée quasi sans partage par un homme. Mais cet homme souvent n'est
pas n'importe lequel.
27
Il est considéré par ses pairs ou l'opinion
publique comme le leader26, selon l'expression chère des
anglo-saxons. Le leader étant considéré à la fois
comme le guide, le chef et l'arbitre.
Les expressions bonapartistes de l'homme providentiel, le
sauveur couronné, « l'héritier d'une gloire nationale »
à qui on fait appel en période de catastrophe traduisent
l'idée d'un phénomène d'appréciation subjective qui
vient se surajouter à l'autorité statutaire légalement
reconnue à un homme.
Ce phénomène extérieur à
l'autorité en elle-même est qualifié par les
constitutionalistes de personnalisation du pouvoir, qu'on oppose à
l'institutionnalisation du pouvoir. D'autres parlent d'individualisation du
pouvoir, d'autres encore du pouvoir personnel et du gouvernement personnel
selon le jargon politique. Tandis que la littérature marxiste parle pour
le dénoncer, du culte de la personnalité.
De notre part nous préférons le qualifier de
phénomène de personnification du pouvoir. Tous ces termes qui ne
se recouvrent pas parce qu'ils sont utilisés dans les perceptives
différentes traduisent plus ou moins une même
réalité.
Ils insistent sur les deux éléments
fondamentalement constitutifs de ce phénomène : d'une part, la
concentration du pouvoir dans les mains d'un seul, et d'autre part
l'incarnation de ce pouvoir dans la personne de son détenteur.
26 Un leader (comme le note Jacques ELLUL, cité par
Jean LACOUTURE, Les 4 Hommes et leurs peuples sur-pouvoir et
sous-développement, éd. Seuil, paris, 1969, p.11), « ne
peut être seulement celui qui prend les décisions, celui qui prend
la tête...il est bien plus que cela, il est celui qui incarne le groupe,
en qui le groupe se reconnait, et qui sert de médiateur envers le
phénomène mystérieux du pouvoir ».
28
Autrement dit, le terme de la personnification du pouvoir
revêt deux formes dialectiquement liées : la concentration
opérationnelle et l'incarnation mythique du pouvoir.
3. Le pouvoir politique
institutionnalisé
Le pouvoir politique est institutionnalisé lorsque :
celui qui l'exerce n'est pas maitre ni propriétaire, avec liberté
d'en user selon son bon plaisir ; il ne peut l'exercer légitimement et
sans abus que s'il se conforme à des institutions indépendantes
de sa volonté, de ses passions et de ses intérêts
individuels27 . Dans ce contexte le pouvoir va connaitre une
évolution.
En effet, progressivement, le pouvoir politique ne va plus
s'incarner dans un individu, mais s'institutionnaliser en se dissociant de la
personne des gouvernants. Désormais, l'individu et la fonction sont
séparés, ce qui assure la permanence de l'autorité
politique indépendamment de la disparition de ceux qui la
détienne à un moment donné.
Or une institution est une création durable, stable qui
se traduit de plus en plus souvent par des règles de droit et qui existe
indépendamment de ses membres. Dès lors, le pouvoir en devenant
une institution existe en dehors et au-dessus de son titulaire du moment : il
obéit à de règles de révolution stables et
indépendants de ceux qui l'exercent temporairement. La volonté du
corps social et des titulaires successifs du pouvoir a crée une
règle qui s'impose désormais à tous. Ce pouvoir
institutionnalisé n'est pas nécessairement démocratique,
c'est-à-dire désigné par le peuple, mais il existe
toutefois indépendamment de son titulaire.
27 APIERRE J.M., Le pouvoir politique,
PUF, Paris, 1969, p.35.
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