La place des états membres de l’UE dans les négociations sur les échanges agricoles à l’organisation mondiale du commerce. Le cas de l’influence de la France et de l’Allemagne sur la politique commerciale commune.par Florian Ouillades Université de Strasbourg - Master de Relations Internationales (Etudes Européennes) 2008 |
3. Améliorer l'influence nationale ou réformer l'OMC? La recherche d'une meilleure stratégie nationale.L'objet de cette dernière partie n'est pas d'étayer une critique de la mondialisation ou de son visage institutionnel : l'organisation mondiale du commerce. Il serait d'ailleurs bien innocent de penser que cette organisation oeuvre au développement de la mondialisation. L'OMC est davantage son contraire. Il s'agit d'un organe qui tente de réguler une mondialisation des échanges galopante et de donner un cadre, pour l'instant trop frêle, à l'économie mondiale. C'est donc a posteriori que l'on essaye d'infléchir le cours d'un système globalisé et complexe pour le rendre profitable à tous. Le manque d'influence de l'Allemagne et de la France dans les négociations multilatérales sur les échanges agricoles a été prouvé. Cependant, le parti-pris de ce mémoire est aussi de démontrer la priorité d'une réforme de l'OMC sur la défense d'intérêts nationaux ou encore l'amélioration de l'influence nationale à l'OMC. En un mot, si réforme il y a, elle doit favoriser l'intérêt mondial, plus que l'intérêt national. Si l'intérêt mondial est presque indéfinissable en général, dans le cas des négociations de l'OMC cela pourrait être l'idée de recherche d'un développement humain et économique global et homogène Il s'agit avant tout de questionner la validité de cette proposition en partant des constats faits sur l'influence des Etats-membres de l'Union Européenne. C'est pourquoi une première hypothèse concernant le caractère non démocratique de l'influence nationale est développée. Pourquoi qualifier de non démocratique une organisation internationale qui fonctionne suivant le principe de l'unanimité ? Faut-il rappeler qu'un accord à l'OMC peut théoriquement échouer à cause du véto d'un seul des 153 Etats membres ? 3.1. Un mode de négociation imparfaitentre efficacité et démocratie L'OMC est sûrement l'organisation internationale la mieux respectée au monde115. C'est avant tout pour cela qu'elle est d'un côté promise à un grand avenir et qu'elle suscite aussi un grand intérêt. En effet, le désir d'utiliser l'OMC comme un instrument de gouvernance 115 Il est ici fait référence au comportement du gouvernement fédéral américain au conseil de sécurité des nations unies à la veille de la dernière guerre en Irak par exemple. 34 mondiale multilatérale est l'un des plus grands défis de la mondialisation. Cependant, c'est son mode de fonctionnement qui semble être contestable. Toute négociation est en effet problématique. L'OMC pose un problème de responsabilité, surtout dans le cas de la Commission Européenne où le négociateur a uniquement un rôle de représentant. Comme l'explique Louis Cartou, « [i]l appartient à la Commission d'instruire le dossier des négociations, de les préparer puis de les conduire sur la base des directives que lui fixe le Conseil »116. Quel est toutefois le véritable rôle de la Commission? Est-ce celui d'un simple exécutant? Les pages qui suivent présentent une critique de son mode de négociation entre efficacité et démocratie. Toute négociation a un mode opératoire assez éloigné de tout processus démocratique. En effet, il faut tout d'abord arrêter une position dans le plus grand secret. Cela nécessite par exemple de définir une limite ou ligne rouge au-delà de laquelle tout accord éventuel sera inacceptable. Si cette limite est dépassée, le résultat est alors considéré comme le plus mauvais qui soit. Il s'agit ensuite de définir des objectifs (pour viser le meilleur résultat possible) sans aussi oublier de fixer une position intermédiaire, envisageant un résultat plausible et moyennement ambitieux. Dans le cas de la Commission, le fait de rendre public les limites d'un plan de négociations sur l'agriculture à l'OMC peut nuire considérablement à la position de l'Europe à Genève. C'est pour cela que la Commission ne peut se risquer à rendre certaines informations publiques, de peur que les parties adverses en soient informées. En outre, mettre en évidence ses propres limites à la négociation lors du comité 133 reviendrait à s'attirer la colère des Etats membres les plus conservateurs. Il s'avère parfois contre-productif de divulguer un scénario très peu ambitieux qui n'aurait l'approbation d'aucun Etat-membre. Ces réflexions sont autant de pistes qui peuvent expliquer le manque de transparence dans la communication avec la Commission, qu'une majorité d'Etats membres de l'Union conteste. Une autre particularité des négociations, propre à la PCC, vient ajouter au manque de transparence. On sait que la Commission européenne agit dans le cadre d'un mandat, rédigé de manière peu détaillée. Il arrive qu'elle s'aventure, comme on l'a vu, et négocie bilatéralement hors du mandat accordé117, toujours dans l'espoir d'obtenir une contrepartie plus satisfaisante sur un autre point des négociations. L'idée d'un équilibre, parfois subtil, doit être respectée pour que l'accord soit finalement acceptable par toutes les parties. Pourtant, aucun accord ne peut être parfait car cela impliquerait que chaque négociateur 116 Cartou Louis, 1994, L'Union Européenne: Traités de Paris-Rome-Maastricht, Ed. Dalloz, Paris, p. 558. 117 Cela c'est effectivement produit lors du dernier cycle de négociations : Cf. Lütticken Florian, 2005, Die europäische Handelspolitik in GATT/WTO. Nationale Außenpolitiken und ihr Einfluss auf die Handelspolitik der Europäischen Kommission am Beispiel der Verhandlungen zur Uruguay-Runde, Ed. Nomos, Baden-Baden, 214 p. 35 obtienne le meilleur accord possible118. Il faut dans toute négociation envisager le meilleur pour obtenir l'acceptable. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre les mots Peter Mandelson: « l'alternative de ce qu'il y a sur la table, ce n'est pas un meilleur accord mais pas d'accord du tout »119. Comment peut-on dans ces négociations internationales préparer ses concitoyens à accepter des accords qui risquent d'être désavantageux? Le cycle actuel de Doha s'est fixé comme objectif de favoriser le développement des pays du Sud. Les négociations actuelles sont à proprement parler asymétriques. Cette notion de partialité est difficilement acceptable pour les populations des pays développés. Les occidentaux reconnaissent mal l'importance du défi planétaire que représente le développement, surtout en période difficile de stagnation économique. La tâche de rassurer les citoyens européens et les institutions parlementaires, qui les représentent, sur ce qui ce trame à Genève peu paraître compliquée. Il paraît tout aussi difficile de les convaincre du bien-fondé même des négociations multilatérales sur les échanges agricoles120. Ce qui est à craindre, c'est le désintéressement des institutions parlementaires. En effet, moins les pouvoirs législatifs des Etats membres sont impliqués dans les négociations, plus ils risquent de ne pas cautionner les accords et récuser l'autorité de l'OMC, ce qui mettrait en péril la ratification des accords par leurs Etats membres. Critique du Comité 133 Le Comité de l'article 133 fait l'objet de critiques diverses et plus ou moins fondées.121 La première renvoie au caractère clos des discussions. Cette critique est d'ailleurs un reproche général adressé aux institutions européennes que l'on accuse de manquer de transparence. Il est vrai qu'aucune des séances du comité de l'article 133 n'est publique. De plus, il est composé d'experts à qui l'on reproche souvent de n'avoir peu de 118 Cela étant mathématiquement impossible 119The alternative to what's on the table is not the perfect deal, but no deal at all in :
http://ec.europa.eu/commission
barroso/mandelson/speeches articles/sppm138 en.htm
Commission 120 Cf. Annexe 2 : Tableau sur les effets de la libéralisation sur l'agriculture respectant l'environnement. 121 Pour la critique du comité de l'article 133 : Cf. http://www.ecologic.de/download/projekte/1800-1849/1800/7 1800 cate eu trade policy.pdf , Klasing Anneke, Knigge Markus, 2005, Report on Trade, Environment, and European Trade Policy Development, consulté le 27/05/08, p. 7 et 8. 36 considérations pour les préoccupations non commerciales122. En effet, les experts nationaux parviennent très bien à défendre leurs intérêts économiques mais manquent parfois de conscience politique. Anneke Klasing et Markus Knigge vont jusqu'à dire que ce comité manque de sagacité et de vision de ce qu'une grande stratégie de commerce extérieur européenne pourrait être.123 Il faut admettre que ces fonctionnaires nationaux ne sont très souvent pas habilités à outrepasser leurs compétences et que ce niveau d'expertise technique demeure subordonné aux niveaux politiques supérieurs (le COREPER et le Conseil des ministres). Cependant, le caractère très technique du comité nuit parfois à la Communauté dans les négociations à l'OMC. En effet, Lorenz Schomerus, chef-négociateur allemand du cycle de l'Uruguay, constate124 que les exposés au sein du comité de l'article 133 sont généralement dédiés aux intérêts sectoriels défensifs125 des Etats-membres. Il prend l'exemple du cycle de l'Uruguay, où tout débat de fond sur la pertinence d'un système de régulation ou de libre-échange resta absent des réunions du comité 133 ou du Conseil. Cela constitua alors un handicap pour la négociatrice européenne. La Commission dut ainsi souvent innover et agir de son propre chef dans les négociations à l'OMC. En un mot, les instructions que la Commission obtient du comité de l'article 133 pour la négociation s'avèrent parfois trop techniques et éloignées des réalités d'une négociation commerciale intergouvernementale et multilatérale. Une autre critique se rapporte à l'influence de la Commission dans les réunions du comité 133. Klasing et Knigge126 expliquent que son expérience de la rédaction de propositions et des négociations à l'OMC lui confère une certaine autorité. Ainsi, les Etats membres ne réussissent généralement à changer les propositions de la Commission qu'au prix de gros efforts. Il s'avère alors primordial de chercher à créer une alliance d'Etats, correspondant à peu près à une majorité qualifiée, autour d'une proposition pour lui donner davantage de poids. Pour finir, la Commission jouit d'une autonomie relative pour le choix de tactique de négociation, ce qui ne manque pas d'inquiéter les Etats membres. Ils critiquent donc la trop grande indépendance de la Commission. 122 En anglais : non-trade-related issues. Il est ici question de standards sociaux ou environnementaux que l'on tente de lier (dans les accords de l'OMC) à la libéralisation des échanges dans le but de donner un caractère plus `humain' ou `renouvelable' à la mondialisation. 123 Cf.
http://www.ecologic.de/download/projekte/1800-1849/1800/7
1800 cate eu trade policy.pdf , 124 Pour la fin de ce paragraphe, Cf. Schomerus Lorenz, 2003, Die Uruguay-Runde: Erfahrungen eines Chefunterhändlers in KRAFT Gerhard/ Tietje Christian/ Sethe Rolf (éds.), Beiträge zum Transnationalen Wirtschaftsrecht, no. 19, Septembre 2003, Institut für Wirtschaftsrecht, Halle, pp. 8-9. 125 Des intérêts sectoriels défensifs sont des secteurs menacés (par la concurrence) d'une économie d'un Etat membres pour lesquelles il adopte une position conservatrice et défend un statu quo. 126 Cf. Klasing & Knigge, Op. cit., p. 7. 37 |
|