Conclusion du mémoire
La problématique « Dans quelle mesure la mer
Méditerranée représente-t-elle une zone de contrôle
et de refoulement des migrants aux frontières de l'Europe ? »
amène à une multitude de réponses, mais surtout, elle
interpelle sur le tournant dramatique que prend le phénomène
migratoire en Méditerranée. La partie La « crise »
des réfugiés » en Europe depuis 2015 a permis de poser
le contexte nécessaire à la bonne compréhension de la
position actuelle de l'Union européenne quant aux flux migratoires qui
affluent à ses frontières. Si les migrations étaient
perçues comme bienfaitrices dans les années 60 par de nombreux
États européens, les changements politiques, économiques
et sociaux survenus autour du bassin méditerranéen, et plus
largement à l'échelle mondiale, ont modifié la perception
des migrants, qui étaient alors désormais vus davantage comme un
« fardeau » que comme des êtres humains apportant des
compétences et une richesse culturelle au pays. La montée des
conflits dans le monde au cours des 15 dernières années a
paradoxalement renforcé cette image péjorative des migrants vus
comme quittant leur pays pour venir « envahir » l'Europe et profiter
de ses avantages. Pourtant, et on le voit bien actuellement, les migrants
fuyant les guerres et persécutions en Syrie, au Soudan et en
Afghanistan, et ceux fuyant de plus en plus l'horreur de la Libye, ont plus que
jamais besoin d'une protection, autrement dit l'octroi du statut de
réfugié, que seule l'Europe peut leur offrir d'un point de vue
géographique. En effet, la plupart des pays dits « voisins »
aux pays en guerre, en n'oubliant pas que 80% des personnes fuyant un conflit
se réfugient dans le pays voisin, ne sont pas signataires et n'ont pas
ratifié la Convention de 1951 relative au statut des
réfugiés. Ainsi, il parait compréhensible que les migrants
se tournent vers l'Europe, dit continent des droits de l'Homme, afin de
chercher cette fameuse protection qui leur garantit des droits.
Surnommée « le cimetière », la mer
Méditerranée représente actuellement le
théâtre de drames jamais vus auparavant. Si La
médiatisation grandissante du phénomène migratoire en
Méditerranée a permis aux politiques européennes
d'ouvrir les yeux sur la gravité de la situation (drame de Lampedusa en
2013 avec 366 migrants ayant péri noyés et les deux naufrages
meurtriers en avril 2015) et de prendre des décisions pour éviter
à nouveau de tels drames, elle a surtout joué un rôle en
termes de compréhension de la réelle volonté des
États derrière chaque solution proposée. Les
opérations comme Triton, prétextant des missions de
sauvetage des migrants en détresse en Méditerranée, se
sont avérées représenter des moyens pour les États
de contrôler, mettre à distance et refouler massivement.
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Ce sont ces moyens que j'ai tenté de développer
dans la deuxième grande partie. Afin d'appliquer sa logique du mise
à distance - contrôle - refoulement des migrants, l'Europe a mis
une place une stratégie sur plusieurs années qui s'est voulue
bienveillante envers les migrants mais qui n'a servi qu'à
répondre à ses propres intérêts. La mise à
distance s'est traduite par une externalisation de la gestion des flux
migratoires avec des accords passés respectivement avec la Turquie en
2016 et la Libye en 2017. Ces deux pays constituent les deux principaux pays de
de départ des migrants à destination de l'Europe, mais pas les
plus exemplaires en termes de respect des droits de l'Homme. Davantage
orientée dans une perspective de lutte contre l'immigration
irrégulière plutôt que de sauvetage en
Méditerranée, l'Europe a délégué ses
responsabilités à la Turquie et à la Libye en
échange de contreparties financières et logistiques colossales,
qualifiées de « dépenses anti-migratoires » par Claire
Rodier dans l'ouvrage Migrants & Réfugiés :
Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents
(2018). Les conséquences de ces accords sont bien visibles
aujourd'hui : les traversées en Méditerranée et les
naufrages augmentent en raison des milliers de migrants qui fuient la Libye et
ses centres de détention horrifiques et le principe de non-refoulement
est régulièrement bafoué par les autorités turques
qui procèdent à des expulsions de migrants sur les îles
grecques (Lesbos, Évros, etc.) en réponse à leurs
engagements pris avec l'Europe. Les décisions politiques et les actions
allant avec ne sont plus pensées pour les migrants et leur
bien-être, mais pour servir les intérêts de chacun, avec une
volonté manifeste de fermer les frontières pour mieux
contrôler les flux migratoires.
Le deuxième volet de la politique migratoire
européenne consiste en un contrôle accru de la zone
méditerranéenne et des frontières, assuré par
l'agence Frontex et divers acteurs comme les autorités maritimes
italiennes. Le rôle et la responsabilité selon la présence
en eaux territoriales ou en eaux internationales, zones expliquées dans
la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, sont sans cesse remis
en question à cause de la bataille livrée par les
garde-côtes libyens envers les ONG de sauvetage. Les principes de la
Convention sur la délimitation des eaux en Méditerranée
sont respectés par les ONG en tout point malgré une
présence régulière à proximité, voire
même dans, les eaux territoriales libyennes: ils appliquent le principe
de cas de force majeure consistant à intervenir lorsque des personnes
sont en danger, ce qui est le cas pour les migrants en détresse ou se
faisant intercepter par les garde-côtes libyens, et le principe de
passage inoffensif dans les eaux libyennes puisque leur seul et unique but est
de secourir.
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Le troisième volet concerne le refoulement
effectué sous couvertures des hotspots, qualifiés de
centres d'accueil, d'identification et d'enregistrement où tout migrant
doit se rendre en arrivant en Italie ou en Grèce, mais s'apparentant
davantage à des prisons visant à expulser le maximum de
personnes. Les conditions de vie y sont désastreuses, et de nombreuses
entités internationales comme le HCR ont appelé les politiques
européennes à revoir leur décision étant
donné l'inefficacité des hotspots. Tout comme les
refoulements régulièrement exercés aux frontières
européennes, les îles européennes de Lampedusa, Lesbos,
Évros, Chios, Samos, etc. n'ont jamais eu vocation à accueillir
et préparer les migrants pour leur entrée en Europe. Il
s'agissait surtout d'une manière de pouvoir les maintenir hors du
territoire européen et de faire en sorte qu'une majorité d'entre
eux soient renvoyés dans leur pays. Le mécanisme de
relocalisation imposé par la Commission européenne en 2015,
planifiant la répartition de 160 000 migrants entre différents
états européens, s'est révélé totalement
inefficace et n'a fait que renforcer le désengagement flagrant de
plusieurs États européens.
La partie sur le Déni de solidarité et la
difficulté d'un consensus européen a permis de mettre en
exergue les différentes prises de position des États
européens quant à la question migratoire et leurs divergences qui
entravent l'élaboration d'une politique commune et efficace. Sans
volonté de dénoncer ou de prendre parti, il a fallu expliquer en
quoi l'Europe violait certains principes de la Convention de Genève
relative au statut des réfugiés à travers sa politique
migratoire. De plus, il y a une certaine criminalisation des ONG de sauvetage
et pire encore, des moyens mis en place pour entraver leur travail et les
empêcher de ramener les migrants en Europe. Seulement, si l'Europe ne
compte plus envoyer de navires de secours en Méditerranée et que
certains de ses États tentent les ONG de le faire (l'Italie notamment),
qui sauvera les migrants en détresse ? Car, il faut bien le
préciser, les ONG ne sont pas complices de la traversée des
migrants et ne créent pas ce fameux « appel d'air » : les
migrants risquant pour leur vie dans leurs pays, ou en Libye, cherchent
à tout prix à fuir et tentent de rejoindre l'Europe malgré
tout, ONG de sauvetage présentes en mer ou non.
Ainsi, la mer Méditerranée représente une
zone de contrôle et de refoulement des migrants aux portes de l'Europe,
et même une frontière meurtrière il faut le dire,
puisqu'elle sert de terrain d'exploration et d'expérimentation à
la politique migratoire européenne mise en place depuis 2015. S'il a
été expliqué dans ce mémoire que l'Europe a
été surprise et non préparée à l'afflux
soudain de migrants en 2015 (qui était pourtant prévisible), elle
y a riposté sans prendre en considération l'ampleur des drames en
Méditerranée, ni les valeurs qu'elle prône depuis sa
création. Pourtant, faciliter la venue des migrants en Europe venus
trouver
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refuge et protection fait partie intégrante des droits
de l'Homme et si l'UE déploie tous les moyens pour les refouler à
ses frontières, quel est l'intérêt d'avoir
créé et ratifié la Convention de Genève de 1951 et
son Protocole additionnel de 1967 si ses principes sont sans cesse
bafoués ? À l'origine, la Convention de 1951 avait
été créée pour les victimes de la Seconde Guerre
mondiale, donc les victimes en Europe, afin de les protéger et leur
garantir des droits, ainsi, pourquoi les autres personnes n'auraient-elles pas
le droit de venir chercher refuge en Europe ? De traverser les
frontières et de demander l'asile ? D'avoir une possibilité que
leur dossier soit examiné et le statut de réfugié
octroyé ? Les ancêtres de l'Europe actuelle ont
bénéficié des avantages de la Convention de 1951 à
l'époque, nous devrions donc nous sentir concernés par la
situation actuelle et militer activement pour les droits des migrants et des
réfugiés.
Mais rien n'y fait : actuellement, il s'agit de
contrôler, éloigner et refouler toujours plus les migrants, quitte
à les confronter à une mort certaine en mer ou en les renvoyant
chez eux où ils sont menacés. Cependant, rejeter les migrants qui
tentent la traversée de la Méditerranée revient à
rejeter le phénomène migratoire dans sa globalité et bien
évidemment, un tel phénomène ne peut être
ignoré ni rejeté au vu des changements mondiaux importants qui
provoquent des mobilités sans précédent. Les migrations
sont irréversibles, on ne peut, et ne pourra, pas les repousser
indéfiniment étant donné la montée des conflits
dans le monde et le changement climatique qui incite des personnes à
fuir. Plutôt que d'adopter une posture de rejet et de fermeture des
frontières, tous les États du monde pourraient travailler
ensemble et même apporter de nouveaux éléments à la
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Le monde et
ses citoyens sont sans cesse dans l'obligation de s'adapter aux changements
politiques, économiques, climatiques et sociaux, et pour pouvoir
respecter un ensemble de règles et de contraintes, il faut pouvoir
redéfinir des textes juridiques internationaux et les adapter aux
circonstances actuelles.
« Aujourd'hui, les véritables frontières ne
sont pas entre les nations mais entre les puissants et les impuissants, les
hommes libres et les enchaînés, les privilégiés et
les humiliés. Aujourd'hui, aucun mur ne peut séparer les crises
humanitaires ou les atteintes aux droits de l'homme dans une partie du monde
des crises de sécurité nationale dans une autre. (...) »
- Kofi Annan
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