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Le phénomène migratoire en mer méditerranée depuis 2013. Enjeux d'une frontière meurtrière aux portes de l'Europe.


par AnaàƒÂ«lle TOUTOUNJI
Ecole Supérieure de Commerce et Développement 3A Paris - Master 2 Manager de projets internationaux, parcours Coopération et Action Humanitaire 2019
  

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Conclusion du mémoire

La problématique « Dans quelle mesure la mer Méditerranée représente-t-elle une zone de contrôle et de refoulement des migrants aux frontières de l'Europe ? » amène à une multitude de réponses, mais surtout, elle interpelle sur le tournant dramatique que prend le phénomène migratoire en Méditerranée. La partie La « crise » des réfugiés » en Europe depuis 2015 a permis de poser le contexte nécessaire à la bonne compréhension de la position actuelle de l'Union européenne quant aux flux migratoires qui affluent à ses frontières. Si les migrations étaient perçues comme bienfaitrices dans les années 60 par de nombreux États européens, les changements politiques, économiques et sociaux survenus autour du bassin méditerranéen, et plus largement à l'échelle mondiale, ont modifié la perception des migrants, qui étaient alors désormais vus davantage comme un « fardeau » que comme des êtres humains apportant des compétences et une richesse culturelle au pays. La montée des conflits dans le monde au cours des 15 dernières années a paradoxalement renforcé cette image péjorative des migrants vus comme quittant leur pays pour venir « envahir » l'Europe et profiter de ses avantages. Pourtant, et on le voit bien actuellement, les migrants fuyant les guerres et persécutions en Syrie, au Soudan et en Afghanistan, et ceux fuyant de plus en plus l'horreur de la Libye, ont plus que jamais besoin d'une protection, autrement dit l'octroi du statut de réfugié, que seule l'Europe peut leur offrir d'un point de vue géographique. En effet, la plupart des pays dits « voisins » aux pays en guerre, en n'oubliant pas que 80% des personnes fuyant un conflit se réfugient dans le pays voisin, ne sont pas signataires et n'ont pas ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Ainsi, il parait compréhensible que les migrants se tournent vers l'Europe, dit continent des droits de l'Homme, afin de chercher cette fameuse protection qui leur garantit des droits. Surnommée « le cimetière », la mer Méditerranée représente actuellement le théâtre de drames jamais vus auparavant. Si La médiatisation grandissante du phénomène migratoire en Méditerranée a permis aux politiques européennes d'ouvrir les yeux sur la gravité de la situation (drame de Lampedusa en 2013 avec 366 migrants ayant péri noyés et les deux naufrages meurtriers en avril 2015) et de prendre des décisions pour éviter à nouveau de tels drames, elle a surtout joué un rôle en termes de compréhension de la réelle volonté des États derrière chaque solution proposée. Les opérations comme Triton, prétextant des missions de sauvetage des migrants en détresse en Méditerranée, se sont avérées représenter des moyens pour les États de contrôler, mettre à distance et refouler massivement.

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Ce sont ces moyens que j'ai tenté de développer dans la deuxième grande partie. Afin d'appliquer sa logique du mise à distance - contrôle - refoulement des migrants, l'Europe a mis une place une stratégie sur plusieurs années qui s'est voulue bienveillante envers les migrants mais qui n'a servi qu'à répondre à ses propres intérêts. La mise à distance s'est traduite par une externalisation de la gestion des flux migratoires avec des accords passés respectivement avec la Turquie en 2016 et la Libye en 2017. Ces deux pays constituent les deux principaux pays de de départ des migrants à destination de l'Europe, mais pas les plus exemplaires en termes de respect des droits de l'Homme. Davantage orientée dans une perspective de lutte contre l'immigration irrégulière plutôt que de sauvetage en Méditerranée, l'Europe a délégué ses responsabilités à la Turquie et à la Libye en échange de contreparties financières et logistiques colossales, qualifiées de « dépenses anti-migratoires » par Claire Rodier dans l'ouvrage Migrants & Réfugiés : Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents (2018). Les conséquences de ces accords sont bien visibles aujourd'hui : les traversées en Méditerranée et les naufrages augmentent en raison des milliers de migrants qui fuient la Libye et ses centres de détention horrifiques et le principe de non-refoulement est régulièrement bafoué par les autorités turques qui procèdent à des expulsions de migrants sur les îles grecques (Lesbos, Évros, etc.) en réponse à leurs engagements pris avec l'Europe. Les décisions politiques et les actions allant avec ne sont plus pensées pour les migrants et leur bien-être, mais pour servir les intérêts de chacun, avec une volonté manifeste de fermer les frontières pour mieux contrôler les flux migratoires.

Le deuxième volet de la politique migratoire européenne consiste en un contrôle accru de la zone méditerranéenne et des frontières, assuré par l'agence Frontex et divers acteurs comme les autorités maritimes italiennes. Le rôle et la responsabilité selon la présence en eaux territoriales ou en eaux internationales, zones expliquées dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, sont sans cesse remis en question à cause de la bataille livrée par les garde-côtes libyens envers les ONG de sauvetage. Les principes de la Convention sur la délimitation des eaux en Méditerranée sont respectés par les ONG en tout point malgré une présence régulière à proximité, voire même dans, les eaux territoriales libyennes: ils appliquent le principe de cas de force majeure consistant à intervenir lorsque des personnes sont en danger, ce qui est le cas pour les migrants en détresse ou se faisant intercepter par les garde-côtes libyens, et le principe de passage inoffensif dans les eaux libyennes puisque leur seul et unique but est de secourir.

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Le troisième volet concerne le refoulement effectué sous couvertures des hotspots, qualifiés de centres d'accueil, d'identification et d'enregistrement où tout migrant doit se rendre en arrivant en Italie ou en Grèce, mais s'apparentant davantage à des prisons visant à expulser le maximum de personnes. Les conditions de vie y sont désastreuses, et de nombreuses entités internationales comme le HCR ont appelé les politiques européennes à revoir leur décision étant donné l'inefficacité des hotspots. Tout comme les refoulements régulièrement exercés aux frontières européennes, les îles européennes de Lampedusa, Lesbos, Évros, Chios, Samos, etc. n'ont jamais eu vocation à accueillir et préparer les migrants pour leur entrée en Europe. Il s'agissait surtout d'une manière de pouvoir les maintenir hors du territoire européen et de faire en sorte qu'une majorité d'entre eux soient renvoyés dans leur pays. Le mécanisme de relocalisation imposé par la Commission européenne en 2015, planifiant la répartition de 160 000 migrants entre différents états européens, s'est révélé totalement inefficace et n'a fait que renforcer le désengagement flagrant de plusieurs États européens.

La partie sur le Déni de solidarité et la difficulté d'un consensus européen a permis de mettre en exergue les différentes prises de position des États européens quant à la question migratoire et leurs divergences qui entravent l'élaboration d'une politique commune et efficace. Sans volonté de dénoncer ou de prendre parti, il a fallu expliquer en quoi l'Europe violait certains principes de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés à travers sa politique migratoire. De plus, il y a une certaine criminalisation des ONG de sauvetage et pire encore, des moyens mis en place pour entraver leur travail et les empêcher de ramener les migrants en Europe. Seulement, si l'Europe ne compte plus envoyer de navires de secours en Méditerranée et que certains de ses États tentent les ONG de le faire (l'Italie notamment), qui sauvera les migrants en détresse ? Car, il faut bien le préciser, les ONG ne sont pas complices de la traversée des migrants et ne créent pas ce fameux « appel d'air » : les migrants risquant pour leur vie dans leurs pays, ou en Libye, cherchent à tout prix à fuir et tentent de rejoindre l'Europe malgré tout, ONG de sauvetage présentes en mer ou non.

Ainsi, la mer Méditerranée représente une zone de contrôle et de refoulement des migrants aux portes de l'Europe, et même une frontière meurtrière il faut le dire, puisqu'elle sert de terrain d'exploration et d'expérimentation à la politique migratoire européenne mise en place depuis 2015. S'il a été expliqué dans ce mémoire que l'Europe a été surprise et non préparée à l'afflux soudain de migrants en 2015 (qui était pourtant prévisible), elle y a riposté sans prendre en considération l'ampleur des drames en Méditerranée, ni les valeurs qu'elle prône depuis sa création. Pourtant, faciliter la venue des migrants en Europe venus trouver

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refuge et protection fait partie intégrante des droits de l'Homme et si l'UE déploie tous les moyens pour les refouler à ses frontières, quel est l'intérêt d'avoir créé et ratifié la Convention de Genève de 1951 et son Protocole additionnel de 1967 si ses principes sont sans cesse bafoués ? À l'origine, la Convention de 1951 avait été créée pour les victimes de la Seconde Guerre mondiale, donc les victimes en Europe, afin de les protéger et leur garantir des droits, ainsi, pourquoi les autres personnes n'auraient-elles pas le droit de venir chercher refuge en Europe ? De traverser les frontières et de demander l'asile ? D'avoir une possibilité que leur dossier soit examiné et le statut de réfugié octroyé ? Les ancêtres de l'Europe actuelle ont bénéficié des avantages de la Convention de 1951 à l'époque, nous devrions donc nous sentir concernés par la situation actuelle et militer activement pour les droits des migrants et des réfugiés.

Mais rien n'y fait : actuellement, il s'agit de contrôler, éloigner et refouler toujours plus les migrants, quitte à les confronter à une mort certaine en mer ou en les renvoyant chez eux où ils sont menacés. Cependant, rejeter les migrants qui tentent la traversée de la Méditerranée revient à rejeter le phénomène migratoire dans sa globalité et bien évidemment, un tel phénomène ne peut être ignoré ni rejeté au vu des changements mondiaux importants qui provoquent des mobilités sans précédent. Les migrations sont irréversibles, on ne peut, et ne pourra, pas les repousser indéfiniment étant donné la montée des conflits dans le monde et le changement climatique qui incite des personnes à fuir. Plutôt que d'adopter une posture de rejet et de fermeture des frontières, tous les États du monde pourraient travailler ensemble et même apporter de nouveaux éléments à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Le monde et ses citoyens sont sans cesse dans l'obligation de s'adapter aux changements politiques, économiques, climatiques et sociaux, et pour pouvoir respecter un ensemble de règles et de contraintes, il faut pouvoir redéfinir des textes juridiques internationaux et les adapter aux circonstances actuelles.

« Aujourd'hui, les véritables frontières ne sont pas entre les nations mais entre les puissants et les impuissants, les hommes libres et les enchaînés, les privilégiés et les humiliés. Aujourd'hui, aucun mur ne peut séparer les crises humanitaires ou les atteintes aux droits de l'homme dans une partie du monde des crises de sécurité nationale dans une autre. (...) »

- Kofi Annan

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand