3) L'errance pendant des jours et des semaines en
Méditerranée
L'interdiction d'accoster dans les ports italiens implique
l'errance en Méditerranée des navires de sauvetage humanitaires
pendant des jours voire des semaines avec des centaines de migrants à
bord. Cette situation fut largement répétée durant les
derniers mois et les témoignages à son propos sont
préoccupants : secourir des personnes qui ont failli se noyer de
justesse et les laisser sur un bateau pendant plusieurs jours les rend
extrêmement vulnérables, physiquement et psychologiquement.
L'horreur des centres de détention en Libye additionnée à
la peur de mourir noyé et au désespoir de voir les terres
européennes sans pouvoir y entrer a des conséquences dramatiques
sur les hommes, femmes et enfants présents à bord des navires de
sauvetage. La fermeture des ports touche également les ONG qui se
retrouvent livrées à elles-mêmes sans pouvoir
décisionnel et sans possibilité de négociation. Les
exemples à ce sujet sont nombreux : le plus marquant est sans doute
celui du Sea Watch 3 dont la capitaine Carola Rackete a forcé le blocus
italien imposé par Matteo Salvini en accostant de force à
Lampedusa le 29 juin 2019 après 17 jours d'errance en
Méditerranée. 17 jours durant lesquels les migrants
étaient à bord, durant lesquels les rations et les soins
s'amenuisaient, durant lesquels Carola Rackete a lancé de multiples
appels et demandes d'accoster en urgence pour prendre en charge les personnes
les plus vulnérables. À son arrivée, Carola a
été arrêtée et emmenée par la police
italienne pour avoir sauvé des vies et respecté le Droit
maritime. Seulement, que faire lorsqu'un navire erre pendant 17 jours en
Méditerranée sans possibilité d'accoster dans un port
européen
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alors que des personnes à son bord ont besoin de soins
urgents et que les rations s'amenuisent et que des centaines de demandes ont
été faites hormis accoster de force ?
Le même épisode se reproduit avec les navires
Open Arms, qui a erré en Méditerranée pendant 19 jours
avec 147 rescapés à son bord et qui a pu accoster à
Lampedusa le 20 août 2019 et l'Ocean Viking de l'association SOS
Méditerranée qui erre encore actuellement entre l'Italie et Malte
sans port où débarquer avec 356 rescapés à son
bord. Six pays, dont la France, l'Espagne, la Roumanie et le Luxembourg, se
sont engagés à accueillir les migrants rescapés de l'Open
Arms. Malgré la « victoire » du navire ayant réussi
tant bien que mal à accoster, les conditions de vie à bord durant
ces 19 jours ont été très difficiles. Le pire fut sans
doute la dizaine de migrants qui, désespérés d'être
dans une attente aussi longue, se sont jetés à l'eau. Il s'agit
là d'un acte dramatique qui interpelle sur la prise de décisions
réellement peu efficaces de l'UE et sur la nécessité d'un
changement de sa politique migratoire.
Fabienne Lassalle, directrice adjointe de SOS
Méditerranée, témoigne dans une vidéo postée
par le média France info33 le 22 août 2019 en
décrivant les conditions de vie à bord de l'Ocean Viking : les
migrants sont dans l'attente, certains, après avoir été
examiné, présentent des traces de torture physique et
psychologique suite à l'enfermement dans des centres de détention
en Libye et ont besoin de soins plus importants, la nourriture diminue de jour
en jour. Il s'agit d'un appel, d'une interpellation de l'Europe sur la
gravité de la situation et d'une demande de solution
immédiate.
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