Table des abréviations
BEAA : Bureau européen d'appui en matière
d'asile
Benelux : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg
CEDH : Convention européenne des droits de l'homme
CNUDM : Convention des Nations unies sur le droit de la mer
COPS : Comité politique et de sécurité
CPI : Cour pénale internationale
DH : Droits de l'Homme
DUDH : Déclaration universelle des droits de l'homme
EUBAM : Mission d'assistance pour une gestion
intégrée des frontières en Libye
Eurostat : European statistic
Frontex : Agence européenne pour la gestion de la
coopération opérationnelle aux frontières
extérieures des États membres de l'Union
européenne
MDM : Médecins du monde
MNA : Mineurs non accompagnés
MoU: Memorandum of Understanding
MSF : Médecins sans frontières
OIM : Organisation internationale pour les migrations
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations unies
OTAN : L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord
PAF : Police aux frontières
PECO : Pays d'Europe centrale et orientale
RIC : centre de Réception et d'Identification
SNSM : Société nationale de sauvetage en mer
UE : Union européenne
UNHCR ou HCR (United Nations High Commissionner for Refugees) :
Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
ZEE : Zone économique exclusive
Sommaire
I) La « crise » des réfugiés en
Europe depuis 2015 6
A) Évolution des traversées en mer
Méditerranée, des arrivées en Europe et de la
perception des flux migratoires des années 40 aux
années 2000 7
B) Une médiatisation grandissante du
phénomène migratoire en mer
Méditerranée depuis 2013 13
C) Mesures prises par l'Union européenne et fermeture
progressive des frontières 19
II) Du pays départ à l'arrivée aux
frontières européennes : des moyens de contrôle, de mise
à distance et de refoulement durant tout le parcours migratoire en
mer
Méditerranée 26
A) L'externalisation de la politique migratoire
européenne : double coopération
bilatérale de l'Europe avec la Turquie et la Libye 26
B) Les enjeux et conséquences du sauvetage en mer des
migrants en Méditerranée : rôle
des eaux territoriales et responsabilités 36
C) Les îles grecques : l'accueil dans les hotspots
44
III) Déni de solidarité et
difficulté d'un consensus européen 50
A) Une violation de certains principes issus de textes de lois
européens et internationaux
50
B) La criminalisation des ONG de sauvetage en mer 58
C) Difficulté d'un consensus européen sur la
gestion des flux migratoires et perspectives
d'avenir en Méditerranée 72
1
La mer Méditerranée représente
actuellement la route migratoire la plus empruntée du monde, mais
également la plus meurtrière selon l'Organisation des Nations
unies (ONU). Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés (UNHCR ou HCR), l'entité de l'ONU en charge de la
protection des réfugiés partout dans le monde, estime que depuis
2015, 750 000 personnes ont traversé la mer Méditerranée,
fuyant la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan, l'Erythrée, la Libye, le Soudan
et d'autres pays en proie à des guerres et conflits. Dans le but de
trouver refuge et protection en Europe, et contraints de fuir les conditions de
vie inhumaines en Libye, des milliers d'homme et de mineurs non
accompagnés (MNA) risquent leur vie en embarquant sur des embarcations
de fortune ou des bateaux pneumatiques surchargés. Certaines s'entassent
même dans des cales de bateau et décèdent d'asphyxie faute
de place et de manque d'air. En 2013, le projet Missing Migrants est
lancé par l'Organisation internationale pour les migrants (OIM) suite au
naufrage de 366 personnes au large de Lampedusa ayant tenté de rejoindre
l'Europe. Le but de ce projet est de retrouver et de compter les migrants,
demandeurs d'asile et réfugiés ayant disparu en empruntant des
routes migratoires internationales (mer Méditerranée,
frontière États-Unis - Mexique, etc.). Il s'agit probablement de
la source la plus fiable en termes de comptage des migrants morts ou disparus
partout dans le monde étant donné l'importante mobilisation des
recherches et l'exactitude et la précision des chiffres
communiqués régulièrement. En 2015, le Missing
Migrants Project a recensé 2 704 décès en
Méditerranée, en 2016, il en a recensé 3 216 faisant de
2016 l'année la plus meurtrière, en 2017, 2 428 personnes ont
péri en Méditerranée et en 2018, on en comptabilise 1 549.
Depuis le début de l'année 2019, 844 personnes se sont
noyées ou ont disparu en tentant la traversée de la
Méditerranée.
La problématique de la traversée de la mer
Méditerranée demeure un sujet à la fois très
médiatisé et à la fois tabou et pour cause : si les
naufrages sont régulièrement évoqués par la presse,
en revanche, la question de la responsabilité du sort des migrants qui
tentent de rejoindre l'Europe demeure sous silence et sans réponse
concrète apportée. Le rôle des passeurs dans l'aide
à la traversée de la Méditerranée par les migrants,
bien que controversé, semble arranger les politiques qui ont alors un
coupable à pointer du doigt. Néanmoins, le problème qui
subsiste s'étend bien au-delà du rôle des passeurs et de la
traversée de la Méditerranée : les politiques actuelles se
trouvent davantage positionnées sur une logique de contrôle et de
mise à distance des migrants et se ferment ainsi à toute
ouverture de dialogue pouvant mener à un changement de leur politique
migratoire. Le sauvetage des vies en mer ne semble pas être la
priorité mais la surprotection des frontières, elle, mobilise des
moyens financiers, techniques et humains
2
considérables. Si les acteurs humanitaires, comme par
exemple l'Organisation non gouvernementale (ONG) SOS
Méditerranée, organisent des opérations de sauvetage en
mer, ils n'ont pas le pouvoir de décision sur l'arrivée et
l'accueil des migrants en Europe.
Transformée en véritable frontière voulue
comme infranchissable, la Méditerranée est aujourd'hui
représentative de la montée de l'extrémisme de droite et
des mouvements xénophobes en Europe. Leurs discours politiques ne
reflètent plus que haine et rejet envers les migrants et influencent
négativement une majorité des citoyen(ne)s qui se ferment de plus
en plus à l'accueil des migrants. Figée dans une politique
migratoire datant des années 90 et n'étant plus réellement
adaptée aux circonstances actuelles en raison de la montée des
conflits dans le monde et de l'augmentation des personnes qui fuient, l'Union
européenne (UE) semble impassible face aux drames en
Méditerranée et face à l'aspect meurtrier de ses
frontières. Malgré de nombreuses rencontres et sommets
organisés ces dernières années afin de trouver des
solutions pour stopper les naufrages en Méditerranée (sommet de
l'Union européenne de Juin 2018 à Bruxelles), les États
européens ne parviennent pas à s'accorder sur une politique
opérationnelle et investie dans la traversée sécuritaire
de la Méditerranée et l'accueil décent des migrants en
Europe. La difficulté d'un consensus européen sur la question
migratoire perdure depuis des années étant donné le
positionnement et le rapport aux migrations différents de chaque
État : si l'Espagne semble réceptive à l'appel des
migrants en détresse, en répondant par exemple à l'appel
du navire Open Arms qui souhaitait faire débarquer les migrants,
l'Italie, elle, y est totalement opposée et ne souhaite plus accueillir
de migrants ni laisser les ONG pénétrer dans ses eaux
territoriales et ses ports. Face à ces divergences et à cette
unité fragmentée, comment réussir à s'accorder sur
une volonté commune qui puisse arrêter les drames en
Méditerranée ? Comment opérer des changements profonds qui
façonnent une nouvelle politique migratoire adaptée aux
situations actuelles ? Car ce sont bel et bien tous les États
européens qui sont confrontés aux flux migratoires, qui doivent
apporter des solutions préservant la vie des migrants et qui
répondent aussi, dans le même temps, aux principes de la
Convention de Genève relative au statut des réfugiés.
Malheureusement, actuellement, les droits des migrants et
réfugiés sont régulièrement bafoués et
l'Europe semble loin d'être le continent des droits de l'Homme qu'elle
dit représenter depuis sa création. Dans une logique de
contrôle et de mise à distance, l'UE procède à une
délégation de la gestion des flux migratoires à des pays
comme la Libye et la Turquie en passant des accords avec ces derniers afin
qu'ils interceptent et gardent les migrants « chez eux ». À ce
jour, seuls les navires affrétés par des ONG, par quelques
États comme l'Espagne et de temps
3
en temps ceux de Frontex, sont présents en
Méditerranée afin de repérer et secourir les bateaux et
personnes en détresse. Il est important de savoir que tous les migrants
ayant parvenu à arriver aux frontières européennes ont
été secourus : à ce jour, aucune embarcation partie de
Turquie ou de Libye n'a réussi à arriver « à bon port
» étant donné les conditions extrêmes de la
traversée en Méditerranée et la précarité
des embarcations des migrants. Les initiatives comme l'opération
Mare Nostrum, opération de sauvetage lancée par l'Italie
en 2013 afin de porter secours aux migrants, ont réussi à sauver
plus de 170 000 vies mais faute de solidarité des États membres
de l'UE envers l'Italie qui finançait à elle-seule cette
opération coûteuse, Mare Nostrum prend fin pour laisser
place à l'opération Triton qui est davantage
orientée dans la surprotection des frontières que dans le
sauvetage en mer.
L'Europe se retrouve actuellement face à une situation
qu'elle n'avait, jusqu'à alors, jamais anticipé, ayant toujours
soutenu les actions dédiées aux migrants et
réfugiés « de loin » principalement en finançant
les camps de réfugiés gérés par le HCR en Afrique
et au Moyen-Orient. Consciente que la Méditerranée constitue
potentiellement une zone de dissuasion envers les migrants qui en tenteraient
la traversée, l'Europe en fait son « arme » afin
d'empêcher les entrées sur son territoire.
Ainsi, dans quelle mesure la mer
Méditerranée représente-t-elle une zone de contrôle
et de refoulement des migrants aux frontières de l'Europe ? De
quelle manière l'Europe déploie-t-elle sa politique de dissuasion
et de refoulement des migrants ? Quels sont les enjeux politiques,
économiques et sociaux de la traversée de la mer
Méditerranée par les migrants ? Ce mémoire a pour but
d'exposer les moyens mis en place par l'Europe pour dissuader les migrants de
parvenir à ses frontières et pour les refouler en
déléguant leur gestion et leur accueil à des pays comme la
Libye, le Maroc ou la Turquie. Plus précisément, il s'agira
d'analyser la politique migratoire européenne actuelle, d'en extraire
les défaillances en termes des droits humains et d'apporter des
préconisations en réponse à ces défaillances. Ce
mémoire n'a pas pour finalité de prendre position ou de
dénoncer des potentiels coupables quant aux drames en
Méditerranée. Il s'agira surtout d'énoncer des faits
avérés à l'aide de sources diverses et de les analyser
afin de mieux comprendre les enjeux politiques, économiques et sociaux
qu'implique la traversée de la Méditerranée par les
migrants et dans quelle mesure les différentes parties prenantes y ont
leur responsabilité.
La première partie du mémoire sera
essentiellement axée sur du contexte : en effet, pour bien analyser le
déploiement de la politique migratoire européenne, il faut
d'abord en
4
comprendre les causes et les évolutions en prenant en
compte les changements politiques, économiques et sociaux des 30
dernières années qui ont joué un rôle dans
l'instauration progressive d'une méfiance envers les migrants. Une
analyse des évolutions des traversées en
Méditerranée, des arrivées en Europe et de la perception
des flux migratoires des années 40 aux années 2000 sera
proposée dans la première sous-partie pour démontrer le
changement progressif de la mentalité européenne vis-à-vis
de la condition des migrants. La sous-partie Une médiatisation
grandissante du phénomène migratoire en
Méditerranée depuis 2013 abordera la question de la
médiatisation importante que connait le phénomène
migratoire en Méditerranée depuis 2013 et tentera de briser le
stéréotype selon lequel les conflits dans le monde ont
poussé des millions de migrants à aller en Europe. Enfin, dans la
sous-partie Mesures prises par l'Union européenne et fermeture
progressive des frontières, il s'agira de clôturer cette
première partie de contexte en exposant le début des mesures
prises par l'UE pour une fermeture progressive de ses frontières. Cette
première grande partie a également pour but de de
démontrer que l'Europe fait face à une « crise de l'accueil
» plutôt qu'une « crise des réfugiés » : la
crise réside en effet dans le fait que l'Europe ne souhaite pas
accueillir les migrants fuyant conflits et persécutions, et ne
répond donc pas à ses devoirs, et non pas dans le fait qu'il y
ait trop de migrants ou réfugiés pour que leur gestion soit
ingérable.
La deuxième partie du mémoire abordera les
moyens de contrôle, de refoulement et de mise à distance des
migrants durant tout leur parcours migratoire en Méditerranée, de
leur départ de Turquie ou de Libye à leur arrivée aux
frontières européennes. La première sous-partie
développera les accords signés entre l'UE et la Turquie et l'UE
et la Libye, accords représentatifs de la volonté de
délégation de la gestion des flux migratoires de l'Europe en
échange de moyens financiers et techniques importants et
d'investissement dans la formation des garde-côtes libyens. Elle
évoquera également les conséquences dramatiques de
l'application de ces accords sur les migrants. La deuxième sous-partie
traitera des enjeux et des conséquences du sauvetage des migrants selon
qu'ils sauvés dans les eaux territoriales libyennes ou internationales.
En effet, si la traversée sécuritaire de la
Méditerranée n'est pas assurée, leur sauvetage l'est
encore moins : interceptés par des garde-côtes libyens, ils seront
ramenés de force dans les camps de détention en Libye,
sauvés par les ONG de sauvetage, ils seront débarqués aux
frontières européennes (îles ou territoire selon les
autorisations et les États concernés). Enfin, dans la
dernière sous-partie seront évoqués les hotspots,
dispositif instauré par l'UE en 2015 afin de trier les migrants
pour différencier ceux étant éligibles au statut de
5
réfugié. Il s'agit là d'une
manière de contrôler sévèrement les flux
d'entrées sur le territoire européen.
La troisième et dernière grande partie
Déni de solidarité et difficulté d'un consens
européen a pour but de mettre en exergue le déni de
solidarité dont fait preuve l'Europe envers la cause migratoire ainsi
que la difficulté de l'établissement d'un consensus
européen pour répondre aux défis actuels. La
première sous-partie concernera les violations des principes relatifs
à la Convention de Genève sur les réfugiés. Ensuite
seront abordés la criminalisation des ONG de sauvetage en mer et le
rôle de certains États européens dans l'entrave au travail
de ces ONG. Enfin, il s'agira de parler de la difficulté d'un consensus
européen sur la gestion des flux migratoires et des perspectives
d'avenir du sauvetage en Méditerranée.
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