Economie experimentale et théorie des jeux.par Adil FERTAH Université Cadi Ayad - Diplôme des études supérieures approfondies en sciences économiques 2003 |
SOMMAIRE
INTRODUCTIONIl y avait un temps où l'opinion communément admise était que, parce que l'économie est une science caractérisée par la complexité, naturellement des expériences en laboratoires avaient peu à offrir aux économistes. L'idée qui prévalait était que l'économie, comme discipline, est une science de pensée et de réflexion plus qu'une science d'observation, par conséquent, on croyait que les problèmes économiques peuvent être compris et résolus seulement en pensant à eux. Cependant, l'essor et le développement des techniques expérimentales ont contribué grandement au changement de cette façon de voire les choses. Ainsi, selon les termes de V SMITH1(*), en élaborant des expériences en laboratoire, nous pouvons rapidement nous apercevoir qu'un nombre important de résultats expérimentaux peuvent être répliqués par nous même et par d'autres. la conséquence, donc, est que la théorie économique sera de ce fait construite d'un ensemble de concepts et de propositions capable d'être, à n'importe quel moment et par n'importe qui, testée prouvant ainsi leur validité ou leur rejet. Le propos des techniques expérimentales ne s'arrête pas à ce stade, elles deviennent aussi un outil bien établi pour la prédiction2(*) de nouvelles observations. Cette transformation peut être expliquée par plusieurs raisons : Premièrement, comme la plupart des autres sciences, l'économie est considérée comme une science d'observation, les théories économiques sont conçues pour expliquer les activités de marchés. Toutefois, si les économistes ont développé un ensemble sophistiqué de modèles, leur capacité prédictive reste, jusqu'à présent, souvent en retrait. C'est, donc, pour pallier à cette insuffisance que les économistes ont adressé plus d'attention aux expériences en laboratoires. La deuxième raison est celle due au besoin accru des méthodes expérimentales dans les études de comportement du choix individuel. Comme les économistes se sont concentrés sur les théories microéconomiques qui dépendent des préférences des individus et du fait que celles-ci sont difficilement observables dans des environnements naturels, les économistes sont, en quelque sorte, devenu obliger de compter sur le laboratoire pour voir si les suppositions faites sur les individus étaient en fait descriptives de leur comportement effectif3(*). L'expérimentation permet par exemple de fournir des données relatives aux croyances, à l'aversion au risque, à l'apprentissage, alors que ces mêmes éléments ne sont pas en général accessibles sous leur forme naturelle4(*) (ni peuvent être produits par d'autres techniques). En plus l'environnement et l'institution qui caractérisent un protocole expérimental, non seulement ils garantissent le fait que les données produites n'ont pu être affectées par des chocs externes non pertinents, mais surtout il est possible d'effectuer plusieurs traitements expérimentaux selon que certains paramètres sont susceptibles d'affecter la prise de décision et les interactions stratégiques entre les individus. De plus, la publication en 1944, par VON NEUMANN et MORGENSTERN5(*) de leur ouvrage célèbre « Théorie des Jeux et Comportement Economique » a accéléré l'intérêt dans l'expérimentation puisque la théorie utilitaire qu'il ont présenté a ouvert la voie aux expérimentations concernées par le choix individuel. En effet, une vague d'essais expérimentaux dans le domaine économique à été lancé, au moins depuis L.L. THURSTONE (1931)6(*) considéré par A. E. ROTH7(*) un des premiers expérimentateurs en économie. Il a employé des techniques expérimentales communes dans la psychologie pour examiner si la représentation de la courbe d'indifférence des préférences pouvait avec cohérence organiser les choix des individus. En effet, le principal objectif des travaux expérimentaux est définir le domaine de validité, la pertinence et la robustesse des prédictions de modèles économiques formels tout en leur offrant une assise empirique. Les dernieres oeuvres qui peuvent être cité dans ce domaine sont celles de D. DAVIS et C. HOLT (1993)8(*), A ROTH et J.H. KAGEL (1995)9(*), T.C. BERGSTROM et J H. MILLER (1997)1(*)0 et enfin les travaux de V L. SMITH titulaire du dernier Prix Nobel (2002). Dans le but de mettre en lumière l'importance de cette méthode, notre travail a pour objectif d'évaluer l'intérêt scientifique, méthodologique et empirique du recours aux méthodes de l'économie expérimentale surtout dans le domaine de la théorie des jeux. Cette évaluation consiste précisément à réaliser une revue sélective de la littérature sur le thème « théorie des jeux et économie expérimentale ». Ceci permettra de discuter des caractéristiques propres de la méthode expérimentale en économie « Quel est son projet ? Quel est son champ d'utilisation ? ». Notamment, Nous montrerons - à travers des exemples de jeux expérimentaux- l'intérêt de l'économie expérimentale comme méthode de production de données comportementales comparativement aux méthodes habituellement utilisées en théorie des jeux. D'autre part, cette revue permet de montrer la richesse des développements théoriques permis par l'économie expérimentale. Ce travail est organisé de la façon suivante : Dans le premier chapitre nous présenterons l'économie expérimentale comme domaine de recherche bien établi. Dans un deuxième chapitre nous rappellerons (sans être exhaustif) les concepts de base de la théorie des jeux. Nous terminerons enfin avec le chapitre consacré à la mise en valeur du rapprochement entre la théorie des jeux et le laboratoire économique. Nous illustrons ce fait à travers les résultats de deux jeux expérimentaux. * 1 « experimentation changes the way you think about economics. If you do experiments you soon find that a number of important experimental results can be replicated by yourself and by others. As a consequence, economics begins to represent concepts and propositions capable of being or failing to be demonstrated ».p. 152 dans SMITH V. L. (1989), « Theory, Experiment and Economics », Journal of Economic Perspectives, Vol 3, N°1, p. 151-169. * 2 - A cet égart, le seul déterminant de la réussite des expérimentalistes est leur effort consenti dans ce sens. Comme l'a annoncé EINSTEIN : « [T]his theory is not speculative in origin ; it owes its envention entirely to the desire to make physical theory fit observed fact as well as possible... the justification for a physical concept lies exclusively in its clear and unambiguous relation to facts that can be experienced. » cité dans SMITH. (1989), op. cit. p. 152. Cette déclaration reste valable pour toute science qui se prétend être observationnelle. * 3 - Voir Chapitre I (section 2) pour les autres raisons justifiant le recours aux techniques expérimentales. * 4 - RULLIERE J L. (2003), «D'Adam Smith à Vernon Smith : la main invisible observée à travers les comportements expérimentaux, Revue d'Economie Politique, N° 3, mai-juin, p. 309-322. * 5 - VON NEUMANN J., MORGENSTERN O. (1944), Theory of Games and Economic Behavior, Princeton, Princeton University Press. * 6 - THURSTONE L.L. (1931), « The Indifference Function », Journal of Social Psychology, 2, p. 139-167. * 7 - ROTH A E. (1993), « On the early history of experimental economics », Journal of the History of Economic thought, 15, Fall, p. 184- 209. * 8 - DAVIS D. H. 1993), Experimental Economics, Princeton University Press. * 9 - KAGEL J. H., ROTH A. E. (1995), Handbook of Experimental economics, Princeton University Press. * 10- BERGSTROM T. C., MILLER J. (1997), Experiments with Economic Principles, McGraw-Hill. |
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