SECTION 1
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Les enjeux d'une gestion de crise sanitaire en
entreprise
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I. La crise sanitaire
A. La notion de crise au sens large
Afin d'apprécier la notion de crise sanitaire, il
convient de définir la crise au sens large du terme. En effet, nous
constaterons dans cette partie que le concept de crise revêt une
multitude de dimensions. Il apparait que la vision d'une crise peut être
perçue différemment selon les acteurs et le domaine
d'étude1. Par ailleurs les études menées sur le
sujet de différents sociologues et chercheurs ont permis de
définir plus précisément cette notion notamment via la
création de typologies.
1. Définition
A l'origine, une crise définissait « des
phénomènes pathologiques se manifestant de façon brutale
et intense, mais pendant une période limitée, et laissant
prévoir un changement généralement décisif, en bien
ou en mal, dans l'évolution d'une maladie »2. Selon
Hippocrate cette notion de crise renvoyait au domaine médical pour
lequel il existe une crise heureuse et une crise funeste. La
crise était le moment où il fallait décider du traitement
à promulguer au patient. Le terme évolue avec l'historien grec
Thucydide dans son livre sur La Guerre du Péloponnèse
traitant du conflit entre les athéniens et les spartiates. En
effet, la crise revêt alors une nouvelle dimension, un nouvel
état, qui est la conséquence même d'une prise de
décision. Elle n'apparait plus uniquement comme un processus de
changement, mais devient un lieu de réflexion sur
l'évènement et ses origines, « moments de
vérité où s'éclairait la signification des hommes
et des événements »3.
Etymologiquement le mot crise provient du grec krisis
qui signifie décision, jugement. En cela, la crise constitue une
rupture d'équilibre qui nécessite l'adoption de choix. Cette
prise de décision va donc permettre de surmonter la crise ou bien de la
subir.
1 M. MILET (2005). Cadres de perception et luttes
d'imputation dans la gestion de crise : l'exemple de « la canicule »
d'août 2003. Revue française de science politique, vol.
55 (4), 573-605
2 Trésor de la Langue Française
(TLFI)
3 R. STARN, (1976) « Métamorphoses d'une
notion », in Communications, n° 25, pp. 4-18
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Somme toute, il est possible de décrire la crise comme
étant « un événement pénible aux
conséquences fâcheuses qui s'insère dans un
phénomène en mouvement et qui implique des individus
»1. Ainsi, pour Hermann en 1972, « une crise est une
situation qui menace les buts essentiels des unités de prise de
décision, réduit le laps de temps disponible pour la prise de
décision, et dont l'occurrence surprend les responsables ». Il
s'agit donc pour lui d'un évènement externe ou interne soudain
qui vient perturber l'équilibre de l'organisation, on parle alors
d'approche événementielle. De son côté, Shrivastava
(1988) définit les crises comme des « événements
à faible probabilité et à fort impact ». En
réaction à la catastrophe de l'usine de pesticides à
Bhopal survenu en 1984, il ajoute toutefois, que « les crises ne sont pas
des événements, mais des processus étendus dans le temps
et l'espace » (1992). Ainsi, dans cette approche, une crise serait
l'aboutissement de plusieurs évènements à l'origine
interdépendants les uns des autres. En effet, en raison d'un contexte
organisationnel et environnemental dans lequel ils se produisent, ces
évènements évoluent, engendrant des réactions en
chaîne, objets même de l'origine de la crise.
De même, Karl E. Weick (universitaire américain -
professeur en science de l'organisation) démontre que derrière
les organisations les plus complètes en apparence (SAMU, aiguilleur du
ciel, contrôleur de central nucléaire, ...) peuvent exister de
nombreuses situations exceptionnelles ou fluctuantes qui sont de l'ordre de
l'inattendu et de l'inimaginable. Ces aléas, selon Weick (1988) «
menace les buts fondamentaux d'une organisation ». Enfin, plus
récemment, Thierry Libaert (expert en communication des organisations)
appuie cette théorie en précisant que bien souvent l'opinion
publique a tendance à confondre la crise et son élément
déclencheur comme une seule et même chose. En effet, la crise est
une sédimentation plus ou moins longue et plus ou moins complexe selon
les domaines concernés. L'élément déclencheur ne
serait que l'étincelle révélant la crise.
Perrow (1984) et Forgues (1996) développent quant
à eux une approche processuelle de la crise qui n'est pas
imprévisible. En effet, l'organisation d'une entreprise est construite
sur divers processus au sein desquels peut survenir un dysfonctionnement
potentiellement repérable. Des erreurs humaines, sociales,
entrepreneuriales ou la combinaison de celles-ci peuvent être à
l'origine d'une crise. Cette approche fait l'hypothèse que
l'évènement intervient sur un terrain
1 J. BOUMRAR (2010). « La crise : levier
stratégique d'apprentissage organisationnel. » Vie &
sciences de l'entreprise, 185-186 p.13
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propice à la survenue d'une crise. Dans ce cas,
l'origine de la crise peut être identifiée1. Les
auteurs de l'approche processuelle distinguent ainsi trois phases d'une crise
:
· La phase de déclenchement
: où se retrouvent les origines de la crise ;
· La phase aiguë : qui
concerne trois manifestations critiques :
a) la convergence des informations et des
événements vers l'entreprise ;
b) le dérèglement de ses routines de gestion ;
c) la remise en cause de son identité, sa culture, sa
mission et ses valeurs.
· Phase de rééquilibrage et de
changement : moment où l'entreprise peut opter soit
pour retourner au statu quo, soit initier un changement profond.
Par conséquent, en se basant sur l'approche
processuelle, une catastrophe ou un accident industriel peut être
considéré comme un phénomène normal bien qu'il soit
imprévu. Ce sont des « événements rares mais
inévitables » qui ne peuvent pas être une surprise,
puisqu'ils font déjà partie du système de l'entreprise
(Perrow, 1984 ; Forgues, 1996).
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