2. UNE IDENTITÉ ACCULTURÉE
L'acculturation est un processus culturel impliquant quatre
facteurs, selon John Berry, l'Assimilation, la
Séparation, l'Intégration et la
Marginalisation. Deux parmi ces facteurs peuvent être
appréhendés pour expliquer l'identité acculturée
chez Léopold Sédar Senghor : l'Assimilation et
l'Intégration. Le processus d'acculturation découle
également du contact avec un autre peuple. Cependant, nous ne pouvons
vraiment pas parler d'assimilation chez Senghor dans le sens de John Berry.
La conception de l'assimilation de John Berry implique la
renonciation totale de sa culture d'origine, tandis que chez Senghor, elle est
d'une sorte de négociation. La seule possibilité
d'appréhender l'identité acculturée de Senghor
réside dans la conception de l'intégration. Il semblerait qu'en
débusquant le grand nombre d'éléments de son
identité sans renier aucun, et en les assemblant et les alignant,
l'individu se fait une identité acculturée. C'est,
peut-être, en cherchant la réponse à la question comment
assimiler la culture de l'autre sans renier ma propre culture que celui-ci a eu
l'idée de l'identité acculturée. De ce fait,
l'acculturation chez tel individu serait le fait de s'imprégner de la
culture de l'autre pour pouvoir s'imprégner de sa propre culture.
Autrement dit, il ne s'agirait pas d'ingurgiter sans discernement les cultures
des autres et d'abandonner radicalement sa propre culture. Cela semble
justifier l'identité acculturée chez Senghor. Ce sont encore des
hypothèses. Cependant, il ne faut pas écarter l'hypothèse
que l'acculturation en Afrique est due à la colonisation.
L'identité acculturée est une identité
perçue comme la somme des différents éléments et
traits culturels issus de la rencontre de deux cultures diamétralement
opposées. En fait, elle ne peut être qu'une identité de
relation se construisant sans cesse à partir des liens qu'elle
entretient avec d'autres identités.1192 Selon René
Makounkolo et Daniel Pasquier, « la première théorie de
l'acculturation a été proposée en 1918 par Thomas et
Znaniecki »1193. À la suite des deux, Redfield
Robert, Linton Ralph et Herskovits J. Melville ont défini
l'acculturation en ces termes :
1192 Myriam LOUVIOT : Poétique de l'hybridité
dans les littératures postcoloniales, op. cit., p. 80
1193 René MOKOUNKOLO, Daniel PASQUIER, «
Stratégies d'acculturation : cause ou effet des caractéristiques
psychosociales ? L'exemple de migrants d'origine algérienne »,
Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 2008/3
(Numéro 79), p. 57
366
Acculturation comprehends those phenomena which result when
groups of
individuals having different cultures come into continous
first-hand contact, with subsequent changes in the original cultural parterns
of either or both groups.1194
Hormis les deux théories susmentionnées, celle
de John Berry est la plus référencée.
L'acculturation chez Léopold Sédar Senghor
consiste à maintenir les éléments de sa culture d'origine
tout empruntant ceux de la culture de l'autre. John Berry a appelé cela
l'intégration. Dans le sens senghorien, l'intégration est
plutôt l'assimilation culturelle et non l'assimilation individuelle. Il
faut assimiler la culture de l'autre sans se laisser assimiler, telle est la
devise de Senghor. Avec lui, il faut comprendre que l'acculturation est une
modification de sa propre culture, due au contact avec une autre culture.
L'identité acculturée serait ainsi une identité comprise
entre deux identités culturelles en contact, mieux une identité
de relation, d'arrangement, surtout de concession.
Cependant, l'étude de l'acculturation est en grande
partie liée au phénomène de l'immigration, ce qui signifie
que l'identité acculturée est étudiée chez les
sujets de l'immigration ou chez les auteurs de l'exil ou immigrants. Peut-on
parler d'immigration chez Senghor ? Sans toutefois écarter
l'hypothèse de l'immigration ou de l'exil, nous allons chercher à
comprendre la manifestation de l'identité acculturée dans sa
poésie. Pour ce faire, nous procédons à la superposition
de quelques poèmes, à savoir « Porte dorée »,
« Tout le long du jour », « Le message », «
Prière aux masques », « Que m'accompagnent koras et balafong
» (Chants d'ombre), « Prière des Tirailleurs
sénégalais », « Ndessé » (Hosties noires),
et « Chants pour Signare » (Nocturnes).
(Porte dorée)
Mes regrets, ce sont les toits qui saignent au bord des eaux,
bercés par l'intimité des bosquets
Moi dont le plus modeste taxi roule et chavire le coeur sur les
hautes vagues de l'Atlantique
Qu'une seule cigarette fait tituber comme le marin à
l'escale sur le chemin du port
Qui dis toujours aussi mal que le lointain écolier de
brousse « Bonjour, Mademoiselle...Comment allez-vous ? (Po : 8)
(Tout le long du jour...)
Tout le long du jour, tout le long de la ligne
Par les petites gares uniformes, jacassantes petites
négresses à la sortie de l'École et de la volière
(Po : 11)
(Le message)
1194 Robert REDFIELD, Ralph LINTON et Melville J. HERSKOWITS,
« Memorandum for the study of Acculturation », American
Anthropologist, 38, 1936, p. 149 (L'acculturation est un ensemble de
phénomènes qui résultent d'un contact permanent avec des
groupes d'individus de cultures différentes et qui entraînent des
changements dans les modèles culturels originaux de l'un ou de l'autre
groupes (ou des deux groupes).)
367
« Vous êtes docteurs en Sorbonne, bedonnants de
diplômes « Vous amassez des feuilles de papier - si seulement des
louis d'or à compter sous la lampe, comme feu ton père aux doigts
tenaces ! (Po : 17)
(Prière aux masques)
Masques aux visages sans masque, dépouillés de
toute fossette
comme de toute ride
Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché
sur
l'autel de papier blanc
A votre image, écoutez-moi ! (Po : 21)
(Que m'accompagnent koras et balafong)
Je ne fus pas toujours pasteur de têtes blondes sur les
plaines
arides
Pas toujours bon fonctionnaire, déférent envers ses
supé-
rieurs
Bon collègue poli élégant - et les gants ? -
souriant riant
rarement
Vieille France vieille Université, et tout le chapelet
déroulé.
[...1
Lave-moi, de toutes mes contagions de civilisé.
[...1
Je n'amène d'Europe que cette enfant amie, la
clarté de ses
yeux parmi les brumes bretonnes. (Po : 29-35)
(Prière des Tirailleurs sénégalais)
« Que nous goûtions la douceur de la terre la France
« Terre heureuse ! où l'âpreté libre du travail
devient lumineuse douceur. (Po : 68)
(Ndessé)
Ah ! me pèse le fardeau pieux de mon mensonge
Je ne suis plus le fonctionnaire qui a autorité, le
marabout
aux disciples charmes.
L'Europe m'a broyé comme le plat guerrier sous les
pattes
pachydermes des tanks
Mon coeur est plus meurtri que mon corps jadis, au retour
des lointaines escapades aux bords enchantés des Esprits.
(Po : 79-80)
(Chants pour Signare)
Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore
apaisé le Dieu
blanc du Sommeil.
Je parle bien sa langue, mais si barbare mon accent !
[...1
Mon amour campagne rasée et quadrillée, pays blanc
dont
je ne suis qu'un usager
[...1
Hier à l'église à l'Angélus, ont
brillé ses yeux cierges mor-
dorant
Sa peau de bronze. Mon Dieu ! mon Dieu ! mais pourquoi
m'arracher mes sens païens qui crient ? (Po : 171-187)
Les huit textes ci-dessus ne laissent aucune trace de doute,
car ils sont empreintes affectives du poète. Mieux, ils sont bien
chargés d'affects.
Prenons pour point de départ des réseaux
associatifs issus de la superposition, l'instruction occidentale, qui a
été mise en évidence au chapitre un de la deuxième
partie de ce
368
travail, pour mieux expliciter l'identité
acculturée chez Léopold Sédar Senghor. En effet,
l'école occidentale n'avait qu'un seul but, celui de l'assimilation
totale du Noir, celui d'assimiler totalement les Africains par la diffusion de
la langue française et de faire d'eux les consommateurs de la culture
française. L'instruction occidentale est, comme les missions
chrétiennes et médecines, au nombre des moyens d'action
essentiels de la politique assimilatrice de la colonisation et de la domination
française ; et l'un des objectifs de cette instruction était,
comme déjà dit, l'assimilation totale des peuples
colonisés, car « assimiler une culture, c'est d'abord assimiler
sa langue ».1195 À l'époque coloniale, on a
instauré le symbole pour punir celui qui était pris en train de
parler une autre langue à part le français, laisse entendre
Mamadou Cissé :
En 1928, était promulgué un arrêté
qui stipulait que le français est la seule langue en usage dans les
écoles. Il est interdit aux maîtres d'utiliser des « idiomes
» du pays entre eux ou avec les élèves, en classe ou en
récréation. On instaura le « symbole » ou « signal
» afin d'humilier les contrevenants.1196
Nous avons choisi les huit textes ci-dessus, du fait qu'ils
ont une chance de laisser affleurer les processus inconscients qui permettent
de mieux comprendre l'ambiguïté chez Senghor. En négligeant
les liens syntaxiques et considérant les mots s'agréger
d'eux-mêmes, selon leurs nuances affectives, nous obtiendrons des huit
textes ce qui suit :
- L'instruction occidentale : le lointain
écolier de brousse, à la sortie de l'École et de la
volière, docteurs en Sorbonne, bedonnant de diplômes, des feuilles
de papier, l'autel de papier blanc, arides de vos livres, bon fonctionnaire,
bon collègue poli élégant, vieille Université,
disciples charmés...
- L'assimilation (le civilisé) : une
seule cigarette, qui dis toujours aussi mal que le lointain écolier,
vieille France, les gants, mes contagions de civilisé, je n'amène
d'Europe que cette enfant amie, la douceur de la terre de France, l'Europe m'a
broyé, longtemps civilisé, je ne suis qu'un usager, je parle bien
sa langue, pays blanc, à l'église, l'Angélus, sa peau de
bronze...
- Le refus de l'assimilation : mes regrets, pas
toujours pasteur, pas toujours bon fonctionnaire, lave-moi de toutes contagions
de civilisé, Ah ! me pèse le fardeau pieux de mon mensonge, je ne
suis plus le fonctionnaire, mon coeur est meurtri, mais pourquoi m'arracher ses
sens païens qui crient ?
Ces réseaux associatifs groupant les idées
suivantes : l'instruction occidentale, l'assimilation et
le refus de l'assimilation, montrent que Senghor a bel et bien
vécu et expérimenté à la fois
1195 Jean-Paul WARNIER, La mondialisation de la culture,
La Découverte, Paris, 2008, p. 8
1196 Mamadou CISSÉ, « De l'assimilation a
l'appropriation : essai de glottopolitique senghorienne »,
Sudlangues, n°7, pp. 131-132
369
l'assimilation linguistique et culturelle françaises.
Mamadou Cissé s'inscrit dans cette logique, lorsqu'il dit :
Mais loin des lieux communs et cette image d'Épinal qui
lui colle à la peau comme un cliché, la trajectoire du personnage
vers « la défense et illustration de la langue française
» est concomitante à une quête identitaire et à une
recherche effrénée de repères. Il en est ainsi d'ailleurs
de toutes les personnes de sa génération ayant vécu et
expérimenté l'assimilation linguistique et
culturelle1197.
Cette assimilation linguistique et culturelle est due à
l'instruction occidentale. En effet, arraché trop tôt à son
terroir natal, Senghor n'a pas eu d'éducation traditionnelle
complète et notamment pas connu l'initiation traditionnelle
ancestrale.1198 Il fut nourri à la sève
nourricière de l'éducation et de l'initiation modernes
européennes. Cependant, conscient de ce déracinement, selon nos
réseaux associatifs, il refuse l'assimilation afin de préserver
sa culture d'origine. Ce qui ne corrobore pas ses propos. En tant qu'homme
ordinaire, il semble être favorable à l'assimilation à
travers l'école occidentale. Pour lui, l'école occidentale ou
coloniale avait pour rôle
[...] de former non des « Français moyens »,
mais des Négro-français, des hommes
modernes. Il est question d'assimilation active, de partir de
l'Afrique noire pour y revenir enrichis de technique et de l'expérience
de France1199.
Du point de vue senghorienne, l'assimilation dont il est
question est de former des Négro-français, c'est-à-dire
des hommes qui ne sont ni Africains ni Français, mais des Francophones.
Ce type d'assimilation prête une confusion totale, raison pour laquelle,
Daniel Kemajou, représentant du Cameroun à l'Assemblée de
l'Union Française avait dit que
Le projet de M. Senghor prend hardiment parti, si j'ose dire,
pour l'assimilation, quoi qu'il écrive le contraire. La moindre logique
nous autorise à affirmer que cette assimilation est inévitable
car celle des programmes d'enseignement et des méthodes entraîne
fatalement une assimilation intégrale de l'individu.1200
Senghor lui répond indirectement en disant qu'«
On pose, implicitement que l'enseignement public n'a d'autre que de former
d'actif producteurs et de bons petits fonctionnaires soumis à leurs
maîtres. »1201 En fait, Senghor y dénonce
l'assimilation excessive, et prône une
1197 Idem., p. 131
1198 Étienne SMITH, « Senghor voulait qu'on soit tous
des Senghor ». Parcours nostalgiques d'une génération de
lettrés, Vingtième Siècle. Revue
d'histoire 2013/2 (N° 118), p. 95
1199 Rapport de M. Senghor, grand conseiller de l'AOF,
député du Sénégal, 3 juin 1949, CAC 550641/8
1200 Journal officiel de l'Assemblée de l'Union
Française, session du juillet 1948.
1201 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté
1, op. cit., p. 10
370
assimilation partielle. L'assimilation senghorienne veut que
l'on soit, à la fois, plus assimilé à la culture
française et plus enraciné dans sa culture d'origine. Il s'agit
d'assimiler et non de se laisser assimiler : « trop assimilés
et pas assez assimilés ? Tel est exactement notre destin de métis
culturels ».1202
Pour exprimer concomitamment l'assimilation et l'enracinement,
il faut adopter une nouvelle stratégie. Cette nouvelle stratégie
consiste à une construction et une déconstruction du discours
colonial fondé sur l'assimilation totale et intégrale. Il ne
s'agit pas de se distinguer du reste de l'humanité au nom d'une
illusoire authenticité nègre, au nom d'une identité
figée, intangible et absolue, mais d'approprier les valeurs culturelles
françaises et les intégrer aux valeurs culturelles africaines,
car l'identité est par nature un chantier jamais achevé, un
processus par essence composite, riche de plusieurs affluents et
confluents.1203 Léopold Sédar Senghor asserte qu'elle
est la greffe de celles-ci sur celles-là.1204
L'identité senghorienne est toujours question
d'appropriation, d'adaptation, d'intégration et d'ouverture. Cette
identité reflète ce que John Berry appelle intégration. En
quête de cohérence et de l'affirmation de soi, Senghor y recherche
les repères utiles dans sa culture d'origine et celle de l'autre (ici de
la France) : « J'ai `'assimilé'' ceux-ci à
ceux-là, `' acculturé'', comme vous le dites, ceux-là
à ceux-ci. »1205 Pour lui, le Français doit
se faire Nègre parmi les Nègres ; et le Nègre doit
également se faire Français parmi les Français : «
Tu t'es fait Nègre Jean-Marie parmi les Nègres
»1206. En fait, il nous invite à nous construire
une identité acculturée qui reflètera notre situation de
métis culturel, pour dire juste, notre situation de Francophone (notre
identité francophone/ identité négro-française).
L'identité acculturée senghorienne est le fait d'assimiler sans
être assimilé, le fait d'acculturer sans perdre notre
spécificité. Dans l'entendement de Senghor, nous pouvons
assimiler et demeurer nous-mêmes, authentiques, sans être
forcément une copie de l'Occident. Nous devons être capables de
nous accommoder des réalités culturelles, différentes des
nôtres. Tel est le sens de l'identité acculturée chez
Léopold Sédar Senghor : assimilation et adaptation d'une culture
autre que la sienne tout en maintenant sa culture et son identité
d'origine. Avec l'identité acculturée, Senghor veut en venir au
métissage culturel. Ce qui semblerait une ambiguïté au
départ n'est en réalité qu'une stratégie
dialectique identitaire chez Léopold Sédar Senghor.
1202 Idem., p. 103
1203 David GAKUNZI, « le poète et la cité :
Léopold Sédar Senghor », France-Fraternités,
op. cit.
1204 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1,
op. cit., p. 103
1205 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la
poésie francophone », op. cit., p. 388
1206 Cf. « Élégie pour Jean-Marie »,
Élégies majeurs, op. cit., p. 279
371
L'individu, dans une situation d'acculturation, utilise
plusieurs stratégies pour s'adapter à la nouvelle culture tout en
maintenant sa culture d'origine. Parmi ces nombreuses stratégies,
Senghor a opté pour une stratégie dialectique identitaire. La
stratégie dialectique identitaire est un processus de
réciprocité et d'échange des cultures en contact
permettant à l'individu de conserver son identité et sa culture
d'origine et de s'accommoder de la culture et de l'identité de l'autre.
Mieux, elle est un processus aboutissant à l'expression de ses multiples
identités en une seule identité. En fait, comme le souligne
Edmond-Marc Lipiansky,
L'identité se construit dans une dialectique entre
l'autre et le même, la similitude
et la différence. Cette dialectique se retrouve au plan
de l'interaction entre les tendances à l'assimilation et les tendances
à la différenciation.1207
De ce fait, l'identité acculturée chez Senghor
relève d'un caractère dialectique, car il n'y a pas de rupture
entre l'identité africaine et l'identité européenne, entre
l'identité sérère et l'identité française.
Ce sont plutôt deux pôles identitaires de la même personne.
Cette identité acculturée, pour dire vrai, est l'identité
francophone. En effet, cette identité francophone est la seule
identité capable de traduire et d'exprimer, à la fois,
l'identité africaine et l'identité européenne avec une
tendance à l'assimilation et à la différenciation.
La stratégie dialectique identitaire consiste à
faire un tri pour ne choisir que les valeurs occidentales que l'Afrique
assimilera et en tirera profit, comme nous pouvons l'appréhender dans
les propos de Senghor, ci-dessous :
En vérité, loin de rejeter brutalement,
stupidement les valeurs de l'Occident européen, il fallait faire un tri
par elles pour ne choisir que celles que nous pouvons assimiler, dont nous
pourrions tirer profit. D'où ma formule : « Assimiler, non
être assimilé »1208.
La stratégie dialectique identitaire, à cet
effet, conduit à une identité acculturée, qui n'est rien
d'autre qu'une assimilation dite partielle, et pour être juste une
intégration, comme l'expose John Berry. Pour Senghor, cette
identité doit justifier sa thèse de métissage. Ce qui
caractérise l'identité acculturée et l'identité
francophone, selon Senghor, est, bien sûr, le métissage :
L'idée est la même : au-delà d'un possible
métissage biologique - qui était réel à
Gorée et Saint-Louis du Sénégal, mais
là n'est pas l'important - il est question,
1207 Edmond-Marc LIPIANKSY, «Identité subjective
et interaction», Stratégies identitaires. Paris, PUF,
1990, p. 188.
1208 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français et les langues africaines », Liberté 5,
Paris, Seuil, 1993, p. 243
372
essentiellement, d'un métissage culturel. C'est ce
sentiment communautaire qui prévaut dans toutes les rencontres
francophones1209.
Et d'ajouter que la Francophonie réalise cette valeur
du métissage culturel1210, que permet l'identité
acculturée. Par l'identité acculturée, Senghor affirme
être un métis culturel, car il s'est abreuvé à la
fois à la culture africaine et à la culture française,
autrement dit, un Négro-français. Pour être plus juste,
nous disons que Senghor affirme, par l'identité acculturée, qu'il
est Francophone. Il s'est acculturé les différentes cultures qui
l'écartèlent, par une stratégie dialectique identitaire,
pour se construire une nouvelle identité culturelle, ici, une
identité francophone.
Deux facteurs ont permis d'expliquer l'identité
acculturée chez Léopold Sédar Senghor : l'école
coloniale et l'immigration (son séjour d'étude en France). En
fait, l'élucidation de cette identité a mis l'accent sur
l'instruction occidentale. Qu'elle soit en Afrique ou en France, l'instruction
occidentale est en corrélation avec le séjour d'étude chez
Senghor. Ce qui signifie qu'il s'agit en réalité d'un seul
facteur dans l'appréhension de l'identité acculturée chez
Senghor : l'instruction occidentale. Cette instruction a entraîné
des changements dans la vie et dans la culture des colonisés à
telle enseigne qu'ils ont pratiquement abandonné leurs valeurs
culturelles, voire renié leur propre identité, estime Senghor
:
Et la foule des boulevards, les somnambules qui ont
renié leur identité d'homme
Caméléons sourds de la métamorphose, et
leur honte vous fixe dans votre cage de solitude. (Po : 81)
Emmanuel Mounier confirme les propos de Senghor en disant que
« la plupart des Noirs ont une honte d'être noirs, une honte
secrète qu'ils ne font pas la leur, mais qui hante jusqu'à leur
fierté. »1211 Cette honte d'être noir,
Senghor l'a ressentie à un moment de sa vie, et cela s'explique, par le
fait, que les Noirs ne savent plus ce qu'ils sont au juste. En effet, l'Afrique
ne sait ce qu'elle est devenue depuis sa rencontre avec des peuples de
civilisations différentes, surtout sa rencontre avec l'Europe. Elle n'a
plus de cultures propres à elle, car la civilisation européenne a
tout chamboulé plongeant l'Africain dans une déculturation
totale.
1209 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la francophonie », Liberté 3, Paris, Seuil,
1977, p. 547 1210 Léopold Sédar SENGHOR, « De la
Francophonie », op. cit.
1211 Emmanuel MOUNIER, Les oeuvres, Tome 3, Seuil,
Paris, 1944-1950, p. 268
Les Africains ne savent plus s'ils doivent se
considérer tantôt comme des Européens, tantôt comme
des Africains. Ils ont une identité ambiguë. Ils cherchent,
à cet effet, des stratégies identitaires pour exprimer leur
situation de déculturation. Senghor, ayant compris, décide de
revenir en Afrique, puiser les valeurs culturelles africaines et les
intégrer aux valeurs culturelles occidentales. Il use de la
stratégie dialectique identitaire pour se construire une identité
acculturée. Avec l'identité acculturée, il n'était
pas question d'un abandon, d'un rejet total des normes culturelles africaines
et occidentales, mais d'une assimilation parfaite et partielle. Il s'agit
d'incorporer la culture de l'autre dans sa culture. En fait, l'assimilation
chez Senghor s'apparente à l'intégration chez John Berry. Il
consiste à maintenir les valeurs culturelles de soi tout en empruntant
celles de l'autre susceptibles d'être assimilées sans être
assimilé.
Avec l'identité acculturée, Senghor justifie
ainsi sa thèse de métissage, et asserte être non seulement
biologiquement métis, mais de l'être culturellement. Cette
identité acculturée va également corroborer sa
thèse sur l'identité francophone. En effet, ce qui fonde
l'identité francophone est le métissage, et Senghor veut qu'il
soit biologique et culturel. Au-delà de ces considérations ou de
ces assertions, Senghor affirme être un Francophone.
L'identité francophone est ce qui permet, selon
Senghor, d'exprimer « notre authenticité de métis
culturel »1212, ou de manifester notre identité
culturelle et notre singularité pour communier avec l'universel sans
jamais nous renier. Il n'est plus question pour un peuple quelconque, au sein
de la Francophonie, d'exprimer son identité par le concept
d'authenticité, mais par le concept d'acculturation, comme le veut
Léopold Sédar Senghor : le dépassement de ses complexes
pour s'approprier les valeurs culturelles de l'autre sans renier ses propres
valeurs culturelles. L'identité acculturée, chez Senghor, est le
fait d'exprimer son identité sérère, voire
sénégalaise dans une identité française. Il est
Négro-français, c'est-à-dire Francophone.
373
1212 Léopold Sédar SENGHOR, « Le
français, la langue de culture », op. cit. (loc.
cit.), p. 843
374
Après avoir découvert qu'il est un métis
par les liens sanguinolents (liens sanguins) à travers la thèse
de l'ancêtre portugais et des sangs mêlés, Senghor se veut
une identité propre à lui. Pour cette raison, il se constitue une
identité. Il adopte ainsi une stratégie dialectique identitaire
pour se construire cette identité. En effet, il se rend-compte qu'il est
au carrefour de deux cultures : la culture africaine et la culture
européenne. Il se découvre être, à la fois, Africain
et Européen. Il a également une parfaite connaissance des deux
cultures. Il voulait vivre ces deux cultures et demeurer lui-même. Ce qui
renvoie à l'identité de l'entre-deux.
L'identité de l'entre-deux est l'identité qui
reflète la situation conflictuelle d'une personne à multiples
identités, qui revendique son appartenance à toutes ses
identités. Une personne de l'entre-deux est un métis culturel.
Pour cette évidence, elle devient une conciliatrice, un trait d'union,
une médiatrice entre deux cultures, entre plusieurs identités.
Cependant, l'identité de l'entre-deux dépasse le cadre même
de l'entre-deux culturel pour revêtir d'autres caractéristiques.
Elle se meut en une identité acculturée.
L'identité acculturée, loin d'être un
processus de déculturation ou l'identité d'une personne
déculturée, est l'identité d'une personne
décomplexée qui assume sa situation de l'entre-deux culturelle et
qui l'exprime sans renier ni l'une ni l'autre. Avec l'identité
acculturée, Senghor ne peut plus prétendre être un Africain
ni un Européen dans un sens univoque. Senghor, c'est l'Afrique et
l'Europe, et aussi la culture africaine et la culture européenne. Son
identité reflète sa situation, celle de métis culturel.
Cette identité lui permet d'exprimer son identité multiple,
surtout de manifester son identité culturelle et sa singularité
pour communier avec l'universel. Il ne s'agit pas d'exprimer de façon
disparate ses multiples identités, mais de les focaliser, les
concrétiser et les concentrer en un point pour que la diversité
ne soit pas choquante. Il est question d'un accord, d'une diversité dans
un accord harmonieux, d'une identité issue de plusieurs
éléments identitaires de différentes cultures en contact.
En se constituant une identité, Senghor exprime l'unité d'un
sujet divisé1213, écartelé. Ce qui signifie que
Senghor se retrouve non plus écartelé entre deux cultures ou deux
identités aussi différentes que complémentaires. Son
identité est l'unification de ce qui était divisé en lui
ou de ce qui l'écartelait. D'où l'identité
constituée.
L'identité constituée est le résultat
complexe de la combinaison entre des cultures hostiles, dont l'une se veut
supérieure à l'autre, et qui brise les barrières de la
supériorité
1213 Dominique COMBE, Poétiques francophones,
Paris, Hachette, 1997, pp. 134-135
375
culturelle. Aucune culture n'est supérieure, toutes se
valent et sont nécessaires à l'affirmation de soi. Senghor se
présente alors comme un individu de l'entre-deux qui a une
identité acculturée, poreux à toutes les cultures
susceptibles d'être assimilées sans qu'il soit assimilé.
L'identité constituée chez Léopold
Sédar Senghor est la face visible de l'identité francophone.
Cette identité francophone est multiple, car elle est le résultat
d'une rencontre culturelle, d'un facteur historique, linguistique et
psychologique. En effet, l'identité francophone permet d'unir les
éléments identitaires disparates de l'individu pour en faire un
tout, par le biais d'un sentiment de continuité historique vécue.
La langue dont parle l'individu n'aura rien à voir avec le
français standard ; elle est une langue enrichie et
fécondée. Cette langue est du français
métissé, et le dénominateur commun, le trait culturel du
Francophone. De façon psychologique, le Francophone n'est ni
Français ni Africain, il est, à la fois, soi et l'autre. Il
manifeste sa singularité et sa pluralité.
En s'appuyant sur l'identité acculturée de
Senghor, nous pouvons affirmer que le Francophone est celui qui exprime la
conciliation entre les valeurs culturelles africaines et les valeurs
culturelles occidentales, et qui le manifeste peu importe sa nationalité
ou d'où il vient. Mieux, le Francophone est ce métis biologique
ou culturel qui parle français enrichi de particularismes linguistiques,
et qui assimile la culture de l'autre sans jamais renier sa culture d'origine.
Cette ébauche de notre part permet d'aborder la question
véritable de l'identité francophone chez Léopold
Sédar Senghor dans le chapitre suivant.
376
CHAPITRE III : L'IDENTITÉ FRANCOPHONE
CHEZ LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
La plupart des personnes qui se disent Francophones sont
celles qui pensent que le fait de parler français leur octroie le droit
de posséder l'identité francophone, nous disent Laurence Arrighi
et Annette Boudreau : « La plupart des francophones du monde ont
été et sont encore aux prises avec l'idéologie du
français unique »1214. Ces personnes oublient que
l'identité francophone ne se limite pas seulement à la langue
française. Le sentiment de parler la langue française sans
particularismes fait qu'on a du mal à cerner l'identité
francophone. À cet effet, elles affirment que
Le terme francophone peine encore plus à
recouvrir une certaine acceptation de la diversité quand on en vient
à traiter des particularismes linguistiques effectives des locuteurs.
Face à celles-ci, la question de la pluralité achoppe. En effet,
la conception de la langue unique est très forte dans la conscience des
gens si bien que les différentes pratiques linguistiques des
francophones ont tendance à être occultées au profit d'un
discours visant à promouvoir une « saine »,
homogénéité, souvent subsumée à travers le
vocable français international, versant incarné et
contemporain de l'idéologie du standard.1215
En fait, elles oublient qu'il n'est plus question du
français standard en Francophonie, mais d'un français
fécondé et fécondant, et métissé. Dans le
cas de cette étude, il s'agit du français africanisé.
Le problème de l'identité francophone se pose
également à chaque fois que l'on demande : Pourquoi
écrivez-vous en français ? Pourquoi parlez-vous français ?
Vous n'êtes pas Français et puis vous vous exprimez bien en
français ? Selon Laurence Arrighi et Annette Boudreau, ce sont des
questions symptomatiques du fossé entre les locuteurs du français
hors de France et les Français. Ces questions ont tendance à
mettre d'un côté les Français, c'est-à-dire les
authentiques, et de l'autre côté les voleurs de
langue1216, les métèques, les non-Français.
C'est pourquoi, l'identité francophone est autant questionnée,
voire rejetée, puisqu'elle est
1214 Laurence ARRIGHI et Annette BOUDREAU, « La construction
discursive de l'identité francophone en Acadie ou comment être
francophone à partir des marges ? », Minorités
linguistiques et société 3 (2013) : 80-92, p. 89
1215 Idem., p. 85
1216 Cf. Jean-Louis JOUBERT. Allusion au titre de son ouvrage
Les voleurs de langue. Traversée de la Francophonie
littéraire, Éditions Philippe Rey, Paris, 2006, 190 p.
377
toujours suspectée de mettre d'un côté les
Français, locuteurs légitimes, et de l'autre côté
les autres qui le sont moins1217.
Le Francophone est l'autre qui n'est pas Français et
qui parle français ; le Francophone est également l'autre et le
Français qui font usage commun de la langue française. Confusion
totale. Et, l'identité francophone devient source de discrimination.
Léopold Sédar Senghor n'a pas échappé aux questions
symptomatiques. Avoue-t-il en ces termes :
Mais on me posera la question : « Pourquoi, dès
lors, écrivez-vous en français ? » Parce que nous sommes des
métis culturels, parce que si nous sentons en nègres, nous nous
exprimons en français, parce que le français est une langue
à vocation universelle, que notre message s'adresse aussi aux
Français de France et aux autres hommes, parce que le français
est une langue « de gentillesse et d'honnêteté. »1218
D'après les dires de Senghor, le Francophone serait un
métis culturel. Le métissage est le fondement même de
l'identité francophone. Métissage qui, pour Senghor, doit
être, à la fois, biologique, culturel, voire linguistique. N'y
a-t-il pas d'autres paramètres à prendre en compte dans
l'appréhension de l'identité francophone chez Senghor ? Si oui,
quels sont alors ces nouveaux paramètres ?
L'identité francophone est une valeur à garder
contre le danger menaçant de l'uniformisation, puisqu'elle est
unité dans la pluralité. Elle est, également, une force
organisatrice de l'être, une chance vers la connaissance de l'autre et
aux autres, parce que le moi devient inséparable de l'autre. Elle est
aussi ontologique, car elle concerne le sens de l'être. Elle est
instrumentale, dans la mesure où elle fournit au Francophone les moyens
de s'adapter au monde. Elle n'a rien de figé dans sa manière.
Mieux, l'identité francophone ne se fige jamais autour de
caractères et de valeurs échappant complètement aux enjeux
sociaux du moment. Elle est une conscience de soi en tant que parlant
français. Nous pouvons dire que l'on acquiert l'identité
francophone lorsque l'on prend conscience que cette identité est la
volonté de faire concilier l'ipséité et
l'altérité chez soi.
Cependant, nous sommes également conscient qu'il y a
une diversité de français. En fait, les Francophones parlent tous
la même langue qui est le français, mais avec des particularismes
propres à chaque Francophone. Cette langue est en constante
reproduction, car en se renouvelant, elle se réinvente et se transforme.
Comme elle, l'identité francophone se renouvelle en se construisant
à travers l'action, elle n'est pas statique. Elle est
l'identité-refuge.
1217 Laurence ARRIGHI et Annette BOUDREAU, « La construction
discursive de l'identité francophone en Acadie ou comment être
francophone à partir des marges ? », op. cit., p. 85
1218 Léopold Sédar SENGHOR, Postface
d'éthiopiques, op. cit. (loc.cit.), p. 164
378
En effet, l'identité francophone semble être
l'identité de ces nombreuses personnes qui ne savent pas ce qu'elles
sont au juste. Prises entre deux cultures qu'elles ne veulent point abandonner
ni nier, qu'elles veulent valoriser, ces personnes sont obligées de se
résigner en se réfugiant à travers une identité
capable de traduire sans complexe cet entre-deux identitaire. Senghor le
confirme en disant que
Déjà, le 15 avril 1789, dans les
Très-humbles Doléances et Remontrances des habitans (sic) du
Sénégal aux citoyens français tenant les états
généraux, des Négro-Africains se proclamaient, sans
complexe, « Nègres » et « Français ». Nous
disons aujourd'hui francophones.1219
Selon Senghor, le Francophone est celui qui proclame à
la fois être Nègre et Français. Cette appréhension
de l'identité francophone de notre part peut être sujet à
caution, cependant elle reflète la situation identitaire de
Léopold Sédar Senghor. D'ailleurs, il nous dit avec certitude
qu'il est francophone : « [...] je suis francophone [...]
».1220 L'identité-refuge est l'identité qui
permet d'unifier les différents traits et caractéristiques
identitaires chez un individu écartelé et divisé.
L'identité francophone, c'est plus que la langue
française fécondée et fécondante. Ce sont des
valeurs qui fondent cette identité. Senghor a donné ces valeurs
à travers les définitions de la Francophonie. Lorsqu'il dit que
la Francophonie est un Humanisme intégral, il insinue par-là que
le Francophone est un humaniste. Et, quand il affirme également que la
Francophonie est culture, il acquiesce le fait que le Francophone est un homme
de culture. Ce sont des valeurs certes, mais qui participent grandement de
l'identité Francophone. Nous tentons de les mettre en évidence,
dans ce chapitre, pour apporter notre modeste contribution au débat
déjà entamé sur l'identité francophone. Cela
signifie qu'au travers de la poésie senghorienne, nous allons aborder la
question identitaire humaniste d'une part, et culturelle d'autre part.
La lecture des poèmes de Senghor montre que le
poète ne se dissocie pas de l'homme, et qu'il développe les
notions telles que la solidarité, la tolérance (le pardon), le
respect de la personne humaine, l'attachement à la diversité des
cultures. En plus, il a tendance à se définir poète.
Aussi, semblerait-il que l'identité culturelle est, sans doute, le
leitmotiv de Senghor, comme le souligne Adou Bouatenin :
De ce fait, nous pouvons affirmer que la question de
l'identité culturelle a été le
leitmotiv de la poésie senghorienne [...]
L'identité culturelle francophone a toujours
1219 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la francophonie », op. cit., p. 280 1220
Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, op. cit.
(loc. cit.), p. 183
été le leitmotiv de Senghor, et ses
poèmes ne sont que le support adéquat et manifeste pour
matérialiser son concept aussi cher.1221
Comme toute identité, l'identité francophone se
conçoit à partir de l'autre, du regard de l'autre. On est
Francophone, parce que l'autre nous préoccupe, parce que l'autre est un
homme comme nous, parce que l'autre n'est pas Francophone, parce qu'on veut
s'identifier à l'autre. L'homme est le centripète de la
Francophonie, selon Léopold Sédar Senghor :
En Francophonie, il s'agit toujours de l'Homme : à
sauver et à perfectionner,
intellectuellement avec Descartes, moralement avec Pascal,
intégralement avec Teilhard.1222
Mieux, dit-il, pour connaître l'autre, il faut s'identifier
à lui. Il dit à cet effet que
Vouloir la justice pour les autres, c'est auparavant, penser
dans les pensées des
autres pour s'identifier aux autres. Ce qui est un moyen
efficace de connaissance réciproque.1223
Chez lui, l'homme équivaut à la culture. En
fait, il dit : « J'ai l'habitude de dire que, comme chef
d'État, j'ai toujours pensé que l'Homme, c'est-à-dire la
Culture, était au commencement et à la fin du
Développement. »1224
Dans l'imaginaire francophone chez Senghor, l'homme et la
culture en sont des préoccupations. Ils en sont la raison même de
la conception senghorienne de la Francophonie. Pour mettre à nu
l'identité francophone chez Senghor, le plan de notre réflexion
se dessine de lui-même, de tout ce qui est dit ci-dessus ; ainsi nous
allons nous pencher successivement sur l'identité humaniste et sur
l'identité culturelle. Pour cette présente analyse, nous
recourons à la psychocritique.
379
1221 Adou BOUATENIN, La poétique de la
Francophonie, op. cit., p. 12 et p. 14
1222 Léopold Sédar SENGHOR, « La francophonie
comme culture », loc. cit., p. 139
1223 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un
humanisme de la francophonie », Liberté 3, op.
cit., p. 284 1224 Léopold Sédar SENGHOR, Notre
librairie, n°81, op. cit., p. 106
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