Enfant naturel en droit tchadien, étude à la lumière du projet de code des personnes et de la famillepar Modeste BESBA Université de Ngaoundéré. - Master 2016 |
B- Le refus d'établir la filiation incestueuse par une double reconnaissanceL'établissement de l'égalité en droit tchadien de la filiation jusque-là n'est pas effectif. En France, depuis le Code civil de 1804, avec la succession des lois relatives à la filiation dont la dernière est l'Ordonnance du 4 Juillet 2005, il persiste toujours une inégalité dévorant l'enfant incestueux. Ainsi, il n'est pas permis d'établir la filiation incestueuse d'un enfant106(*). Cet empêchement est limité aux cas d'incestes les plus graves107(*), et cette interdiction n'est qu'unilatérale dans la mesure où l'enfant ne peut être rattaché qu'à un seul de ses parents108(*). La plupart des cas à l'égard de la mère qui par le simple accouchement est liée à l'enfant. Dans le Code civil de 1958, seul l'enfant naturel simple bénéficie de la reconnaissance. L'art. 335 de ce code interdit la reconnaissance des enfants adultérins et incestueux. Selon ce texte, certains enfants adultérins peuvent être reconnus sous réserve des dispositions de l'art. 331 du même code. L'article 331 du Code civil dispose : « Les enfants nés hors mariage autres que ceux nés d'un commerce adultérin, sont légitimés par le mariage subséquent de leurs père et mère, lorsque ceux-ci les ont légalement reconnus avant leur mariage ou qu'ils les reconnaissent au moment de sa célébration. Dans ce dernier cas, l'Officier de l'état civil qui procède au mariage constate la reconnaissance et la légitimation dans un acte séparé. Les enfants adultérins sont légitimés, dans les cas suivants, par le mariage subséquent de leurs père et mère, lorsque ceux-ci les reconnaissent au moment de la célébration du mariage dans les formes déterminées par le premier alinéa du présent article : 1. Les enfants nés du commerce adultérin de la mère, lorsqu'ils sont désavoués par le mari ou ses héritiers ; 2. Les enfants nés du commerce adultérin du père ou de la mère, lorsqu'ils sont réputés conçus à une époque où le père ou la mère avait un domicile distinct en vertu de l'ordonnance rendue conformément à l'article 878 du code de procédure civile et antérieurement à un désistement de l'instance, au rejet de la demande ou à une réconciliation judiciairement constatée ; toutefois, la reconnaissance et la légitimation pourront être annulées si l'enfant a la possession d'état d'enfant légitime ; 3. Les enfants nés du commerce adultérin du mari dans tous les autres cas ». Cette faveur ne bénéficie qu'à certains enfants adultérins. L'enfant incestueux n'a pas d'opportunités pour dévier cette interdiction de l'article 335 Code civil. Néanmoins sa filiation est établie à l'égard de sa mère, puisque la femme qui accouche est considérée comme la mère de l'enfant né d'elle. Le PCPFT veut, pour sa part assimiler tous les enfants adultérins à l'enfant naturel simple. Assimilation qui signifie que tous les enfants adultérins peuvent, dès l'adoption du PCPFT en code, être reconnus. Cette assimilation est tacite du fait qu'on ne parle plus d'enfant adultérin dans ce Projet. Néanmoins l'interdiction de la double filiation de l'enfant incestueux figurant dans le Code civil est maintenue par le PCPFT, à l'aide des dispositions de son article 308 en ce sens : « L'enfant né d'une relation incestueuse ne peut être reconnu par son père, hormis le cas où le mariage de ses auteurs n'est plus prohibé par l'effet des dispositions de l'article 146 du présent code ». Il reste à comprendre le pourquoi du maintien de la discrimination filiale à l'égard du seul enfant incestueux, alors que dans le code civil, l'enfant adultérin qui voit son statut assimilé à celui de l'enfant naturel simple dans le PCPFT, se trouve dans la même situation que celui incestueux. Pourquoi seul l'enfant incestueux est offusqué par le PCPFT ? La raison qui milite pour l'interdiction de l'établissement de la double filiation de l'enfant incestueux, en l'occurrence à l'égard de son père est sans doute la protection de l'ordre public et des bonnes moeurs. Mais cet argument est spécieux car laisser un enfant malheureux, démuni et sans filiation, est un fait de nature plus grave que la reconnaissance de ce lien et, partant, susceptible de beaucoup plus troubler l'ordre public109(*). Quant aux bonnes moeurs, c'est une notion essentiellement variable et dynamique, puisque si les bonnes moeurs d'antan admettaient cette prohibition, celle-ci ne semble pas justifier de nos jours110(*). Il faut signaler encore que l'enfant n'a pas voulu naitre, a fortiori111(*) naitre incestueux. S'il est né dans une telle situation, c'est parce que ses auteurs l'ont voulu ; donc il n'est pas question d'interdire l'établissement de sa double filiation, mais plutôt d'adjoindre à des sanctions graves de telles personnes sans décence. Enfin, il faut comme les autres enfants naturels, reconnaitre la double filiation de l'enfant incestueux. On ne peut pas priver l'enfant incestueux du bénéfice de la double filiation, puisqu'il est consacré à toute personne, par les instruments de droit international, le droit d'établir sa filiation. Donc, le législateur tchadien ne devrait pas faire subir les fautes des parents à l'enfant. C'est d'ailleurs ce qu'a fait le Burkina Faso112(*). Après avoir soulevé la discrimination qui réside en l'établissement de la filiation légitime par présomption de paternité et l'exigence d'une reconnaissance pour la filiation naturelle, il convient de ne pas penser que la possession d'état est propre à la filiation légitime. * 106NEIRINCK (C.) et al.,Droit de la famille, op.cit., p.87. * 107 Les incestes les plus graves sont les relations sexuelles entre la mère et le fils, le père et la fille ou le frère et la soeur. * 108NEIRINCK (C.) et al.,Droit de la famille, op.cit., p.87. * 109 ANOUKAHA (F.), « La filiation naturelle au Cameroun après l'Ordonnance n°81-02 du 29 Juin 1981 »,op.cit., p.35. * 110 ANOUKAHA (F.), « La filiation naturelle au Cameroun après l'Ordonnance n°81-02 du 29 Juin 1981 »,op.cit., p.35-36. * 111 En droit général, raisonnement par lequel on étend l'application d'une règle juridique à une situation autre que celle prévue, parce que les raisons de le faire sont encore plus fortes. * 112 Au Burkina Faso, cette égalité entre les enfants naturels, adultérins, incestueux et les enfants légitimes a été accompagné d'un effort technologique : on ne parle plus désormais que des enfants nés dans le mariage et des enfants né hors mariage. Le législateur du Code des Personnes et de la Famille du Burkina Faso a entendu ne pas faire endosser aux enfants les fautes de leurs parents. |
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