RESUME
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La problématique de la déliquescence
systématique de l'image de la classe dirigeante des Etats africains
francophones de la post colonie et plus précisément celle du chef
de l'Etat en personne est de plus en plus une grande préoccupation de la
littérature africaine francophone qui la pose avec une nouvelle forme de
liberté de ton et d'écriture.
Si d'habitude, du point de vue de la société
mise en texte le Président de la République revêt les
attributs d'un Dieu incarné, attributs forgés par l'appareil
idéologique qui travaille son image à savoir : les orateurs
attitrés, les intellectuels organiques, les écrivains, la presse
gouvernementale et internationale, nous découvrons toutefois chez les
auteurs africains francophones une écriture réaliste,
teintée d'humour, d'ironie et de satire, qui déconstruit
systématiquement cette pseudo-image divine et qui la projette sous des
formes extrêmement dégradées. Mongo Béti fait partie
de ces écrivains qui font du Président d'une République
dite bananière, un véritable matériau littéraire
qui structure ses trois derniers romans : L'Histoire du fou (1994),
Trop de soleil tue l'amour (1999) et Branle-bas en noir et blanc
(2000).
Mots clés : Président -Chef de
l'Etat -Dictateur- Despote -Tyran-République bananière.
Abstract:
The issue of the systematic destruction of image of the ruling
classe in postcolonial francophone African States and particularly that of the
head of State is more preoccupying in freedom of tone and writing.
If the societal writings consider the president of the
Republic as a god , consideration brought in the ideology in place ,which works
out his image :good orators ,intellectuals,writers,the governmental and
international Media ,we however discover realistic pieces of writings with
francophone African Writers, made up with humour,irony and satire which
systematically deconstruct the pseudogodly image thus excessively degrading .
Mongo Beti is one of the writers who makes the president of the Republic
considered as a «République bananière»,a genuine
literary tool structuring his last three
novels : L'histoire du fou (1994), Trop de soleil
tue l'amour (19991),and Branle bas en noir et blanc (2000)
Key words :
President -Head of State -Tyran -Dictator -
Despote « République bananière ».
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INTRODUCTION
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Beaucoup de textes de Mongo Beti représentent le peuple
africain en proie à une double force oppressive : celle des vieillards
alliés des colons, .et celle des nouveaux dirigeants qui s'illustrent
comme des dictateurs fourbes. Christian Monnin qui a perçu ces enjeux
dans Ville cruelle révèle ceci : « Il faut
encore se pencher sur les liens qui unissent les deux types d'oppression et qui
font parfois des vieillards les alliés objectifs du pouvoir blanc.
» ( Monnin 1999 :7) Autre enjeu très perceptible, c'est la
subordination des chefs traditionnels aux colonisateurs : « ...il est
logique que les chefs traditionnels soient aux ordres du colonisateur, comme le
dit l'oncle maternel de Banda » (Monnin : 7). Avec les
romans écrits après son retour d'exil, actualité oblige,
Mongo Beti a une nouvelle perception de la réalité
socio-politique de l'Afrique noire francophone postcoloniale. Sa fiction
romanesque s'enrichit de nouvelles analyses de la manière dont les
hommes politiques exercent leurs pouvoirs et gèrent la chose publique et
les hommes. Au centre de ces préoccupations : la décolonisation
manquée, la problématique de la gestion des nouveaux ordres
politiques que sont : l'indépendance, la chute du mur de Berlin, le
discours de la Baule et les transitions démocratiques. Qui sont
ceux-là que l'ancienne métropole a choisis pour jouer ce
délicat rôle et pour conduire à bon port le gouvernail des
nouveaux Etats ?
L'objet de cette modeste réflexion est de noter chez
l'écrivain Mongo Beti, un portraitiste qui amorce avec force humour et
ironie le renouvellement de la perception du pouvoir dans la fiction romanesque
africaine en cette aube de troisième millénaire.
I-HERITIERS DU POUVOIR COLONIAL ET DICTATEURS TYRANS
De prime à bord, lorsque nous lisons Mongo Beti dans
ses trois derniers romans, l'image qui se dévoile des chefs d'Etat de
l'Afrique noire francophone est celle des dignes héritiers du pouvoir
colonial dans un contexte de décolonisation manquée. Ces derniers
qui règnent en dictateurs aveugles sur leur peuple muselé et
timoré sont malheureusement
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réduits eux- aussi par leurs maîtres tapis dans
l'ombre à un rôle piteux de pantins au service du rayonnement
exclusif de l'ancienne métropole.
1-1- Héritiers marionnettes
Chronologiquement, L'Histoire du fou, roman
publié en 1994, remonte aux sources de l'indépendance du
Cameroun, à en juger par la palette d'événements
historiques et par l'emploi des datations chiffrées. Le narrateur montre
ici, avec force emphase, le rôle historique de la France, championne des
manoeuvres de basse besogne, dans la désintégration et dans
l'installation au pouvoir d'un « dictateur complaisant »
:
Ce fléau ( la délation) n'avait cessé de
dévaster la jeune République depuis son indépendance
proclamée le 1er Janvier 1960 dans le tumulte, la discorde et
le sang, trois malédictions dont le mariage maléfique allait
infliger tragédie sur tragédie à notre peuple (...) Trop
heureuse de saisir enfin l'occasion d'une revanche facile sur ses
déboires asiatiques, l'ancienne métropole jeta dans la balance
son expérience de manoeuvrière à la fois politique et
militaire : elle installa un dictateur complaisant et lui fit endosser une
guerre civile larvée. ( Mongo Beti 1994 :13)
L'oeuvre s'ouvre sur l'ère Ahidjo au Cameroun, avec
l'évocation de la date historique de l'indépendance du Cameroun,
le 1er janvier 1960. Par ailleurs, la liberté de ton choisie
par l'auteur se lit dans sa volonté de dénoncer par des
périphrases à connotation péjorative les manoeuvres
politiques et militaires de cette France qui n'est pas explicitement
dénommée ici, et le nouveau chef d'Etat dont la première
désignation revêt déjà un caractère
dépréciatif : « un dictateur complaisant ».
En effet, le dictionnaire universel définit le
dictateur en ces termes : « homme politique qui exerce un pouvoir
absolu, sans contrôle.» (Dictionnaire universel 1995 : 359)
C'est d'ailleurs sous cette appellation que le chef de l'Etat sera
régulièrement mis en texte dans notre corpus.
Comme le montre le narrateur à l'aide de l'image
mythologique « enfer », et la périphrase : « Pantin
» de l'hyperbole : « les ruses les plus révoltantes
», et du paradoxe « le langage de la haine et celui de la
réconciliation » .le chef de l'Etat qu'il se refuse de
dénommer ici « cet homme », n'est qu'un
véritable pantin rusé et extrêmement violent :
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Chacun, et sans doute lui-même le premier, sentait que cet
homme s'était condamné à l'enfer de la fuite en avant
interrompue, pantin interchangeable, loufoque et pourtant tragique, parant
toujours au plus pressé, il devait désormais accumuler ces ruses
les plus révoltantes (...) tenir tour à tour mais dans un
même élan le langage de la haine et celui de la
réconciliation, invectiver un jour pour supplier le lendemain, prodiguer
de la main gauche ce qu'il retirait de la main droite, ou vice-versa. (Mongo
Beti : 185)
Pour les exilés de retour d'exil, ces dictateurs ne
sont que des marionnettes :« la foule avait eu la révélation
soudaine de ce que les intellectuels exilés, auparavant taxés
d'extrémisme, répétaient depuis toujours : ses dirigeants
étaient autant de marionnettes dont les ficelles étaient
tirées par l'étranger. » (Mongo Beti : 95)
« L'étranger » ici renvoie à
l'ancienne métropole, pour ne pas citer la France. D'ailleurs, cette
France fait office de protectrice desdits pantins :
Lui-même excepté, sans doute aussi ses
protecteurs de l'ancienne métropole, chacun présentait maintenant
que le destin du dictateur, instrument d'un monde présomptueux, dont il
incarnait si bien l'aveugle entêtement et la déshumanisation,
était de se fracasser un jour contre le mur. (Mongo Beti : 186)
L'image de l'apprenant pantin resté sous l'emprise
tutélaire d'un maître reste très visible dans le texte de
Mongo Beti qui, puisant dans la réalité, fait dire à
Moustapha, l'un des personnages de Branle-Bas :
Ecoute ceci : quand ce nullard de chef de l'Etat, tu sais, le
meilleur élève de Français Mitterrand, pressé par
le FM, a décidé de nous sucrer les trois quarts de nos salaires,
des collègues nous ont proposé de former un syndicat et
d'entreprendre un bas avec le régime, sous forme de grève
illimitée. (Mongo Beti 2000 : 205-206)
Cet héritage colonial et cette extrême
dépendance des Présidents marionnettes ont amené Ambroise
Kom à se poser la question de savoir : « l'aliénation
culturelle suffit-elle à expliquer la fidélité avec
laquelle les héritiers successifs du pouvoir colonial continuent de
servir les intérêts métropolitains ? » ( Kom 2000
: 8-9)
Jérémie Kroubo Dagnini, dans une étude
des dictatures et du Protestantisme en Afrique noire depuis la
décolonisation, atteste avec force détails ce pouvoir que les
dictateurs ont hérité de l'ancienne métropole. «
Mis au pouvoir par l'entreprise pétrolière ELF, de l'aveu
même de son PDG (de 1989 à 1993),Loik Le Floch Prigent ,
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Paul Biya succéda au président Ahmadou
Ahidjo, qui avait été lui-même mis en place par Jacques
Foccart. » ( Kroubo Dagnini 2008 : 121)
Il ne fait aucun doute que les dictateurs africains d'une
génération à une autre sont des purs produits de la
France. C'est ailleurs ce que Monkam Yvonne-Marie perçoit très
bien de ses lectures de Mongo Beti lorsqu'elle affirme :
« D'après Mongo Beti, la déconfiture multidimensionnelle de
l'Afrique francophone est le fait d'une décolonisation avortée,
la France ayant usé de ses astuces pour maintenir sa présence et
son pouvoir sur le continent noirs. » ( Monkam 2009 : 67)
Il se dégage de ces analyses, l'image des
héritiers du pouvoir colonial. Il apparaît que ce sont de
véritables pantins à la solde du maître- manipulateur et
manoeuvrier. S'il
est vrai que ces postiches tirent leur pouvoir non du peuple,
mais du bienfaiteur colonial, il ressort que la confiscation ou l'exercice
absolu de ce pouvoir fait d'eux de véritables
dictateurs sanguinaires et de tyrans fourbes et sournois.
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