Chapitre 2: La notion de puissance et d'influence au
coeur de l'interdépendance
Grâce aux deux instruments de mesure qu'ont
développés les auteurs, les rapports de puissance sont au centre
de l'analyse de l'interdépendance complexe.
Section 1 : L'interdépendance
asymétrique
La notion de puissance, que R. Keohane et J. Nye
définissent comme la capacité d'un acteur à obtenir des
autres ce qu'il désire, peut être dégagée en
situation d'interdépendance au moyen de
106 Ibid., pp. 226-227.
107 Ibid., pp. 230.
108 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 246.
109 « Power over outcomes », NYE Joseph S.,
« Independence and Interdependence », art. cit. p. 147.
110 BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, op. cit. p. 230.
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deux instruments de mesures précédemment
définis : « sensitivity » et «
vulnerability »111. Ces deux concepts permettent
effectivement de comprendre le rôle de la puissance dans une situation
d'interdépendance. L'idée s'inscrit dans la continuité des
autres hypothèses développées par les auteurs: dès
lors que le rôle militaire diminue, les acteurs s'appuient sur d'autres
outils pour défendre leur position telle que la manipulation d'une
situation d'interdépendance asymétrique. En effet, puisque les
acteurs sont sensibles et vulnérables au comportement des autres,
l'interdépendance est rarement symétrique. C'est
précisément cette asymétrie qui est source d'influence
entre les unités du système international112. Quelque
soit la nature de l'interdépendance (interétatique,
transnationale, intergouvernementale, sub-étatique...), celle-ci
mène potentiellement à une relation d'influence dont la
réciprocité est imparfaite. Si la sensibilité jette les
bases de ce jeu d'influence, la vulnérabilité de l'acteur la rend
effective. Pour les auteurs, un différentiel de sensibilité
conférera donc moins de pouvoir qu'un différentiel de
vulnérabilité.
Section 2 : L'exemple de Keohane et Nye
R. Keohane et J. Nye prennent l'exemple du commerce agricole
américano-soviétique entre 1972 et 1975. Initialement les
Etats-Unis ont été extrêmement sensibles aux achats de
céréales par les Soviétiques : les prix ont alors
grimpé. De même, en URSS l'absence de stock de
céréale américain pouvait avoir des répercussions
politiques ou économiques. En revanche, en termes de
vulnérabilité, l'URSS était nettement plus exposée
que les Américains : eux avaient plusieurs alternatives : stocker ces
céréales, baisser les prix sur leur territoire pour en favoriser
l'achat tandis que les Russes n'en avaient qu'une seule. Par conséquent,
le commerce de céréales constituait un levier dans les
négociations américano-soviétiques. La conséquence
d'une asymétrie dans une relation d'interdépendance est donc de
ne pas déboucher sur un partage équitable des
bénéfices, lequel peut être manipulé pour parvenir
à des fins de domination politique ou stratégique.
Section 3 : Une dimension stratégique
éloquente dans le cas de la relation sino-américaine
L'interdépendance en ce sens, recouvre une dimension
stratégique parce qu'elle peut faire l'objet d'une manipulation à
des fins politiques. En ce qui concerne notre étude nous verrons
notamment que la délivrance du statut de la nation la plus
favorisée (MFN Status) par les Américains aux Chinois
constituera à la fois un moyen de négociation efficace dans la
relation mais aussi un facteur de dissension interne au sein de l'élite
politique américaine. Cependant, manipuler
111 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and
Interdependence, op. cit. p. 11.
112 Ibid., p. 18.
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les vulnérabilités économiques ou
sociopolitiques d'un acteur n'est pas sans risque. Cela peut porter
préjudice à la relation sur le long terme parce c'est source
d'affront. Les auteurs nous rappellent d'ailleurs que cela peut
générer des représailles militaires.
Une interdépendance asymétrique peut donc
être source d'influence lorsque sur les deux Etats
interdépendants, l'un manipule l'avantage comparatif qu'il
possède dans un domaine précis sur son rival. La question, en ce
qui nous concerne, sera de savoir si l'interdépendance
sino-américaine post-Tiananmen a renforcé les
intérêts communs et apaisé les tensions ou bien à
l'inverse conduit à la permanence de celles-ci. Effectivement,
l'interdépendance sino-américaine était imparfaite, des
deux côtés. Une Chine en montée en puissance pour l'un, un
leadership américain usant de sa suprématie pour l'autre. Notre
analyse vérifiera si l'aspect vital et stratégique de
l'interdépendance l'a emporté sur le sentiment de crainte et de
méfiance.
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