Chapitre 2 : Le libéralisme en relations
internationales, une doctrine hétérogène
Alex Mcleod et Dan O'Meara tentent cependant d'identifier les
dénominateurs communs des multiples théories libérales
à commencer par les postulats ontologiques et
épistémologiques qui les structurent.
Section 1 : Ontologie et épistémologie des
libéraux
Le postulat ontologique de départ est finalement assez
proche de celui des réalistes : la structure du système
international est anarchique, composée d'Etats souverains agissant de
manière égoïste ce qui conduit parfois à des
conflits45. Initialement, l'absence de coopération demeure
donc prédominante dans ce schéma. En revanche, celle-ci demeure
possible et un but à atteindre afin de remplir les conditions de
prospérité auxquelles les Etats aspirent. Au contraire, c'est
parce que le système international est anarchique que la
coopération est nécessaire. C'est parce que l'action d'un autre
Etat dans la poursuite de ses intérêts propres entrave mon
acheminement tendant vers le même but, qu'une association devient une
option à envisager. A ce titre, le commerce constitue un facteur
essentiel de réduction des risques de conflit puisqu'il renforce
l'interdépendance entre ces acteurs. Leur comportement étant
guidé par un calcul coûts-bénéfices, celui-ci
apparaît effectivement comme un moyen rationnel de parvenir à
l'objectif de prospérité. Deuxièmement,
conformément aux idées maîtresses de la philosophie
libérale classique qui place l'individu et ses aspirations
élémentaires au premier plan, l'Etat est au centre des
préoccupations des libéraux car il est le plus à
même de représenter ces intérêts46. Mais
contrairement aux réalistes ou aux néolibéraux, fermement
stato-centrés, les libéraux admettent l'existence d'une
pluralité d'acteurs47. Le libéralisme repose
44 Ibid.
4545 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des
relations internationales, contestations et résistances, Paris,
Athéna Editions, 2007, p. 93.
46 Ibid., p. 93.
47 Ibid.
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donc sur une conception philosophique optimiste de l'Histoire
ce qui n'en fait pas pour autant une théorie purement idéaliste.
Les libéraux contemporains s'appuient en effet sur une
épistémologie empiriste48. Fondée sur
l'observation et l'expérience, leur démarche demeure
scientifique. Nous le verrons avec R. Keohane et J. Nye, il y a dans la
description des phénomènes, une volonté de rechercher les
relations de cause à effet et d'y trouver une explication à
l'aide d'indicateurs observables et quantifiables49. Cette relation
cohérente entre la raison, l'observation et l'interprétation,
fait du courant théorique libéral une approche largement reconnue
dans la discipline des relations internationales.
Section 2 : Le libéralisme, deuxième
approche générale principale des relations
internationales50
Le terme libéral est soumis à un usage
régulier, que ce soit dans le domaine politique ou économique,
pour désigner les demandes de liberté d'une société
civile refusant toute tutelle publique abusive.51 Dans le champ des
relations internationales sa signification est autre puisqu'il « remet
en cause la centralité de l'Etat tout en offrant une
représentation du monde où la force n'est plus
omniprésente. »52. De ce fait, l'approche
libérale, se présentant comme l'antithèse réaliste,
a été la principale concurrente du réalisme, et, comme le
souligne justement Dario Battistella, a même précédé
le réalisme dans la naissance de la discipline. Au
XXème siècle, les deux courants ont donc dominé
l'étude des relations internationales. Dans son ouvrage, l'auteur se
livre d'ailleurs à un brillant plaidoyer de la thèse
libérale en réfutant un certains nombres d'idées
reçues sur ce concept notant que le libéralisme en relations
internationales souffre d'une « connotation normative, sinon d'une
charge sémantique idéologique »53
très forte qui fragilise son image en tant que paradigme.
Section 3 : Les principaux courants libéraux
Malgré l'effort de synthèse des auteurs, il n'y
a pas une seule véritable théorie libérale, ce qui
explique la multitude de courants qui la composent. Nous suivrons ici les
contours de la liste dressée par Alex Mcleod et Dan O'Meara mais avec un
ordre différent : du plus au moins ancré dans la philosophie
libérale classique. Au sommet de celle-ci figure le
républicanisme qui s'appuie
48 Ibid., p. 94.
49 Ibid., p. 93.
50 BATTISTELLA Dario, Théories des relations
internationales, op. cit. p. 179.
51 ROCHE Jean-Jacques, Théories des
relations internationales, op. cit. p. 94.
52 Ibid.
53 BATTISTELLA Dario, Théories des
relations internationales, op. cit. p. 180.
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sur le modèle de la Paix perpétuelle de
Kant54. Au deuxième rang, se trouve le pacifisme commercial
partagé par des économistes tels qu'Adam Smith (1804-1865),
Richard Cobden (18041865) et d'autres qui, s'appuyant sur les idées de
Montesquieu et de Kant, perçoivent le commerce comme un facteur de
bien-être et de paix. Ensuite, l'institutionnalisme libéral de
l'entre-deux-guerres ou internationalisme libéral dont l'origine remonte
aux 14 points du Président Wilson. Ce courant qui s'opposera aux
réalistes verra cependant leur victoire après la Seconde Guerre
mondiale, à l'issue du premier débat
inter-paradigmatique55. Parallèlement, le fonctionnalisme
émergera à l'initiative de David Mitrany (1888-1975) qui
s'intéressera aux processus d'intégration56.
Successivement, Ernst Haas, principale figure du néofonctionnalisme sera
d'ailleurs le professeur de J. Nye et R. Keohane57. Enfin,
apparaissent le transnationalisme et l'interdépendance complexe dont J.
Nye et R. Keohane sont les plus importants représentants et auquel
succédera le courant théorique
néolibéral58.
Cette longue parenthèse sur le libéralisme et
ses variantes consiste, dans le cadre des préliminaires de notre
étude, à situer Power and Interdependence dans la
discipline des relations internationales. L'ouvrage de R. Keohane et de J. Nye
pose en effet un certain nombre de difficulté et clive les chercheurs
quand il s'agit de le ranger dans une catégorie théorique des
relations internationales. Conclure sur cet aspect présentera l'avantage
d'introduire notre grille de lecture théorique et d'en circonscrire le
champ d'étude.
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