Chapitre 2 : George H. Bush et la Chine face à
un contexte international bouleversé
Dans le cadre de ce chapitre, il sera question de l'influence
des événements extérieurs sur la relation
sino-américaine et son processus de redéfinition post-Tiananmen.
Dans un premier temps, il apparaît nécessaire d'introduire
quelques propositions concernant l'approche systémique.
Section 1: Définition de l'approche
systémique
L'école systémique compte parmi ses soutiens,
des réalistes tels que Robert Gilpin ou Kenneth Waltz. Pour autant, ce
choix conceptuel n'est pas dépourvu de liens avec notre cadre
théorique principal. En effet, l'approche systémique explique le
phénomène d'interdépendance (notamment sur le plan
économique) par l'analyse des liens de dépendance mutuelle et des
politiques de coopération ou de protectionnisme qui peuvent en
découler. Selon cette approche la « structure du système
international, elle-même déterminée par une série
d'éléments telle la nature de l'équilibre entre les
puissances, détermine le champ d'action diplomatique des Etats.
»252. Ce postulat émet donc l'idée que toute
politique étrangère est soumise à des pressions
politico-stratégiques et économiques. Dans le même temps,
le processus décisionnel est lui, affecté par les modifications
structurelles qui peuvent surgir dans le système international. Nous
concernant, il s'agit ici d'évaluer l'impact des
événements en Europe de l'Est et celui de la Guerre du Golfe sur
le cadre stratégique de la relation sino-américaine.
Section 2 : Les événements en Europe de
l'Est et leur impact sur la relation sino-américaine
Le socle de la relation qui avait été
justifié en 1972 par la présence d'un ennemi commun, l'URSS,
commença à s'écrouler avec les crises politiques en Europe
de l'Est. La désintégration successive des Etats communistes au
cours de l'année 1989 renforça l'antagonisme des perceptions
sino-américaines. A Washington, les bouleversements marquants en
République Démocratique Allemande (chute du mur de Berlin le 9
Novembre 1989), en Bulgarie et en Tchécoslovaquie annonçaient
l'effondrement imminent de la RPC253. Du même coup, le
caractère stratégique de la relation perdait de sa raison
d'être à mesure que le bloc soviétique s'agitait. La
nécessité de maintenir la RPC hors de portée de
l'influence soviétique, apparaissait désormais de plus en plus
252 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche,
la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op.
cit. p. 14.
253 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4
ans pour changer le monde, op. cit. p. 170.
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anachronique aux yeux de certains acteurs politiques
américains254. Pour George Bush en revanche, rien ne
changeait : l'empreinte stratégique de la relation
sino-américaine à long terme lui paraissait toujours aussi
pertinente. En bon réaliste cela créait même une situation
d'interdépendance asymétrique en faveur des Américains qui
triomphaient enfin. A Pékin le sentiment d'isolement devenait
dangereusement effectif. La chute sanglante du dirigeant communiste de la
Roumanie Ceausescu eut des effets encore plus importants sur le Parti
communiste chinois255. D'un côté, les leaders se
réjouirent de la disparition de l'adversaire soviétique et se
confortèrent dans l'idée qu'ils ne devaient pas se compromettre
avec des activistes pro-démocrates. La répression menée
place Tiananmen leur apparaissait d'autant plus pertinente dorénavant.
Dans un autre sens, la crainte était vive de voir se reproduire ces
schémas dans leur pays. A cet égard, le débat entre les
conservateurs et les réformateurs se réouvrit une nouvelle fois,
auquel Deng mit fin assez vite : la Chine devait continuer sa construction
économique, poursuivre ses réformes et sa politique de
porte-ouverte256. Dans cette recherche d'un nouveau cadre
stratégique, la Guerre du Golfe fit office de sursaut temporaire.
Section 3 : La guerre du Golfe : un partenariat
stratégique ?
Effectivement, la Guerre du Golfe offrit aux Etats-Unis et
à la Chine une occasion de coopérer stratégiquement sur
une crise internationale d'envergure. Les deux pays avaient parfaitement
conscience que leurs intérêts géopolitiques mutuels
avaient, au cours de leur histoire, joué le rôle de facteur de
rapprochement257. Par conséquent, aux mois d'Août et de
Septembre 1990, la Chine vota toutes les résolutions du Conseil de
Sécurité condamnant l'Iraq et appelant à son retrait
immédiat du Koweït, la restauration du gouvernement koweïti et
la mise en place de sanctions économiques contre Bagdad258.
Mais en Novembre 1990, les USA, constatant l'inefficacité des sanctions
économiques, cherchèrent à obtenir de l'ONU une
autorisation pour recourir à la force armée. Dès lors, le
droit de veto chinois au CSNU représenta un enjeu stratégique
pour la diplomatie américaine259. Washington s'empressa
d'envoyer son secrétaire d'Etat adjoint Richard Salomon à
Pékin pour discuter de la crise260. Mais la dernière
résolution adoptée en ce sens étant celle qui avait
autorisée les Etats-Unis à intervenir pendant la Guerre de
Corée, il était donc difficile pour Pékin de céder
son vote. Ainsi, lors des rencontres avec le secrétaire d'Etat James
254 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 103.
255 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 422.
256 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 106.
257 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 269.
258 Ibid., p. 270.
259 Ibid.
260 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Question and Answer for
A-S Solomon's Trip to Beijing - 4th of August 1990 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.
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Baker, d'abord au Caire, puis à New-York le 28 Novembre
1990261, le ministre des Affaires Etrangères chinois Qian
Qichen laissa entendre qu'un vote affirmatif était possible en
échange d'un abaissement des sanctions. Au Caire, Baker assura que les
Américains n'oublieraient pas le soutien des Chinois, et pour être
sûr que Pékin ne mette pas son veto, l'administration
américaine proposa d'inviter Qian Qichen à Washington une fois la
résolution votée. Finalement, la Chine s'abstint. L'accord
n'était pas respecté mais malgré tout, le Président
Bush accepta de recevoir Qichen262. Lors de cette rencontre, le
ministre chinois demanda avec insistance aux Américains d'approfondir la
relation et de renforcer le dialogue bilatéral. G. Bush accepta mais
insista pour que la Chine s'engage dans deux domaines importants aux yeux des
américains : les Droits de l'Homme et la non-prolifération des
armes nucléaires et des armes conventionnelles263. Qian
demanda à ce que les Américains adoptent une position plus souple
au sein de la Banque mondiale, que G. Bush conditionna si les besoins humains
fondamentaux étaient davantage respectés264. Au final,
les Chinois remportèrent une grande partie des négociations :
sans faire d'évidente concession ils s'étaient assurés
d'un assouplissement des sanctions américaines. Baker lui-même
questionna les résultats de la stratégie de l'administration
américaine à ne faire que des concessions. Malgré tout, la
fulgurante victoire américaine dans la guerre du Golfe fit craindre aux
Chinois que la bipolarité céderait le pas à un monde
unipolaire dominé par le leadership américain. Un sentiment
anti-américain resurgit au sein de la classe dirigeante chinoise.
La crise du golfe eut donc des effets ambigus sur la relation
sino-américaine. Retrouvant temporairement une dimension
stratégique, très vite celle-ci fut rattrapée par ses
antagonismes latents. Les premiers fondements de la relation
sino-américaine se posèrent dans cette première
période post-Tiananmen : la nécessité de traiter avec
l'autre s'adjoignait d'une méfiance sous-jacente.
261 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [Announcement of
Intention of China's Minister of Foreign Affairs to Attend U.N. Security
Council Meeting and to Pay Official Visit to U.S.] - 27th of
September 1990 », Digital National Security Archive, China and the
U.S., 4p.
262 Pourtant la note du département d'Etat : U.S.
DEPARTMENT OF STATE, « PRC FM Qian's Trip to New York and Washington -
25th of November 1990 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 5p., conditionne clairement la programmation du voyage
de Qian Qichen sur un vote de consensus autour de la résolution.
263 Toutes les notes du département d'Etat du mois de
Novembre 1990 traitent effectivement de ses deux thématiques à
plusieurs reprises.
264 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Meeting with Chinese
Foreign Minister Qian, November 30, The Deputy Secretary's Conference Room,
11.00 a.m. - 29th of November 1990 », Digital National
Security Archive, China and the U.S., 26p: l'intégralité des
pourparlers et des reclamations chinoises sont compiles dans ce rapport du
department d'Etat (pp 11-26).
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