Titre 1 : Tiananmen, point de rupture d'une crise
politique sino-américaine
Le 4 Juin 1989, la répression chinoise place Tiananmen
allait en effet précipiter une des plus graves crises politiques
sino-américaines depuis 1949. Tel que l'énonce Robert Suettinger,
une étude de l'impact de Tiananmen implique une analyse sur plusieurs
niveaux de prises de décision. Dans ce premier titre il s'agira
d'étudier les ressorts du soulèvement populaire chinois, son
déroulement et ses conséquences immédiates.
Chapitre 1 : L'arrivée au pouvoir de George Bush
et l'émergence de la crise de Tiananmen
Dès son arrivée à la Maison-Blanche,
George Bush prêta une attention particulière à la politique
à adopter à l'égard de la RPC. Ayant oeuvré
directement au rapprochement sino-américain dans les années 1970,
il comptait cultiver sa réputation d'« inveterate china lover
».
Section 1: G. Bush, «an inveterate China
lover»123
Par son parcours et sa politique à l'égard de la
Chine, on retient de George Bush un homme d'Etat qui a constamment
cultivé des liens étroits avec l'Empire du milieu. Pourtant, ce
ne fut pas
121 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 175.
122 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, Los Angeles, University of California
Press, 2001, p. 17: « I see history as a book with many pages, and
each day we fill a page with acts of hopefulness and meaning. The new breeze
blows, a page turns, the story unfolds. »
123 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 175.
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toujours le cas. Cependant que Nixon et Kissinger tentaient de
placer les Etats-Unis et la Chine sur la voie de la normalisation, Bush lui,
avait oeuvré à conserver le siège de membre permanent de
Taïwan au Conseil de Sécurité de l'ONU. De même,
lorsque Jimmy Carter établit officiellement des relations avec
Pékin, George Bush était devenu l'un des leaders
républicains les plus critiques à l'égard des
démocrates sur la politique chinoise adoptée124. En
réalité, ce n'est qu'une fois que les liens diplomatiques furent
solidement forgés que George Bush se fit l'ardent défenseur du
caractère stratégique de la relation sino-américaine.
Déjà, au cours de son expérience en tant que chef du
bureau des représentations en Chine d'Octobre 1974 à Août
1975, George Bush entretint des rapports privilégiés avec
certains des hauts dirigeants chinois. Ce vécu lui servit lors de sa
campagne présidentielle au cours de laquelle il reçut le soutien
de Deng Xiaoping qui rappela combien Bush avait travaillé à la
normalisation de la relation en occupant ce poste125. Plus parlante
encore fut la visite de G. Bush à l'ambassadeur Chinois Han Xu en
Décembre 1988, qui révélait les intentions du futur
Président américain dans sa politique à l'égard de
Pékin126.
Section 2 : Une fragile interdépendance
sino-américaine
Dès lors qu'il fut investi de la présidence,
George Bush, sous les recommandations de son conseiller à la
sécurité nationale Brent Scowcroft, envisagea donc très
vite un voyage diplomatique en Chine. D'abord pour rencontrer les leaders
chinois, évaluer et améliorer la relation mais aussi pour
anticiper un potentiel rapprochement sino-soviétique127. Le
prétexte fut vite trouvé : l'empereur japonais Hirohito
décéda le 7 Janvier 1989, les funérailles nationales
furent programmées pour le 24 Février. Le lendemain, le
Président américain se rendit à
Pékin128. Dans le même temps, le 26 Janvier 1989
paraissait un premier mémorandum sino-américain concernant le
commerce international et les services de lancement spatiaux
commerciaux129, signe que la relation sino-américaine
s'installait sous les meilleurs auspices. Qui plus est, près de 15 ans
après la normalisation, les économies chinoise et
américaine commençaient à s'engager sur la voie de la
mutualisation des intérêts économiques130. Pour
les dirigeants des deux pays, ce mouvement était perçu comme une
alternative fiable dans l'évolution de la relation. Une
complémentarité émergeait
124 Ibid., p. 175.
125 Ibid., p. 176.
126 Ibid., p. 176.
127 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 17.
128 Ibid.
129 OFFICE OF THE US TRADE REPRESENTATIVE, « Memorandum of
agreement between the
Government of the United States of America and the Government
of the People's Republic of China regarding International Trade in Commercial
Launch Services - 26th of January 1989 », Digital
National
Security Archive, China and the U.S., 26p.
130 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 215.
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progressivement entre la puissance la plus
développée de la planète et le plus puissant pays en
développement. Chacun y trouvait son compte : les Etats-Unis, un
marché étranger prometteur pour ses exportations, un
marché de l'investissement en expansion, la Chine, un accès
à la technologie et au vaste marché américain qui, friand
de ses biens de consommation, constituait une source non négligeable de
revenu131. Enfin, pour les Américains, cette économie
de marché socialiste exponentielle nourrissait l'espoir de voir à
terme leur modèle capitaliste et démocratique remplacer les
institutions léninistes et maoïstes chinoises.
Section 3: Les premiers signes de crise
Cependant, la réalisation des espoirs américains
dépendaient largement des réformes chinoises qui demeuraient
encore bien loin des idéaux américains. G. Bush s'en
aperçut dès la planification de son voyage à Pékin
en Février à l'occasion duquel il constata également une
nouvelle donne concernant l'opinion publique américaine. En effet, lors
de son séjour, un banquet fut proposé, regroupant des
businessmen, des cadres politiques ainsi que Fang Lizhi, astrophysicien,
opposant connu du régime chinois et défenseur de la
démocratie dans son pays. La liste des invités du banquet,
proposée par l'ambassadeur américain en Chine Winston Lord, fut
donc soumise aux dirigeants chinois qui décidèrent
secrètement et unilatéralement de bloquer l'accès de Fang
le jour du banquet132. Depuis Nixon et deux décennies de
réunion au sommet, jamais un tel incident diplomatique n'avait eu lieu
entre les délégations américaine et chinoise.
L'ambassadeur américain fut blâmé pour cette
déconvenue mais surtout, cet épisode alerta les Américains
sur la situation interne en Chine. Un rapport de la CIA publié le
même mois fait ainsi écho de l'état du régime
chinois et étudie les possibilités d'un renversement du
secrétaire général du parti de l'époque, Zhao
Ziyang. La note des services secrets américains indique effectivement
que si le leader du parti ne parvenait pas à réguler
l'économie chinoise en surchauffe (importance de l'inflation), les
risques de déstabilisation politique seraient nombreux133. A
l'occasion de son voyage, G. Bush prit également conscience que
l'opinion américaine attendait de sa diplomatie une conduite exemplaire
sur le plan moral134. Or les excuses de l'administration G. Bush
adressées au régime chinois après l'incident diplomatique
firent défaut à cette exigence. La crise politique de Tiananmen
allait à nouveau mettre l'administration américaine à
l'épreuve.
131 Ibid.
132 Ibid., p. 19.
133 U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « China: Potential
for Crisis - 9th of February 1989 », Digital National
Security Archive, U.S. Intelligence and China: Collection, Analysis, and Covert
Action, 10p.
134 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 18.
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