Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à Lyon en 1817( Télécharger le fichier original )par Nicolas Boisson Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008 |
I-1.2 Sur le plan national, la question du respect de la Charte, pomme de discorde entre constitutionnels et ultras.La question de la Charte, octroyée par le roi le 4 juin 1814, suscite depuis des débats violents au sein de la Chambre entre ultras, assez peu soucieux de son respect, et constitutionnels, fondamentalement attachés au respect de l'ensemble de ses dispositions. En ce qui concerne les libéraux de gauche, ou appelés aussi les indépendants, ils sont encore trop peu nombreux à la Chambre, en 1815, pour faire entendre leurs voix progressistes. D'après Jean-Claude Caron, ils disposent de moins de 15 députés à la Chambre en 1815161(*). Nous avons évoqué précédemment les dispositions principales de la Charte. Rappelons les à nouveau afin d'illustrer leur remise en cause par les ultras. Ce texte de 79 articles, dans sa version définitive, affirme un respect de la représentation nationale, malgré un nom et un préambule d'Ancien Régime. Cette représentation nationale est assurée par la Chambre des députés, élue au suffrage censitaire, et par la Chambre des pairs, héréditaires ou nommés à vie par le roi qui détient l'exécutif et partage le législatif avec les Chambres. Le parlementarisme n'est que de façade puisque c'est le roi qui a l'initiative des lois et qui les promulgue. En effet, l'article 14 lui permet de passer outre les Chambres, en lui donnant le droit de faire « les règlements et les ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et pour la sûreté de l'Etat. ». De plus, le roi peut dissoudre la Chambre des députés devant laquelle les ministres que celui-ci nomme ne sont pas responsables. Le niveau extrêmement élevé des conditions du cens électoral exclut la majorité de la population du vote, donc de la représentation nationale, et plus encore de la participation directe en rendant quasi-inaccessible pour celle-ci le voeu de présenter des candidats aux élections. Le corps électoral élisant la Chambre est donc très réduit, moins de 100 000 électeurs, et le nombre d'éligibles avoisine environ les 15 000, puisque pour être électeur, il faut avoir au moins trente ans et payer 300 francs d'impôts, et que pour être éligible, il faut avoir quarante ans et payer 1000 francs d'impôts. La Charte, sans proclamer les droits de l'homme, reconnaît les principes fondamentaux de liberté, d'égalité, de propriété (y compris les biens nationaux). L'indépendance des juges, le jury, et la suppression des juridictions d'exception garantissent le droit des individus. Nous verrons comment très vite sur ces points, entre autres, les ultras vont mettre fin à ces garanties en légiférant massivement durant la Terreur blanche légale. La liberté de presse est garantie mais peut devenir sujette à encadrement en cas « d'abus ». Elle sera elle aussi très vite supprimer par les ultras. La liberté religieuse est assurée par la protection de l'Etat sur les différents cultes, mais la Charte proclame la religion catholique, religion d'Etat. Cette Charte, selon Jean-Claude Caron, définit une monarchie limitée, à mi-chemin entre monarchie absolue et monarchie parlementaire162(*). Cette Charte apparaît de par ses dispositions comme un compromis fragile entre un régime royal de droit divin et des acquis des régimes précédents, que le roi et les ultras ne pouvaient balayer, mais un compromis précieux pour les modérés comme les constitutionnels et dans une certaine mesure pour les premiers libéraux de gauche, qui voient dans ce texte notamment le seul frein aux abus du camp ultra. En effet, très rapidement, on peut affirmer que cet édifice institutionnel va céder sous le poids des attaques des ultras. Nous avons présenté comment le pays sombre à nouveau dans les violences orchestrées par les bandes royalistes, que nous avons également présentées précédemment, lors du terrible épisode de Terreur blanche de l'été 1815. Louis XVIII remonte sur le trône le 8 juillet 1815 au sein d'un pays en proie à l'anarchie, aux règlements de compte de bandes ultras contre les populations qu'elles jugent coupables d'appartenance jacobine ou bonapartiste. Arrive le moins d'août 1815, les troubles ne sont toujours pas finis, et se tiennent les premières élections législatives visant à composer une première assemblée au ministère Talleyrand (juillet-septembre 1815). Les ultras, fort de leur politique de terreur, remportent largement ces élections. Ils composent pratiquement à eux seuls la première Chambre, avec environ 350 députés sur 398 sièges163(*), que Louis XVIII qualifiera « d'introuvable », à la fois surpris et inquiet de ce raz-de-marée ultra. Les députés ultras ont alors les mains entièrement libres pour transposer dans les textes la Terreur blanche animée par leurs bandes. Se greffe alors à l'automne 1815, une Terreur blanche légale. Talleyrand avait démissionné en septembre, et le nouveau ministère Richelieu (1815-1818) assisté de son ministre de la Police, Decazes, qui doutera vite de la stratégie extrême des ultras, ne pourra contenir les députés ultras à la Chambre. Le 7 octobre 1815, le roi ouvre la session de la nouvelle Chambre des députés, déjà noyautée notamment par les Chevaliers de la Foi, groupe royaliste ultra, qui se mêlent de la préparation du travail législatif164(*). D'octobre 1815 à juillet 1816, les députés ultras vont voter plusieurs grandes lois réactionnaires. Rappelons les quatre principales. - Une loi de sûreté générale (29 octobre 1815) permettant provisoirement l'arrestation de suspects de complots contre la sûreté de l'Etat. Seul le député libéral Voyer d'Argenson s'y opposa. - Une loi contre les cris et les écrits séditieux (9 novembre 1815). - Une loi organisant des cours prévôtales (27 décembre 1815). - Une loi d'amnistie (12 janvier 1816), qui exceptait de celle-ci, en les punissant d'exil, les personnes soumises à la résidence surveillée par l'ordonnance du 24 juillet 1815 et les régicides qui s'étaient ralliés aux Cent-Jours, parmi lesquels Fouché, Carnot, le peintre David... La folie des ultras n'avait dés lors plus de limite. Les historiens Jardin et Tudesq rapportent même que le gouvernement dut repousser un amendement qui visait à punir de mort la détention d'un drapeau tricolore !165(*) Des condamnations à mort, il y en eut pourtant de réelles. Comme celle qui émut beaucoup l'opinion, du maréchal Ney, condamné à mort par la Chambre des pairs et fusillé le 7 décembre 1815. De même, on peut citer le général La Bédoyère, condamné à mort et exécuté le 19 août 1815. Autre fait marquant aussi la vengeance des ultras envers les anciens membres de l'Empire, arrêté à Avignon, le maréchal Brune est assassiné et son corps jeté dans le Rhône le 2 août 1815. Selon Jardin et Tudesq, ces nouvelles lois d'exception se traduisirent par 6 000 condamnations politiques environ, dont moins de 250 par les cours prévôtales, ce qui prouve qu'elles n'avaient que peu d'utilité166(*)... Enfin, l'épuration des administrations fut beaucoup plus sévère portant peut-être sur le quart ou le tiers des fonctionnaires167(*). Cette Terreur blanche légale durera jusqu'à l'été 1816. A cette période, sur proposition secrète de Richelieu et surtout de Decazes, le roi signa le décret de dissolution de cette Chambre incontrôlable, le 5 septembre 1816. Cet épisode de la Terreur légale a révélé l'instabilité politique du régime naissant de la Charte. Les ultras, fort de leur soutien d'un écrivain et théoricien du gouvernement de la Charte comme Chateaubriand, avec son De la monarchie selon la Charte, ont réussi à paralyser le ministère, légalement et étrangement de manière moderne, par la voie parlementaire... La Chambre dissoute, des élections s'organisèrent dés le mois d'octobre 1816, avec l'espoir qu'elles ramèneraient la stabilité politique. En effet, les excès des députés ultras avaient même réussi à lasser le roi et surtout inquiétaient les autres puissances européennes. Retenons tout de même de cet épisode de Terreur blanche légale, la judiciarisation qu'elle réalise du tout jeune régime restauré de Louis XVIII. Les libertés publiques fondamentales, en principe garanties par la Charte, comme celles d'expression, notamment par voie de presse, de réunion et d'association sont dans leur ensemble écrasées par les lois des députés ultras sur la sûreté générale (29 octobre 1815) officialisant la suspicion latente de complots politiques envers les réunions d'individus, par la loi contre les cris et écrits séditieux (9 novembre 1815) mettant la presse sous haute surveillance, et la loi organisant les cours prévôtales (27 décembre 1815) créant des juridictions d'exception pour les crimes d'atteintes à la sûreté de l'Etat ou de simples troubles à l'ordre public. C'est dans ce climat d'autoritarisme judiciaire et policier que les ultras vont exciter le spectre des conspirations contre le royaume. Fait révélateur, les fortes restrictions pesant à présent sur la liberté d'expression, en interdisant toute critique du régime, visent sans aucun doute à museler l'opposition des constitutionnels et celle, plus fébrile encore en ces années 1815-1816, des libéraux et des bonapartistes. La grande crainte des ultras réside donc en ces années plus dans la société civile qu'au sein de la Chambre au regard de l'écrasante majorité qu'ils y détiennent. Leur méthode est donc de bloquer toute circulation des idées remettant en cause leur politique. Le journal est ainsi ce vecteur de civilisation en plein essor que les ultras veulent surveiller. On comprend mieux alors les observations d'Alexis de Tocqueville lorsqu'il rapportera ces impressions sur la presse en Amérique lors de son voyage en 1830-1831, réflexions plus générales sur l'influence des journaux sur une société rapportées dans son livre De la démocratie en Amérique (1er volume, 1835) : « Les journaux deviennent donc plus nécessaires à mesure que les hommes sont plus égaux et l'individualisme plus à craindre. Ce serait diminuer leur importance que de croire qu'ils ne servent qu'à garantir la liberté ; ils maintiennent la civilisation. Je ne nierai point que, dans les pays démocratiques, les journaux ne portent souvent les citoyens à faire des entreprises fort inconsidérées ; mais, s'il n'y avait pas de journaux, il n'y aurait presque pas d'action commune. Le mal qu'ils produisent est donc bien moindre que celui qu'ils guérissent. »168(*). Ce que Tocqueville souligne quinze années après le début de la seconde Restauration française, c'est le caractère fédérateur et mobilisateur du journal, le rendant indispensable à l'action politique dans une société moderne. Les ultras n'ont aucun intérêt à voir s'épanouir la civilisation française quand celle-ci souhaite réactiver le passé révolutionnaire et/ou impérial. Ils l'étouffent donc, et la censure est le premier outil naturel de cette réaction. La Chambre dissoute en septembre 1816, les élections d'octobre se déroulèrent dans un climat d'extrême tension. Le ministre de la police Decazes, très proche du roi, s'efforçait par le biais de ses préfets de promouvoir le parti des « modérés », les constitutionnels, et le roi semblait aussi manifester cette orientation, inquiet des débordements récents des députés ultras à la Chambre. Les électeurs manifestèrent le désir de modération, puisque au sein de la Chambre élue le 4 octobre, on ne comptait désormais plus que 92 députés ultras sur 238 députés élus, 146 modérés, à savoir : 131 constitutionnels et environ 15 opposants libéraux169(*). Ces élections sont d'une grande importance quant aux rapports de force politiques à venir dans le pays. Les ultras sont dés lors freinés dans leur monopôle législatif à la Chambre, mais ils demeurent la deuxième force politique du pays, une force d'autant plus influente, nous l'avons vu, de par leurs réseaux d'influence encore très efficaces. Ce nouveau rapport de forces en faveur des constitutionnels et un peu des premiers libéraux marque l'entrée de cette Restauration dans une relative phase de libéralisation du régime. Comme le notent les historiens A. Jardin et A.-J Tudesq : « Aux yeux des historiens libéraux, c'est la plus belle période de la Restauration. »170(*). Pourtant, cette nouvelle période, que l'on appelle celle du « gouvernement des constitutionnels », qui s'étend jusqu'à l'assassinat du duc de Berry le 13 février 1820, est plutôt marquée par une très grande instabilité politique due au choc permanent entre ultras et modérés, à la solide et constante montée des libéraux qui s'appuient sur une classe moyenne en relative expansion, et à un retour non institutionnel des bonapartistes, ces derniers souvent s'alliant avec le jeune parti libéral ou participant à des complots visant à renverser le régime des Bourbons. Les constitutionnels parviennent tout de même à infléchir le durcissement du régime opéré auparavant par les ultras, en faisant voter trois grandes lois « libérales » de 1817 à 1819. Nous ne retiendrons que celles-ci, du fait que notre étude porte sur l'année 1817, et nous nous concentrerons d'ailleurs plus sur la première votée en cette année. La loi la plus remarquable de cette année 1817 est la loi électorale Laîné (janvier-février 1817). Elle est imputable à la nouvelle majorité des constitutionnels, qui unis, ont permis de renouer avec les dispositions de la Charte en la matière. Le droit de vote est accordé aux contribuables âgés de 30 ans et payant 300 francs d'impôts, et le droit d'éligibilité à ceux de 40 ans et payant 1000 francs. La Chambre sera renouvelée chaque année par cinquième, ce qui remarquons le, est source de tensions électorales constantes... Cette loi favorisait le vote des classes moyennes, et cela inquiétait grandement les royalistes effrayés de la montée des libéraux, s'organisant en parti, le parti des indépendants, formé après les élections de 1817. Pourtant, ce n'est qu'à partir des élections d'octobre 1818, qui virent les succès de Lafayette, Manuel et Benjamin Constant, que les indépendants vont s'affirmer numériquement à la Chambre. On observera à cette occasion que le mouvement libéral français est double. D'un côté institutionnel, son parti s'affirme d'élections en élections et gagne en « respectabilité » bourgeoise. D'un autre côté, certains de ses membres appuient, voire organisent même directement la lutte clandestine au sein des sociétés secrètes, comme celle de l'Union de Joseph Rey qui complotera en 1820, mais aussi auparavant au sein du personnel de complots plus amateurs comme celui de Didier à Grenoble en 1816, ou notre affaire de Lyon en 1817 soutenu par tous les opposants à l'oppression réactionnaire du personnel administratif et politique ultra. Mais comme le notent les historiens Jardin et Tudesq, malgré toute cette vitalité du mouvement libéral français : « (...) la police entrevoyait cette arrière-plan de la vie politique, s'en exagérait la portée ou s'en servait. »171(*). Cette loi est aussi marquante dans le sens où elle illustre la stratégie, qui relève plus du pari, des constitutionnels d'une libéralisation du régime, qui permettrait ainsi de ramener dans la majorité la plupart des opposants de gauche. C'était l'avis de Decazes, et plus généralement du groupe des doctrinaires. Mais dés les élections de septembre 1819, cette stratégie d'ouverture à la gauche libérale prendra fin, avec un Decazes formant avec de Serre une combinaison centre-droit, il tentera de négocier un rapprochement avec les ultras. Revenons sur une seconde loi « libérale », le terme est employé par A. Jardin et Tudesq172(*), pourtant « fruit » du gouvernement des constitutionnels : la loi Gouvion-Saint-Cyr sur le recrutement et l'avancement dans l'armée (mars 1818). Cette loi organisera un recrutement militaire à la fois par volontariat et par tirage au sort, et surtout réglementait l'avancement au détriment des nobles qui ne pourront désormais plus entrer directement dans l'armée en tant qu'officiers. Cette loi avantagera encore la bourgeoisie, au grand damne des ultras. Dernier loi « libérale » des constitutionnels à évoquer, la loi de Serre sur la presse en mai-juin 1819. En fait, il s'agira de trois lois. La première, sur les crimes et les délits de presse, affirmera enfin qu'une « opinion ne devient pas criminel en devenant publique ». La seconde donnera l'assurance aux auteurs poursuivis de comparaître devant un jury et non devant un tribunal correctionnel. La troisième loi, enfin, garantira aux journaux l'assurance d'être publiés librement sous condition de déclarer le nom des propriétaires et de verser un cautionnement. Nous le voyons donc. Peu à peu, le gouvernement des modérés, des constitutionnels, va desserrer l'étau que les ultras avaient placé sur la société. Cette libéralisation sera lente et relative. Donc, pour l'heure, retenons qu'en 1817, la société française souffre toujours de la réaction politique des ultras, inaugurée dés 1815 par leur Terreur blanche illégale puis légale. Hormis la loi Laîné relative aux élections, ne favorisant d'ailleurs que la bourgeoisie montante, les constitutionnels n'ont pas réussi à assouplir d'avantage le régime dans le sens de la Charte. La France de 1817 reste caractérisée par l'instabilité et la fragilité politique. * 161 Voir Jean-Claude Caron, op.cit, p.13. Les libéraux connaîtront un réel essor électoral à partir des législatives de 1817. En 1819, on comptera 70 députés libéraux à la Chambre. Caron, op.cit, p.13. * 162 Jean-Claude Caron, op.cit, p.9. * 163 Selon Jean-Claude Caron, op.cit, p.11 et Jean-Louis Robert (dir.), op.cit, p.253. * 164 Voir A. Jardin/A. J Tudesq, La France des notables, l'évolution générale 1815-1848, op.cit, p.39. * 165 Voir A. Jardin/A. J Tudesq, op.cit, p.39. * 166 Voir Jardin/Tudesq, op.cit, p.40. * 167 Toujours selon Jardin/Tudesq, op.cit, p.40. * 168 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, édition Flammarion collection Le Monde de la Philosophie, 2008, 1191 pages, p.770, 771. Volume 2, chapitre 6, « Du rapport des associations et des journaux. ». * 169 D'après J-C Caron, op.cit, p.15 et Jardin/Tudesq, op.cit, p.44. * 170 Jardin/Tudesq, op.cit, p.43. * 171 Jardin/Tudesq, op.cit, p.45. * 172 Jardin/Tudesq, op.cit, p.47. |
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