Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à Lyon en 1817( Télécharger le fichier original )par Nicolas Boisson Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008 |
II-4.3 La thèse de la provocation policière
La thèse de la provocation policière est donc prouvée même par la brochure Lyon en 1817 publiée par le colonel Fabvier avec l'aide du lieutenant de police Sainneville. Fabvier décrit entre autre dans cette brochure qui lui valut avec Sainneville des poursuites judiciaires, le comportement des militaires au lendemain des insurrections, dont les habitants de Lyon et des communes voisines se plaignent de plus en plus. Fabvier écrit : « La ville de Lyon et les communes qui l'entourent avaient vu renaître pour elles le régime de 1793. (...) La haine avait pris la place de la justice. »274(*). Fabvier fait état de provocations policières répétées, avec : « des policiers déguisés en espions, entrant dans les cabarets pour exhorter le peuple à se révolter et dés son approbation facile dans un contexte de misère, elle (la police) s'empresse d'arrêter les plus mécontents... »275(*). Cet officier dénonce bien le règne de l'intrigue complété par celui de l'arbitraire. Fabvier poursuit en effet en précisant : « Les accusés sont malmenés, séquestrés pendant plusieurs mois sans la moindre information sur leur sort afin d'être acquittés finalement. (...) Les autorités municipales prenaient des arrêtés contraires aux lois... »276(*). Nous voyons donc au passage que le maire ultra de Lyon, le comte de Fargues, n'était pas exempt de ces manipulations et des abus de pouvoir des autorités ultras locales. Cependant, il ne faudrait pas céder à la tentation de réduire et de résumer cette conspiration du 8 juin 1817 à une simple provocation policière. Nous avons pu voir l'importance du « personnel » mobilisé pendant les insurrections et au sein des comités secrets de l'entreprise. Nombre de témoignages des accusés prouvent l'existence d'un plan originel, d'une structuration du complot en cercles indépendants, de rites d'initiation, d'entrée dans la conjuration comme le serment du poignard, de règles internes classiques des sociétés secrètes comme le voeux de silence, et enfin peut-être même l'existence d'une structure d'autorégulation au sein des conjurés : un tribunal secret sanctionnant leurs écarts de conduite au regard des règles de la conspiration. Tous ces éléments doivent nous convaincre de ne pas conclure à l'artificialité de ce complot. Coexistent donc la thèse d'une entreprise politique secrète réfléchie avec celle de sa provocation prématurée par le biais de son infiltration par des agents militaires à la solde des autorités ultras lyonnaises. Cette thèse vérifiée de la provocation policière doit d'avantage nous amener à réfléchir sur les formes déployées par la violence politique des ultras et leurs conséquences. Cette violence politique ultra révèle l'usage que peut choisir d'adopter le camp des ultras lorsqu'il se sent menacé dans ses intérêts, parfois au sein même de sa propre famille politique comme s'est présentement le cas en 1817, en opposant à la violence révolutionnaire et à l'usage du secret par les contestataires du régime, une violence d'Etat avec aussi un usage politique du secret à l'insu et contre les plans de conspirateurs potentiels, souvent infiltrés et donc manipulés. Cette confrontation entre un usage politique du secret chez les révolutionnaires et un usage politique du secret d'Etat, avec pour conséquence directe l'affrontement entre deux types de violences aux formes différenciées de la part de ces deux acteurs respectifs élargit encore l'espace de recherche en sciences sociales encore récent sur le thème du secret en politique. Pierre Serna dans un ouvrage récent de contributions collectives évoque par un article introductif des pistes de recherche sur l'affrontement de ces usages politiques du secret entre l'Etat et les groupes le remettant en cause directement ou ses dirigeants, mais aussi des pistes de recherches sur la transmission au sein de l'Etat ou au sein de ces groupes de savoirs et de pratiques relatifs à cette usage politique du secret277(*). Pierre Serna résume parfaitement ce double usage politique différencié du secret, par les tenants du pouvoir d'une part, et les opposants à ces derniers d'autre part, de la manière suivante : « Le secret constituerait donc une face cachée du pouvoir et pourrait servir, selon les conjonctures, soit à légitimer des pratiques nécessairement inconnues du plus grand public afin de préserver la bonne marche de l'Etat et en assurer l'efficacité discrète, soit à discréditer un appareil d'Etat détournant de ce qui devrait être leurs fonctions naturelles, des secrets utiles, dans le but de couvrir des agissements abusifs voire délictueux. ».278(*) Nous le constatons donc bien. Dans cette affaire du 8 juin 1817, les stratégies de l'ombre sont partagées autant par les dissidents du régime de Louis XVIII que les représentants de son autorité sur le royaume. Il y a même croisement ou rencontre entre le secret des conjurés et l'activité secrète militaire, par le biais de la technique d'agents infiltrés. Cette provocation policière de l'entreprise du 8 juin aura eu de lourdes conséquences judiciaires. La Cour prévôtale restant sourde aux révélations de Sainneville, ses condamnations seront sévères : 23 condamnations à mort, dont 11 sont exécutées, 1 commuée et 11 rendues par contumace, 4 condamnations aux travaux forcés à temps, 39 condamnations à un emprisonnement correctionnel279(*). La lourdeur des condamnations de la Cour prévôtale du Rhône suscitera l'émotion de l'opinion publique qui manifestera à présent sa réserve à l'égard des ultras lyonnais en se portant aux prochaines élections vers les constitutionnels et les libéraux. On a cité précédemment les succès électoraux conséquents de Camille Jordan, évoquons aussi la perte de la mairie de Lyon par les ultras avec après la mort du comte de Fargues le 23 avril 1818, l'élection de Rambaud, un royaliste modéré. Terminons rapidement ce second thème consacré aux réalités de la conspiration du 8 juin 1817 en illustrant l'échec de la manipulation des ultras lyonnais, l'affaire du 8 juin, obscurcie encore d'avantage par les révélations de Fabvier et Sainneville, se bouclera officiellement par une intervention du pouvoir central. * 274 Fabvier, Lyon en 1817, op.cit, in tome 2 de Conspiration de Grenoble et de Lyon 1816-1817, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, IF 436/T2, p.8, 9. * 275 Fabvier, ibid., p.9. * 276 Fabvier, ibid., p.14, 15. * 277 Voir Pierre Serna, « Pistes de recherches : Du secret de la monarchie à la république des secrets », 25 pages, in Bernard Gainot/Pierre Serna (dir.), Secret et République 1795-1840, op.cit, p.13 à 38. * 278 Pierre Serna, op.cit, p.13, 14. * 279 Selon Bruno Benoit, op.cit, p.52. |
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