3.3 La souveraineté absolue et ses
ambiguïtés
L'avènement de la République inaugure un moment
fort de la démocratie française, car il consacre une nouvelle
conception de la souveraineté. Tandis que, dans la Monarchie absolue,
76 Ibid, p. 89
77 Ibid, p. 107
celle-ci revenait de plein droit au roi, dans la
démocratie, au contraire, elle devient le privilège du peuple
français lequel est conçu comme un tout homogène.
Le transfert de la souveraineté au peuple consacre
également une nouvelle façon de voir la politique en ce qu'il
donne un autre sens à la légitimité du pouvoir. Celle-ci
dérivant désormais du peuple par des mécanismes ou des
techniques propres à la démocratie dite institutionnelle : le
suffrage universel qui est, comme dit Marc Sadoun « l'emblème
et l'identité de la démocratie française78
», l'élection et la représentation.
La souveraineté populaire signifie le fait que le
pouvoir ne dérive pas d'un transcendant, mais d'un corps politique
homogène : le peuple. Toutefois il faut dire que cette
souveraineté ne va pas sans engendrer, à la fois, des
problèmes théoriques et politiques. Elle est une construction
philosophique dont le but consistait à répondre à des
problèmes politiques particuliers, notamment à l'institution d'un
pouvoir. Puisque la démocratie française reposait sur la fiction
d'un peuple-un, alors si le pouvoir dérive de lui, la
souveraineté ne peut alors nécessairement être qu'une et
indivisible. En représentant une fiction elle ne peut, elle aussi,
être qu'un artifice.
Ce n'est vraiment qu'avec la représentation que nous
rencontrons les problèmes soulevés par la souveraineté
populaire. Celle-ci n'est pas détenue par l'ensemble de la population
française, mais par les représentants du peuple qui
siègent à l'Assemblée nationale. Les
délégués sont censés représentés
l'intérêt général du peuple et non des
intérêts
78 Marc Sadoun, La démocratie en France,
I, Paris, Gallimard, 2000, p. 247
particuliers. Or, la sociologie naissante pensait la
société sous le modèle organiciste, le social s'opposant
radicalement avec celle abstraite de la Révolution française.
D'où la nécessité de penser la représentation
« dans des termes neufs79 », notamment sur la
base des intérêts professionnels.
Le problème qui se pose alors est celle de la bonne
représentation : comment penser et rendre applicable une
représentation - qui cadre avec le principe démocratique d'ordre
et d'unité - en tenant compte de la réalité sociale ? la
solution - théorique - apportée et constituant « le
secret d'une bonne loi d'élection » est celle-ci : «
diversité d'intérêts et de passions dans l'assemblée
délibérative ; homogénéité
d'intérêts et de passions dans l'assemblée
élisante.80 » Cette deuxième proposition
renvoie à la catégorisation du social et rompt avec la
catégorisation « naturelle » de celui-là en terme de
classe économique soutenue par Flaugergues, au profit d'une
classification qui met l'accent sur les passions et « ouvre la voie
à une compréhension toute nouvelle de la vie politique dans
laquelle le pluralisme ne résulte plus des divisions fixées par
la nature ou l'activité sociale, mais du simple déploiement des
subjectivités.82 » Dès lors, les
électeurs sont appelés à se regrouper en fonction de leurs
opinions. Ce qui correspond à la mise en place d'une démocratie
d'opinions organisée autour des partis. Cette nouvelle forme de
démocratie qui tenait compte de la réalité sociale quant
à la représentation tentait de refléter la
société dans sa diversité. C'était désormais
alors, plutôt une « représentation-miroir »
qu'une « représentation-incarnation » qui
était à l'oeuvre. Cette « représentation-miroir
» qui tient compte de la réalité sociale cadre avec les
principes du libéralisme en entretenant
79 Pierre Rosanvallon, op., cit. p. 108
80 Ibid, p. 139
la coexistence des différences. Or, « le
système incarnatif, assumé par le républicanisme,
brûle les étapes et se débarrasse des artifices en
identifiant simplement le peuple et son expression politique.83
»
Le suffrage universel est lui aussi une façon
d'expression ou de manifestation du peuple-un pendant les moments
d'élection ; c'est lui qui consacre au pouvoir sa
légitimité. C'est « la IIIe République
[qui] parvint, comme dit Marc Sadoun, à placer l'ensemble des pouvoirs
sous la légitimité d'une source unique de droit public : la
désignation par le suffrage universel.84 »
Toutefois nous savons que le suffrage universel, qui n'était tel
que de nom étant donné que le pouvoir était censitaire vu
que certaines catégories de personne telles que les femmes ne
disposaient pas du droit de vote, n'exprimait réellement pas la
souveraineté du peuple. Et ce, parce que sa manifestation est
intermittente ; c'est plutôt les députés qui sont les
représentants du peuple qui en sont les seuls et uniques
dépositaires.
La localisation de la souveraineté dans une seule
chambre est une marque de la démocratie française, elle s'oppose
à la conception américaine où la souveraineté est
partagée entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire.
En France la souveraineté est absolue parce qu'étant
détenue par un seul corps tandis qu'aux Etats-Unis elle est
morcelée, c'est-à-dire partagée par les différents
pouvoirs.
|