L'histoire universelle, conscience de la liberté. Une lecture de la raison dans l'histoire de G. W. F. Hegel( Télécharger le fichier original )par Vincent Ferrier KISHALI Masumbuko Faculté de philosophie St Pierre Canisius de Kimwenza Kinshasa - Bachelier en philosophie 2008 |
I. 4. La place de l'individu dans la réalisation de l'EspritLa question que nous traitons ici est une sorte de plaidoyer pour l'individu humain. «Dans la mesure où l'histoire nous apparaît comme l'autel où ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus 40(*)», quelle place l'homme occupe-t-il dans cette réalisation absolue de l'Esprit? N'est-il plus qu'un simple instrument dans les mains d'une Raison absolue ? Dans le théâtre de l'histoire, l'Esprit vise l'universel en négligeant le particulier. Car, ce dernier a le plus souvent moins d'importance en comparaison de l'universel. Ainsi, les individus sont sacrifiés et abandonnés à leur destin. Comment donc l'individu, dans cet assujettissement au principe universel, peut-il se réaliser soi-même ? Le modèle téléologique de l'histoire (finalité, moyens, matière) nous impose nécessairement de poser l'individu humain, dans la réalisation de l'Esprit, comme un instrument dont celui-ci se sert. Cependant, d'après Hegel, poser l'individu comme moyen au service de la réalisation de la Raison ne l'empêche de se réaliser lui-même. En d'autres termes, la réalisation de la Raison coïncide nécessairement avec la réalisation de l'individu dans la mesure où celui-ci agit rationnellement: Quant il est question de moyens on s'imagine tout d'abord que le moyen est extérieur et étranger à la fin qu'il doit réaliser. Mais déjà les objets naturels en général, voire la chose inanimée la plus vulgaire, ne peuvent être employés comme moyens s'ils ne répondent pas à la fin, s'ils n'ont pas un point commun avec elle. En ce sens tout à fait extérieur, les hommes ne se comportent guère comme des simples moyens au service de la fin de la Raison ; s'ils remplissent ses exigences, ils satisfont en même temps et par la même occasion leurs propres fins particulières qui ont un contenu différent41(*). L'homme comme moyen au service de l'Esprit n'est plus à considérer comme un simple instrument dont celui-ci se sert astucieusement, mais plutôt celui qui participe à la fin de l'Esprit et est donc lui-même une fin en soi selon le contenu même de la fin : « l'homme n'est fin en soi que par le divin qu'il porte en lui 42(*)». De même que la finalité de l'Esprit est de prendre conscience de lui-même en tant que liberté, de même l'homme, en tant que celui qui participe à la finalité de l'Esprit, est appelé à prendre conscience de sa liberté en se mettant au service de ce dernier. En outre, l'Esprit pris en lui-même n'a pas de réalité effective ; il a besoin d'une énergie et d'une activité capables de le mettre en oeuvre et de l'amener à l'existence. L'individu humain est le seul répondant à ce besoin de l'Esprit, mais seulement dans la mesure où « les principes l'intéressent et allument sa passion 43(*)». D'où l'usage de la ruse de la Raison pour susciter en l'individu la passion nécessaire pour l'engagement au service, apparemment, de lui-même, mais qui, en définitive, est pour la fin de la Raison et donc universelle. L'individu est toujours utilisé comme moyen, mais un moyen qui collabore. L'homme n'est plus que collaborateur à l'oeuvre de l'Esprit dans la mesure où ce n'est que grâce à ses passions que l'Esprit reçoit une effectivité concrète. Les grands hommes, voilà-là ceux qui semblent amener la nouveauté dans l'histoire, « et la nouvelle situation du monde qu'ils créent et les actes qu'ils accomplissent sont en apparence un simple produit de leurs intérêts et de leur oeuvre 44(*)». Mais en réalité, c'est l'Esprit qu'ils satisfont. Car l'Esprit qui gouverne le monde est porté par tous les individus, il est leur intériorité inconsciente que les grands hommes portent à la conscience de l'humanité : « Ce qu'il y a de plus admirable en eux c'est qu'ils sont devenus les organes de l'Esprit substantiel : c'est en cela que réside le véritable rapport de l'individu à la substance universelle45(*)». Dans la vision de Hegel, la liberté n'est pas une qualité de l'homme naturel, c'est-à-dire de l'homme qui ne vit que sous la modalité de l'immédiat, de l'homme qui ne s'occupe que de la satisfaction de ses instincts naturels. L'homme libre c'est celui qui se situe au niveau de la raison. Et celle-ci conduit nécessairement à l'objectivité. Ainsi, l'homme libre se détermine par le respect de l'universalité. Doté de raison, l'homme a la possibilité et la capacité de se conduire dans l'harmonie avec l'Universel au point que son rapport à celui-ci soit moins une subordination plutôt qu'un univers de liberté, de vraie liberté. La responsabilité de l'homme pour la réalisation de son propre bonheur n'est donc pas pour rien. Car, d'après Hegel, l'homme est son action, il est la série de ses actes, il est ce qu'il s'est fait lui-même. Il doit donc être responsable à la fois du bien tout comme du mal qui découle de ses actes : Le signe de la haute destination absolue de l'homme c'est de savoir ce qui est bien et ce qui est mal et de vouloir soit le bien soit le mal, en un mot, d'être responsable, responsable non seulement du mal, mais aussi du bien, non seulement de ceci, de cela, de tout ce qu'il est et de tout qu'il fait, mais aussi du bien et du mal qui incombent à son libre arbitre. L'animal seul est irresponsable46(*). Nous nous rendons compte, aux termes de ce chapitre, que la philosophie de l'histoire de Hegel est une phénoménologie de l'Esprit. C'est l'Esprit qui, se déployant dans l'histoire, parvient à la connaissance de lui en tant liberté. N'étant en soi qu'une pure Idée, il a besoin de matière et de moyens concrets pour atteindre sa finalité dans l'histoire. Les moyens qu'il utilise sont donc l'esprit des peuples, leurs intérêts et passions qu'il manipule en usant de la ruse. Le bonheur des individus est ainsi sacrifié au profit de celui de l'Esprit. L'Etat devient, non seulement, la matière dans laquelle il s'incarne pour prendre conscience de lui-même en tant que objectivité et liberté, mais aussi le lieu de l'épanouissement de la liberté de l'individu. La finalité de l'histoire est comprise finalement comme prise de conscience, par l'Esprit, de sa liberté et, par conséquent, celle de l'homme qui participe de l'Esprit. * 40 Ibid., p. 103. * 41 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 130. * 42 Ibid., p. 131. * 43 F. CHIEREGHIN, « Histoire, Etat et Genuss dans la philosophie de l'histoire de Hegel », in Archives de philosophie, n°3, Juillet-septembre 2003, p. 411. * 44 G. W. F. HEGEL, op. cit., p. 122. * 45 Ibid. * 46 Ibid, p. 131. |
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