II- PROBLÉMATIQUE
Le 16 octobre de chaque année, la
communauté internationale célèbre la journée
mondiale de l'alimentation. Autour de cette journée, sont
organisés au Cameroun des séminairesateliers, des
conférences et autres téléfood4 dont les
objectifs majeurs sont, d'une part, mettre en lumière l'état de
la production agricole du Cameroun, considéré comme le grenier de
l'Afrique Centrale ; et d'autre part, « sensibilser le grand public
sur les problèmes de faim, la misère et la malnutrition et
trouver les soluions audit problème »5. Depuis
longtemps en effet, le Cameroun fait partie du cercle assez restreint des pays
subsahariens qui connaissent une relative « autosuffisance alimentaire
». Cette expression étant devenue redondante dans les discours
des dirigeants et autres hommes politiques camerounais, ceci laisse supposer
que la production alimentaire ou vivrière correspond aux besoins de la
population pour ne pas dire qu'elle est
excédentaire6.
Cependant, un certain nombre de faits et
d'évènements viennent s'inscrire en faux contre ce discours. Dans
un premier temps, la FAO a classé le Cameroun en 2002 dans la
catégorie des Pays à Faible Revenu et à Déficit
Vivrier (PFRDV) en raison de ses mauvaises performances économiques
et surtout de la chute de sa production agricole qui ne parvient plus à
satisfaire toute la population. D'où le recours à l'importation
de produits alimentaires, et parfois à l'aide alimentaire. Ensuite, au
cours du mois de février de l'année 2008, le Cameroun, à
l'instar de beaucoup d'autres pays comme le Burkina Faso, l'Egypte, la
Guinée Conakry, l'Indochine, le Sénégal, le Mali ou les
Philipines, a traversé une période de crise marquée par
une série d'émeutes. Ces émeutes ont été
baptisées par d'aucuns « les émeutes de la faim
»7 dans la mesure où l'une des raisons qui ont
poussé les populations à descendre dans les rues était
l~accroissement du phénomène de l'insécurité
alimentaire. Mais bien avant ces évènements de Février
2008 c'est-à-dire le 21 Mai 2006, le PAM a organisé et
animé au Boulevard du 20 Mai à Yaoundé, en collaboration
avec le MINADER, une marche contre la faim dénommée «
Fight Hunger Walk the World ». L'objectif de cette marche
était non seulement de collecter divers dons en espèces et en
nature, mais aussi et surtout de sensibiliser les camerounais sur
le
4 Celui organisé cette
année conjointement par le MINADER et la FAO a rapporté environ
40.000.000 F.CFA.
5 Jean KUETE, Ministre
d'Etat chargé de l'Agriculture et le Développement Rural,
discours prononcé à MFOU le 15/10/2009 lors du lancement de cette
journée mondiale de l'alimentation dont le thème était :
« Atteindre la sécurité alimentaire en temps de crise
».
6 Nous prenons par exemple
l'interview accordée à la Cameroon Radio and Television (CRTV) le
16/10/2007 par M.Angel AYONG, Conseiller Technique N°1 au MINADER à
l'occasion de la journée mondiale de l'alimentation.
7 A l'instar de Jean
ZIEGLER, l'ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit
à l~alimentation ; ou encore Eugène NYAMBAL, conseiller
spécial pour l'Afrique de l'Administrateur du Fonds Monétaire
International (FMI).
problème de l'insécurité
alimentaire qui a tendance à s'enraciner dans ses zones
d'activités prioritaires que sont l'Est et le
Nord8.
En effet, ledit Nord est très souvent victime
d'un climat aride, de catastrophes naturelles comme les inondations en saison
pluvieuse, et de multiples fléaux à l'instar de l'invasion des
insectes et des oiseaux granivores. ODECO Cameroun confirme dans une
étude menée en 20029 que les principales causes de
l'insécurité alimentaire au Nord Cameroun sont
l~irrégularité et la durée des pluies (environ 85 jours de
pluie/an pour une pluviométrie inférieure à 1.000 mm), la
sécheresse, les inondations, ainsi que les insectes et oiseaux
granivores qui ravagent les récoltes. Les périodes
d'insécurité alimentaire, par exemple pendant la période
de soudure au cours de laquelle les greniers sont quasiment vides, sont
caractérisées par une insuffisance ou une indisponibilité
des ressources alimentaires. Cette raréfaction des produits vivriers sur
les marchés entraîne de fortes augmentations des cours des
céréales (mil, sorgho, maïs, riz, paddy) qui constituent la
base de l'alimentation des populations de cette région. A titre
d'illustration, le prix du sac de mil augmente de près de 300% en
passant de 8400 frs en janvier à environ 24.000 frs en août. Les
autres conséquences sont la baisse de la production, le recours à
l'aide alimentaire ou l'endettement pour la nourriture auprès de ceux
qui ont des réserves.
Bref, la région du Nord peut donc à ce
titre, être considérée comme une zone sensible. Du fait de
cette sensibilité, un certain nombre de mesures et de stratégies
sont implémentées par l'Etat ainsi que par des organismes de
développement. Les actions des uns et des autres touchent des domaines
aussi variés que la santé, l'éducation (UNICEF,
PLAN-Cameroun...), le genre, l'économie (IRD, BID...) ou encore
l'alimentation et l'agriculture avec le FIDA, l'IRAD, le PNVRA, le CORDAP, ou
le PAM.
Nassourou ABDOURAHMANE10 analyse les
ripostes de l'Etat face à l'insécurité alimentaire. Ces
ripostes consistent en la lutte contre les fléaux par les services
phytosanitaires, la modernisation de l~agriculture, et l'assistance
vivrière. Ces diverses actions des pouvoirs publics et de leurs
partenaires connaissent des succès mitigés. Si sur certains
plans, les objectifs poursuivis sont atteints, d'autres secteurs ne voient pas
leurs objectifs se réaliser.
Jusqu'à date, la plupart des travaux abordant
les questions d'insécurité alimentaire sont globalisantes
c'est-à-dire englobent les trois régions de l'Extrême-Nord,
du Nord et de l'Adamaoua. Certes il n'y a pas très longtemps, ces 3
entités formaient la grande province du
8 Il s'agit là d'une
paraphrase des propos de Mme Fatma SAMOURA, ancienne Directrice et
Représentante du PAM Cameroun, à l'issue de cette
marche.
9 ODECO Cameroun, Les
caractéristiques de la sécurité alimentaire au
Cameroun, Yaoundé ; 2002 ; P.5
10 ABDOURAHMANE N.,
MATHIEU B., TEYSSIER A., BELLO R., La sécurité alimentaire :
une affaire de paysans, Actes du colloque du 27-31 mai 2002 à
Garoua, publiés dans les Cahiers Agricoles, vol. 12, Juillet 2003,
p.9.
Nord avec pour capitale Garoua. Mais elles ont depuis
été éclatées pour faire place à trois
provinces, et par la suite, régions distinctes et autonomes. On ne
saurait donc les situer à un même niveau. D'autant plus que la
région du Nord a eu un avantage comparatif par rapport à
l'Extrême-Nord et à l'Adamaoua. En effet, étant la
région d'origine de l'ancien et premier président de la
République Ahmadou AHIDJO et abritant la capitale provinciale, elle a
bénéficié de beaucoup de privilièges que les deux
autres n'ont pas eu. Comme l'affirme Michel SIMEUKAMDEM,
« Les Allemands, qui occupent au début
du XXème siècle ce site stratégique, font
sortir Garoua d'une longue léthargie en lui octroyant le statut de poste
administratif. Dès cette époque, Garoua est choisie au
détriment de Maroua et de Ngaoundéré comme chef-lieu d'une
circonscription du Nord. En 1916, les français la reconduisent dans la
même fonction. A l'indépendance, alors que le Sud éclatait
en plusieurs inspections d'administration, le Nord se trouva avec toujours
à sa tête, Garoua ... Sous l'influence de divers facteurs parmi
lesquels la prise de conscience des autorités du Cameroun
indépendant de la nécessité de développer la ville
natale du chef de l'Etat A. AHIDJO, la recherche d'une main d'teuvre
qualifiée, etc., Garoua s'est transformée, devenant le plus grand
centre industriel et commercial d'un Nord, il est vrai, bien démuni
»11.
Ainsi, après l'indépendance, les
services administratifs se sont développés en même temps
que les moyens d'assurer pleinement la fonction de capitale de la grande
région. Ce qui se manifeste à travers un réel effort
d'équipement de la ville et se traduit par une industrialisation
appréciable, consolidée par le transfert du siège de la
SODECOTON de Kaélé à Garoua en 1973. La ville compte alors
plus du tiers des indusries du Grand Nord (textiles, alimentaires,
chimiques...). Elle bénéficie en outre d'un système de
boulevards périphériques, unique au Cameroun, permettant un
contournement aisé de l'agglomération. Place forte de
l'import-export et du commerce en gros par son port, son activité
portuaire périclite cependant après la guerre du Biafra, avant de
repartir timidement jusqu'à la mise en eau du barrage de Lagdo. La ville
concentre par ailleurs, grâce à ses multiples banques, et en
particulier l'agence régionale de la BEAC, environ la moitié des
activités financières de cette région. Avec son
aéroport international, elle assure la fonction de troisième
porte d'entrée du Cameroun après Douala et
Yaoundé.
Comme nous l'avons dit tantôt, on ne saurait
traiter ces trois régions au même pied d'égalité
puisque les réalités dans ces trois régions sont
différentes. Si les mêmes problèmes peuvent se poser, ce ne
sera pas avec la même acuité. Ils seront plus exacerbés
d'un côté, et
11 Michel SIMEU-KAMDEM in
Atlas du Cameroun, Paris, Editions J.A, 2006, p.114.
moins de l'autre. Les solutions ne seront pas aussi
appliquées avec une rigueur identique. En l'occurrence,
l'insécurité alimentaire ne se pose pas dans les trois
régions avec la même acuité. S'il fallait par exemple
créer un parallèle avec les feux de signalisation
routière, l'Extrême-Nord représenterait le feu rouge parce
que sa situation alimentaire est presque catastrophique et les conditions
environnementales sont à la limite du supportable. Le Nord
représenterait le feu orange dans la mesure où même si la
situation n'est pas tellement critique, des signaux commencent
déjà à s'allumer pour montrer qu'il faut faire attention.
Quant à l'Adamaoua, elle serait le feu vert puisque sa situation n'est
pas alarmante et on peut encore prévenir là-bas quand on
guérit déjà de l'autre côté.
Nous nous focalisons dans ce travail uniquement sur la
région du Nord ; on dirait le Nord administratif, pour expliquer comment
les populations vivent l'insécurité alimentaire dans cette partie
du pays.
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