Décentralisation et gestion durable des ressources forestières au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Fernande Abanda Ngono Université de Yaoundé2-Soa/Cameroun - Diplome d'études approfondies 2009 |
Section II : LES INCOMPLETUDES OPERATIONNELLES DE LA DECENTRALISATION FORESTIERE COMME MOYEN DE GESTION DURABLE.Il apparait bien, en raison même des enjeux atour de la forêt, que ne puisse s'y développer une approche décentralisée, sans la détermination préalable d'un cadre de référence. De ce point de vue, l'administration et la gestion de la forêt conduisent à l'exigence d'une stratégie globale qui, mise en oeuvre par application du principe de subsidiarité, doit conduire à une administration localisée. Si la gestion durable des ressources forestières impose une approche globale harmonisée, c'est bien au plan local que son implémentation doit être précisée, car c'est à ce stade que les conflits sont exacerbés, que les défis doivent être relevés. L'une des causes de l'inefficacité de la décentralisation de la gestion des forêts au Cameroun réside dans les obstacles opérationnels qui obstruent son effectivité. Il s'agit de la précarité des moyens d'actions dont disposent les collectivités locales (paragraphe I) conjuguée à l'insuffisance du contrôle de l'utilisation sociale des revenus issus de la fiscalité forestière. Paragraphe I : LA PRECARITE DES MOYENS D'ACTIONS DES COLLECTIVITES LOCALES.La particularité de la décentralisation forestière réside dans le schéma conceptuel où l'on retrouve en dehors des collectivités territoriales décentralisées les communautés villageoises comme acteurs sociaux bénéficiant de certains pouvoirs dévolus. Ceci s'explique par le caractère général de la préservation du milieu de vie, les collectivités locales : les communautés villageoises et collectivités territoriales décentralisées devant être les mieux placées pour catalyser le développement local tout en transmettant aux générations futures, l'écosystème dans son intégrité. La faible implication des populations riveraines (A) et le poids de la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées (B) sont des facteurs important de la paralysie des moyens d'action des acteurs locaux. A) La faible implication des populations locales. Le déficit de l'information et le caractère incertain des droits octroyés engendrent la faible implication des populations locales, qui ne se sentent pas vraiment encouragées, ou se replient face à l'étatisation de leur « forêt ». JOHN RAWLS177(*) souligne l'importance capitale de l'information en ces termes, « tous les citoyens devraient être informés des questions politiques, ils devraient pouvoir juger de la façon dont les projets affectent leur bien être et quels sont les programmes politiques qui favorisent leur conception du bien public ». La loi cadre sur l'environnement, à la suite du code forestier de 1994, consacre l'obligation et le droit d'information178(*). Les lois de décentralisations ont également apporté des innovations en permettant aux citoyens de s'informer directement sur l'action des communes179(*). Pourtant, dans la pratique, l'information est pratiquement inexistante, l'éloignement des services administratifs et municipaux peut également être à la base de son déficit. Faudrait-il encore avoir la possibilité de s'opposer ; ce serait difficile dans le contexte camerounais, le droit à l'information et à la participation ne bénéficiant pas de garanties effectives pour le citoyen. Finalement, face à ces difficultés, on pourrait qualifier le droit de l'environnement de droit élitiste, dont seule une catégorie intellectuelle pourrait se servir. De plus, l'analphabétisme est courant dans la société rurale où on retrouve soit, une pléiade de dialecte, soit un patois utilisé comme moyen de communication dans une zone donnée. Une décision écrite et affichée traitant de l'exploitation forestière n'aura pas l'effet escompté sur des populations qui ne savent ni lire ni écrite l'une des langues officielles. L'emploi des traducteurs locaux est souvent préconisé, mais faut il encore que l'information soit perceptible. Au-delà du déficit d'information, la précarité des droits dévolus aux populations riveraines est également à la base de leur faible implication. Les populations riveraines n'ont pas un droit de propriété sur les forêts communautaires qu'elles possèdent. De plus, elles ne peuvent exercer un droit de poursuite à l'occasion d'une infraction. La législation semble ne pas prendre en compte les droits de propriété foncière des populations sur les forêts, on dirait que dans la logique Etatique, l'évolution démographique est limitée dans les zones riveraines des forêts. Aussi sans propriété foncière, qu'adviendrait il dans une situation de promiscuité. La libre administration est la cheville ouvrière de l'action locale. Par ce que s'agissant de la décentralisation territoriale, « il est bon que les agents chargés de cette question connaissent bien des besoins et conditions locaux et aient intérêt à prendre en main et défendre leurs intérêts ». Ce principe constitutionnel a pour corolaire la dotation d'un pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales décentralisées. Aussi, les personnes publiques que sont les communes et les régions exercent un pouvoir législatif nécessairement encadré par la tutelle. Souvent considéré par la doctrine comme le poids à l'émergence d'une réelle décentralisation, la tutelle en ce qui concerne la gestion des forêts par les collectivités territoriales décentralisées est loin de satisfaire aux idéaux assignés au transfert des compétences de gestion des forêts. Pour BIGOMBE LOGO, le « trop d'Etat » serait la principale contrainte de l'effectivité de l'implémentation du développement par les acteurs locaux bénéficiaires de pouvoirs décentralisés ; la tutelle allant au-delà des frontières de la libre administration. L'hégémonie étatique est perceptible à travers les mécanismes qui éludent l'autonomie des communautés villageoises et des communes. De fait, le processus de transfert ne couvre pas tous les types de pouvoirs qui donnent un sens réel à la gestion décentralisée des forêts. Le pouvoir de décision, le pouvoir de légiférer dans le domaine et de faire respecter les prescriptions légales et réglementaires en tranchant des conflits ; c'est le cas de la participation qui se réduit à une simple obligation procédurale sans opposabilité claire. Dans la gestion décentralisée des forêts, les communautés villageoises ne jouent pas véritablement leur rôle de gardien traditionnel des forêts. Leur intervention reste limitée par l'accompagnement étatique ; notamment s'agissant des forêts communautaires, elles ne peuvent pas délibérément agir sans l'approbation de l'administration en charge des forêts. Pourtant, une gestion qui se veut durable ne peut se concevoir sans l'implication effective des populations riveraines. Le fait que celles-ci soient assujetties à la représentation ou à la mise en place d'une organisation officielle contribue à une mauvaise gouvernance. Ainsi l'Etat, et dans une certaine mesure les collectivités territoriales décentralisées, restent les véritables acteurs de la décentralisation forestière. Les communautés villageoises se présentant comme de simples figurants incapables qui n'interviennent que par la représentation dans les comités ou dans les communes. Nous reconnaissons avec LAMBERT HABIB que ?« la gestion décentralisée de l'environnement doit s'accompagner de contre pouvoirs ou de contrôles démocratisés180(*) ». Mais le fait que l'Etat conserve un rôle essentiel dans le développement des communautés, ne doit pas empêcher une implication et un contrôle citoyen au delà de la représentativité. Le problème est ailleurs, comme le souligne J. BAGUENARD « la réalité administrative, synthèse approximative d'hésitations surmontées, de compromis temporaires et de concessions arrachées, est dominée par une inévitable, mais dangereuse complicité entre élus locaux et représentants du pouvoir central 181(*)». En effet, Cette complicité politique favorise la patrimonialisation de la gestion forestière par des élites politiques locales au détriment des populations rurales riveraines. BIGOMBE révèle que les élites sont présentes explicitement ou implicitement dans tout dossier de demande d'acquisition des espaces forestiers il parle alors « de logique de prédation et de gestion patrimoniale des bénéfices de la gestion décentralisée des forêts 182(*)». Au demeurant, sous le prisme de la tutelle administrative et de l'implication politique, les pouvoirs dévolus ne semblent pas assez significatifs et ne s'inscrivent pas de façon fondamentale dans une dynamique réelle de dévolution des pouvoirs de la gestion des ressources forestières aux institutions et aux populations locales. * 177 RAWLS (J ), Théorie de la justice, coll. nouveaux horizons paris 1990 P 261 . * 178 Article 7 de la loi cadre relative à la gestion de l'environnement de 1996. * 179 Article 13 (2) de la loi d'orientation de la décentralisation de JUILLET 2004. * 180 LAMBERT (H), « Décentralisation, constitution et environnement » in R.J.E 1/2004 P17-35 * 181 BAGUENARD (J),la Décentralisation ; Que Sais Je, PUF 1999 . P 6 * 182 BIGOMBE LOGO (P) : « Les élites et la gestion décentralisées des forêts au Cameroun » in FTTP N° 4, sept 2002. P15 |
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