Les figures de Joseph Rey (1779-1855): conspirateur libéral, "philosophe" et socialiste "utopique"( Télécharger le fichier original )par Nicolas Boisson Université de Grenoble 2 - IEP 2001 |
2.Joseph Rey de Grenoble (1779-1855): une vie «mouvementée », entre engagement et « utopies ».Joseph-Philippe-Estienne22(*) Rey naît à Grenoble le 24 octobre 1779, dans une famille de commerçants aisés, de Jean Rey, marchand confiseur-liquoriste, et de Françoise-Marie Chenavier23(*). Il est baptisé le lendemain à l'église St-Hugues24(*). Joseph Rey vit une enfance assez triste du fait des mauvais rapports qu'il entretient avec son père, nous y reviendrons plus tard...Il passe une grande partie de son enfance et de sa jeunesse dans l'officine de ses parents. Sa mère, devinant déjà en lui une intelligence au-dessus de la confiserie, lui porte les plus hautes ambitions. Cependant Rey ne parvient à fuir le foyer familial que tardivement, tyrannisé par un père qui souhaite plus le voir reprendre son commerce fructueux. Issu d'une famille aisé, il fait ses études au collège de Grenoble25(*) où il puise, note t'il : « comme presque tous ceux qui reçoivent ce genre d'éducation, le germe des idées républicaines, telles qu'on les entendait alors, et qui sont répandus si éloquemment dans l'histoire des Grecs et des Romains »26(*). Rey est en effet un féru de culture classique. A quinze, il s'abreuve déjà de lectures philosophiques. Mais loin de vouloir devenir un érudit, il rêve surtout, rapporte t'il : « aux moyens de rendre l'homme plus heureux en le rendant meilleur »27(*). Adolescent, il remarque déjà dans la boutique de son père qui est son observatoire que : « tous les vices du peuple viennent de son avilissement, du sentiment de son néant dans la société »28(*). Mais passons sur son enfance puisque nous y reviendrons ultérieurement. Sa mère, qui souhaite le voir devenir avocat, réussit à l'envoyer à Paris en 1802...lui qui affectionnait tant sa ville natale au point d'aimer à se faire appeler « Joseph Rey de Grenoble ». Il y fait alors des études très vastes. Débutant dans un premier temps celles des sciences naturelles, il se consacre très vite et sérieusement au droit29(*) tout en continuant la lecture des philosophes. C'est une période décisive de la vie du jeune Rey. « Transporté » par la lecture des Eléments d'Idéologie, Il part le 18 octobre 1804 à la rencontre de son auteur, le philosophe Antoine Destutt de Tracy30(*), maître à penser des Idéologues, les héritiers de Locke et de Condillac. Celui-ci le reçoit chaleureusement et ne tarde pas à le prendre sous sa coupe. Rey rapporte : « ...(il) m'accueillit avec la plus extrême bonté, sans autre recommandation que le vif désir d'instruction qu'il remarqua en moi...dés ce moment, il devint pour moi un second père »31(*). Tracy aidera, en effet, Rey durant tout le long de sa carrière dans la fonction publique mais surtout en ami, le conseillera beaucoup... Nous y reviendrons aussi ultérieurement. Le jeune Idéologue, qui ne cesse depuis qu'il est à Paris de maintenir son ardeur au travail32(*), obtient finalement en 1807 son grade de licencié en droit de la Faculté de Paris. Fort de son amitié avec Destutt de Tracy, celui-ci le fait entrer, la même année, dans la magistrature comme substitut du Procureur impérial à Plaisance33(*). De là datent ses premières considérations sur l'administration impériale et surtout sur le fonctionnement de la justice. Il en profite pour apprendre l'Italien et approfondir ses recherches sur les législations européennes. Supportant pourtant assez mal le climat italien34(*), Rey demande au début de l'année 1810 sa mutation. On le retrouve alors à Mayence comme premier substitut. Rey se plait beaucoup dans son nouveau poste. Moins surchargé de travail, Rey retrouve le temps d'affiner ses recherches dans les bibliothèques et notamment dans celles des universités d'Heidelberg et de Francfort35(*). Sa situation financière s'améliore aussi, recevant un traitement de huit mille francs. Cependant, avec la mise en place du blocus continental sont créés sur le Rhin des tribunaux spéciaux de douanes. Ayant fait ses preuves, l'administration impériale souhaite qu'il y entre comme procureur ! Mais Rey, qui avait une aversion pour les juridictions d'exception refuse cette promotion. Destutt de Tracy lui somme cependant d'oublier son orgueil et parvient à apaiser les conflits entre Rey et ses supérieurs hiérarchiques. A contre coeur mais ne voulant pas blesser son mentor, il devient en 1812, président du nouveau tribunal des douanes de Lunebourg, poste qu'il occupera jusqu'à la fin de l'Empire. Durant ces huit premières années de magistrature en pays annexés, Rey est scandalisé par l'asservissement de la justice à l'autorité impériale. Il ne cesse d'entrer en conflit avec différents corps de fonctionnaires, qu'il s'agisse de l'armée, des préfets ou des agents fiscaux ! Nous y reviendrons afin d'illustrer un peu plus la force de caractère du personnage. Bref, avec la chute du régime impérial, Rey, non mécontent de rentrer en France36(*), se retrouve cependant dans une position difficile. Les Bourbons revenus ( aussi appelés à cette époque, les « exilés ») risquent d'être des plus défiants vis à vis de l'ancienne administration impériale. Ainsi son maître Destutt de Tracy, pourtant assez peu apprécié du nouveau gouvernement, parvient à lui retrouver un poste à sa convenance. Tracy, avec l'aide de l'avocat de Schonen, part s'adresser directement au ministre Dambray qui lui aurait répondu en ses termes : « Si M.Rey veut aller dans le ressort de Grenoble, son pays natal, je lui promets la place qu'il désirera !... »37(*). Rey choisit alors la présidence du Tribunal civil de Rumilly, dans le département du Mont-Blanc et prête serment de fidélité à Louis XVIII le 13 novembre 1814. Toujours aussi critique vis à vis du fonctionnement de la nouvelle administration royale38(*), il apprécie cependant à cet époque le fébrile compromis « monarcho-républicain » du nouveau régime. Louis XVIII qui s'était auto-proclamé « roi des Français » lors de sa déclaration du 2 mai 1814 à St Ouen, avait du prêter serment à la Constitution en échange de l'élaboration de la Charte39(*), adoptée en séance royale le 4 juin. Bien qu'appréciant le « génie » de Napoléon, Rey observe donc comme beaucoup des libéraux modérés avec méfiance le retour de l'empereur en France. Affligé par la passivité du peuple à « vouloir se courber de nouveau devant le despote »40(*), il « salue » nerveusement avec son Adresse à l'Empereur41(*) le retour de l'empereur d'une manière assez particulière. S'il exalte son génie, il n'hésite pas à lui donner les plus sévères conseils, le mettant en garde contre tout nouveau despote et l'appelant à la paix. Ce qui constitue le « premier acte de la vie publique de Joseph Rey »42(*) lui attire aussi ses premiers ennuis avec le gouvernement rétabli. Rey qui est accusé d'avoir tenu des « paroles de blâme pour le gouvernement antérieur du roi »43(*) est alors sommé d'en « faire le désaveu, ainsi qu'une protestation de son attachement personnel aux membres de la dynastie. »44(*). Rey ne se laisse pas à impressionner par la menace et refuse de prêter un tel serment d' «affection » pour la dynastie des Bourbons45(*), ni pour aucune autre d'ailleurs.... Refusant de se plier, il perd toute chance de réintégrer l'administration publique, il a d'ailleurs perdu son poste de Président du tribunal civil de Rumilly, suite à la perte de la France du territoire de la Savoie (traité de Paris).Il revient alors dans sa ville natale où il se fait inscrire au barreau. Il n'y reste pas longtemps. S'affirme alors nettement chez lui sa conscience politique, plutôt libérale « modérée » à l'origine... Mais dès le début de l'année 1816, frappé d'apprendre la répression en Prusse de sociétés secrètes comme la Tugendbund46(*), il repart pour l'Allemagne. De là date l'idée de créer lui-même à l'image de la société des « carbonari »47(*), une organisation à vocation internationale devant regrouper toutes les forces libérales. Rey lui donne le nom de « l'Union » et organise avant son départ, le 26 février 1816, sa première assemblée à Grenoble. Il est décidé à l'origine de ne soutenir que les résistances légales, en excluant tout recours à la violence. Nous y reviendrons. Conformément à la tradition italienne des « Carbonari » et des « sociétés » secrètes antérieures (allemandes et françaises), la plus grande discrétion devait être assurée par ses membres, recrutés avec précaution après examen individuel. L'Union ayant une vocation politique « libérale », les premiers membres sont au début surtout un ensemble assez hétéroclite de notables grenoblois comme Champollion le Jeune, le peintre Simon Triolle, l'avocat Félix Réal, et Bérenger de la Drôme, tous amis de Rey. Ce dernier part donc en Allemagne promouvoir avec prudence cette nouvelle organisation politique libérale. Il se rend à nouveau à Heidelberg puis Mayence, Spire, Landau... où il avait établi ses premiers contacts. Il organise dans toutes ces villes des comités locaux, placés sous la direction d'hommes de confiance. Restant plusieurs mois en Allemagne, il s'assure notamment d'affilier deux Français en exil : Desportes et surtout l'avocat Charles Teste, dont Rey avait été le secrétaire à Paris... Rey rentre en France dans l'année 1817, profitant aussi de son voyage pour prendre quelques contacts en Suisse. De retour à Grenoble dans sa fonction d'avocat, il apprend que pendant son absence, en 1816, ont été fomentées des conspirations militaires, visant à renverser le pouvoir royal, toutes déjouées et sévèrement réprimées48(*). Rey très marqué par cette répression, accepte en 1819, dans sa qualité d'avocat, d'assurer la défense des familles des victimes49(*)... Sa conscience politique désormais résolument orientée vers la lutte contre la répression du régime, Rey décide de s'établir à Paris. Durant son voyage vers la capitale, il en profite pour organiser à Lyon un comité de l'Union sous l'égide de l'avocat Duplan. Arrivé à Paris en 1817, où il se fait inscrire au barreau, il rencontre les avocats libéraux Mérilhou et Odilon Barrot qu'il intègre à l'Union. Epoque importante dans la formation du réseau parisien de l'Union, Rey fonde avec l'aide de Lafayette, connu dans les salons de Tracy, l'Union parisienne. Très vite, ils parviennent à intégrer tout un cercle de libéraux parisiens allant des députés Voyer d'Argenson, Dupont de l'Eure, de Corcelles aux généraux Tarayre, de Pompières ; des journalistes comme Comte, Dunoyer du Censeur, Chatelain du Courrier français ; des professeurs comme Victor Cousin, des magistrats comme de Schonen, Girod de l'Ain... Rapidement, les Unionistes songent à étendre leur réseau au Nord, à l'Est, dans la Seine, dans la Loire et la Haute-Loire. L'année 1819 est très riche de formations d'organisations libérales, sociétés politiques, comme la loge des Amis de la Vérité née sous l'impulsion de Cousin ou la Société de la Liberté de la Presse, déjà très active à Paris en 181950(*). Il conviendra plus tard de préciser les rapports qu'eurent les deux organisations citées avec l'Union. En cette même année 1819, Rey devenu populaire suite à son Adresse à l'Empereur, s'occupe d'instruire la plainte des familles des victimes dauphinoises de la répression de la conspiration de Didier (1816). Il envoie ainsi un violent réquisitoire qui prend la forme d'un manifeste politique contre le général ayant signé l'acte d'exécution des militaires insurgés, le général Donnadieu. Nous reviendrons plus en détail sur cette affaire. Ce dernier qui poursuit Rey pour diffamation, obtient sa radiation du Conseil de l'Ordre des avocats, le 08 juillet 1819. Dés lors, notre « honnête » homme ne s'occupe plus que de conspirations. En 1820, Il réactive l'Union suite au durcissement du régime opéré par le second ministère Richelieu, qui dés le mois de mars 1820 tente d'écraser toute expression des opinions libérales en suspendant la liberté de presse. Rey organise alors un « comité d'action » intégrant Lafayette et les députés Voyer d'Argenson, Manuel, Dupont de l'Eure... Ce comité qui prendra par la suite le nom de « comité directeur », ne voyant plus, la censure rétablie, de moyens d'organisation d'une lutte légale, semble de plus en plus séduit par l'idée des conspirations. En effet, durant ces années 1819-1820, le climat politique devient des plus délétères. De l'annulation inconsidérée de l'élection du député libéral grenoblois Grégoire en septembre 1819, sous la pression des « ultras », jusqu'à l'adoption par la chambre à majorité « ultra » de la loi dite « du double vote », le 30 juin 1820, Louis XVIII sous l'impulsion de l'austère duc de Richelieu ne cesse d'étouffer toute expression politique des libéraux. La répression devant le palais Bourbon, le 3 juin 1820, d'un important mouvement étudiant opposé au vote de cette loi illégitime décide alors les Unionistes à organiser une conspiration, organisée autour de l'idée d'une prise d'armes militaire. L'idée n'est cependant pas de Rey, jusqu'alors toujours convaincu de la nécessité de ne pas user de la violence. La naissance et la mise en place de cette conspiration, qui devait éclater le 19 août 1820 dans plusieurs villes de France, sont des plus complexes. Un chapitre complet lui sera donc consacré. Comme toutes les conspirations libérales à venir avec la naissance par la suite dans les années 1820-1821 d'une Charbonnerie française ( prenant le relais des Carbonari italiens...), celle du 19 août 1820, dite du « Bazar51(*)français », est aussi un échec. L'entreprise fut comme bien souvent à l'époque infiltrée par la Police. Soulignons ici le rôle de médiateur que tenta de tenir Joseph Rey au sein d'une entreprise qui très vite tournait au fiasco. Le 20 août 1820, la Police arrête les derniers conjurés n'ayant pu s'enfuire. S'ensuit un sévère procès devant la Cour des Pairs des principaux « leaders », procès auquel Rey échappe, parvenu à s'enfuire en Suisse puis en Allemagne. Il n'en est pas moins condamné à mort par contumace par la Cour des Pairs, ce qui le contraint à l'exil. Dés lors commence la seconde partie de la vie de Joseph Rey. Rey trouve asile politique en Angleterre. Arrivé au mois de juillet 1821, il y restera cinq ans. Apprenant l'Anglais, et recommençant ses études sur la législation locale52(*), Rey est surtout confronté à la misère de la population, découvrant comme il les appellera dans ses Mémoires, les « classes nécessiteuses de la nation »53(*). L'Angleterre subissait alors le contre coup de la dépression économique de l'année 1817. Sur la recommandation de Lafayette, Rey entre en relation avec l'économiste Jérémie Bentham54(*) pour lequel en tant qu'Idéologue, il se sent de grandes affinités. Mais surtout cette première confrontation avec la réalité de la classe ouvrière anglaise le pousse à s'intéresser au système « communiste » ou plutôt « communautariste » auquel travaille Robert Owen55(*). Très vite passionné par l'utopie « communautariste » d'Owen, il tente de l'assimiler à ses conceptions libérales... Nous essaierons de les entrevoir quoique très changeantes...Bref, Rey se plonge dans le courant des socialismes « utopiques » de la première moitié du XIXème siècle. En 1825, il s'initie au Saint-Simonisme par l'intermédiaire d'Olinde Rodrigues qui lui envoie quelques numéros du Producteur, organe des Saint-Simoniens. Il liera ainsi plus tard des amitiés avec des membres célèbres comme Enfantin et Bazard. L'année suivante, c'est cette fois vers Fourier que Rey se tourne suite à la lecture de son Traité d'association domestique et agricole (1822). Rey tentera plus tard un syncrétisme de ses « découvertes », nourrissant sa réflexion quant à l'élaboration du « juste gouvernement »56(*). En 1826, Rey est contraint de rentrer en France. En effet, passé cinq ans, d'après la législation de l'époque, tout condamné à mort par contumace encourait la mort civile s'il ne se représentait pas devant la juridiction. Il se présente alors de nouveau devant le garde des sceaux Dambray qui après maintes discussion concède à intervenir en sa faveur auprès du nouveau souverain Charles X. Ce dernier qui n'avait pas connaissance de Rey l'amnistie sans autre formalité le 1er novembre 1826. L'époque est alors bien différente de celle des années 1820. Le carbonarisme s'est éteint en France comme Italie sans que Rey ait pu réellement y participer et le socialisme prend son envol autour d'une jeunesse tournée vers l'étude des problèmes sociaux. Les diverses écoles, saint-simonienne, fouriériste, cabetiste... s'affrontent autour de la question du « meilleur » système politique. Rey peut ainsi, fort de ses connaissances, intégrer ce petit cénacle, notamment en publiant en septembre-octobre 1826, dans le Producteur, des extraits de ses Lettres sur le système de la coopération mutuelle et de la communauté de tous les biens d'après les plans de M.Owen57(*). Il rencontre alors les plus illustres membres de ces écoles socialistes, comme Cabet, les saint-simoniens Enfantin et Bazard, le communiste Buonarroti... Il se livre à cette époque plus que jamais à l'étude du malaise social. « Vulgarisant » la pensée de Robert Owen, il n'hésite pas à enrichir et à s'enrichir de ses différentes écoles. Avec la révolution de 1830 et l'affirmation d'une majorité libérale , Rey obtient de Lafayette le 25 octobre 1830 sa réintégration dans la magistrature et est nommé conseiller à la Cour royale d'Angers. Déçu à nouveau de l'échec des journées de Juillet dans l'instauration définitive d'un régime libéral58(*), Rey se tourne à la fin de l'année 1831 vers les Saint-simoniens. Rey critiquant la mysticité du dogme, ceci ne demeurera qu'un épisode passager où durant une année, il se consacra à la propagande saint-simonienne. En 1837, Rey adhère plus solidement au Fouriérisme en s'abonnant le 28 juillet au journal la Phalange. Il deviendra même actionnaire de la Démocratie pacifique, second journal des Phalanstériens. En 1842, il se tourne vers les néo-babouvistes en s'abonnant à la Fraternité. Cependant, Rey est encore empreint du « communalisme owenien » et est soucieux de vouloir fédérer ces diverse écoles autour d'Owen et de Fourier. Rey tenta à maintes reprises de faire venir Owen à Paris.... Ainsi Rey, qui avait foi en une unité prochaine des socialistes, adresse le 20 juin 1847 aux rédacteurs de la Démocratie pacifique un Appel au ralliement des socialistes59(*), qui sera publié le 27. Cet appel pourtant salué par ses camarades reste « lettre morte », les divisions entre Fouriéristes et communistes trop profondes pour être effacées par la volonté d'un seul homme... Rey, mis à la retraite en 1844, s'occupe depuis de fondations philanthropiques, promouvant notamment l'Instruction publique... Il observe alors tranquillement la révolution de 1848, toujours pleins d'espoirs de voir un jour s'installer durablement les bases d'un ordre garant de la « conciliation générale des intérêts individuels », fondement selon lui de la paix sociale. La République un temps retrouvée, il se présente alors aux élections législatives de 1849. Profession de foi assez terne, il n'est pas élu et ses espoirs sont vite déçus par le coup d'Etat du 2 décembre 1851 signant le retour des Bonaparte... Rey meurt à Grenoble le 18 décembre 1855. Au terme de cette première et nécessaire présentation biographique du personnage, il apparaît bien que Joseph Rey ne fut donc pas ce « Rastignac » qu'évoque M.Martineau dans sa préface des « Lettres à Stendhal »60(*), mais bien une figure « stendhalienne », de par la somme d'écrits qu'il prit soin de laisser à la ville de Grenoble. La bibliothèque municipale compte pas moins de quatre-vingts documents signés de sa plume, allant de ses Mémoires, ses traités, exposés, « adresses », « journaux », lettres de plaintes, notes, pétitions, projets de colonies agricoles et industrielles diverses... jusqu'à son imposante correspondance61(*). Des choix ont du être faits, ce qui nous amène à présenter les axes de recherche de la présente étude. * 22 Adolphe Rochas, op.cit, lui attribue par erreur dans sa notice les prénoms de Joseph-Philippe-Auguste. * 23 Cf. Adolphe Rochas, op.cit, p.343. * 24 Henry Dumolard, op.cit, p.73. * 25 Rey ne précise pas lequel. * 26 Joseph Rey, T.3940, op.cit, p.3. Nombre de passages sont soulignés de sa main dans ses manuscrits. On pourra d'ailleurs apprécier la finesse de son écriture en se reportant aux documents annexes où sont disposées des copies « facs similés » extraites de ses Mémoires sur la Restauration, trois paginations : 244p +218p+90p, coté T 3938 à la BM de Grenoble. * 27 Joseph Rey, T 3940, op.cit, p.23. * 28 Joseph Rey, cité par Fernand Rude, op.cit, p.6. * 29 « Sentant désormais le besoin des notions juridiques pour pénétrer d'une manière plus fructueuse dans l'examen des institutions sociales, je me décidai à faire des études de droit pour lesquelles j'avais beaucoup de répugnance, avant de les avoir considérées sous ce point de vue. Aussi ne me bornai-je pas au positif des lois, ni à leur pure actualité, m'efforçant d'entrer dans la théorie de leurs motifs en recherchant dans leur histoire la filiation des circonstances qui les avaient successivement amenées au point où elles se trouvent. J'aimais aussi à comparer nos propres lois avec celles des autres nations, modernes ou anciennes, rien n'étant plus propre à faire réfléchir profondément et à faire sortir des préjugés étroits d'une nationalité exclusive. Enfin n'oubliant jamais qu'il n'est point de science vraiment profitable à l'humanité, si elle n'est éclairée du flambeau d'une saine philosophie, je continuai les lectures que j'avais commencées dans cette branche depuis l'âge de quinze ans », Joseph Rey, T 3940, p.32-33. * 30 Le comte Antoine Destutt de Tracy (1754-1836) fut une des grandes figures d'un courant philosophique né sous l'Ancien régime, nommé « Idéologie ». Il fut l'auteur des Eléments d'Idéologie (1801-1804), ouvrage dans lequel il soutenait voir dans la sensation la source du jugement et des idées générales, auteur aussi d'une grammaire et d'un traité de logique. Délaissant la métaphysique et méfiants vis à vis de la psychologie, les Idéologues demeurèrent sous la Restauration dans l'ombre de l'école, alors en pleine expansion, de Victor Cousin, dite de l' « Eclectisme », nommée aussi « Sensualisme ». Les principaux représentants du courant des Idéologues furent Destutt de Tracy, le médecin Georges Cabanis (1757-1808) et le moraliste et sociologue Constantin-François Volney (1757-1820). Nous (ré)évoquerons à nouveau ultérieurement ces écoles philosophiques, à travers notamment l'étrange figure de Victor Cousin qui, malgré leurs divergences intellectuelles, collabora avec Rey à la conspiration du 19 août 1820...Cf. article sur l'Eclectisme en Annexe. * 31 Joseph Rey, T 3940, p.33-34. * 32 « Je me mis à travailler quinze à seize heures par jour et je suivis ce rythme pendant cinq ans (... ) j'étais décidé à mourir plutôt qu'à m'arrêter un seul moment, tant que je n'aurais pas jeté un coup d'oeil sur toutes les sciences, non que j'eusse la folle présomption de pouvoir toutes les posséder, mais parce que j'apercevais déjà leur lien général, et sentais qu'on ne pouvait arriver à une bonne théorie sur la destiné de l'homme, sans avoir au moins quelques notions des divers éléments, physiques et moraux, qui agissent sur lui. », Joseph Rey, op.cit, T 3940, p.29. * 33 Rey confie dans sa biographie qu'il fut au début de sa carrière assez peu sûr de lui : « ...tremblant d'être au-dessous d'une telle tâche, je fus sur le point d'envoyer ma démission au pouvoir général... », Joseph Rey, op.cit, T.3940, p55, 56. * 34 Rey, surchargé de travail, tomba malade et son médecin lui ordonna de changer de climat. T.3940, p.60 * 35 « Aussi n'eus-je là presque aucune lutte officielle à soutenir ; et n'étant pas surchargé de travail, je pus facilement profiter des nouveaux moyens d'instruction qui s'offrirent à moi de toute part. », Rey, T.3940, p.71,72. * 36 Après un voyage assez pénible en bateau sur les flots du Rhin, le patriote Rey note : « Enfin, nous touchâmes le sol de la France ! », Rey, T.3940, p.96. * 37 Joseph Rey, T.3940, p.97. * 38 « ...Oh ! (non) l'exercice des fonctions publiques ne vous place pas essentiellement sur un lit de douleur, comme l'a prétendu fâcheusement un de nos administrés. », Rey, op.cit, T3940, p.100. * 39 Nous reviendrons sur les dispositions de cette trop fameuse Charte du 4 juin 1814, qui très vite ne fut pas respectée. Dans tous les cas, il convient de préciser que les dispositions initiales du document étaient loin d'annoncer une libéralisation du régime. La religion catholique déclarée religion d'Etat, Louis XVIII affirmait sa pleine souveraineté indépendamment de tout droit de regard des assemblés. Celles-ci comprenaient deux chambres : la chambre des Pairs (seconde chambre) d'où le Sénat ( issu de la Révolution) fut réduit de ses membres les plus libéraux (soixante dix membres furent recrutés parmi l'ancienne noblesse), et la chambre des députés, toujours soumise à la menace d'une dissolution royale. * 40 Rey, op.cit, T.3940, p.100 * 41 Rey, Adresse à l'Empereur (31 mars 1815), , op.cit, U 2964. Déjà présentée en début de l'introduction. * 42 « ...dans une nuit entière d'insomnies, pleines de profondes émotions, je rédigeai mon adresse à l'Empereur qui fit alors ma sensation d'autant plus extraordinaire qu'on était moins accoutumé depuis bien longtemps, au langage fin (!) de l'auteur et aux principes qu'il exprimait (...) il détermina pour tout le reste de ma carrière, le genre de part que je devais prendre aux affaires publiques. », Joseph Rey, op.cit, T 3940, p.101. * 43 Joseph Rey, op.cit, T 3940, p.116. * 44 Joseph Rey, op.cit, T 3940, p.116. La seule phrase « déplacée » envers les Bourbons pourrait être la suivante : « De vils folliculaires, l'encensoir et l'or à la main, livrèrent une guerre impie à toutes les idées vraiment nobles et généreuses. », Rey, op.cit, U 2964, p.6. * 45 « A l'égard de la protestation d'attachement personnel à la famille royale, je dis que je n'en concevais, ni la possibilité, ni la convenance. », Joseph Rey, op.cit, T.3940, p.117. * 46 La Tugendbund, aussi appelée « ligue de la vertu » était une association allemande formée en avril 1808 à Königsberg pour contribuer à l'origine au redressement de la Prusse, humiliée par la défaite de Tilsit. Dissoute sur ordre de Napoléon en 1809, elle fut proscrite en 1815 pour ses tendances libérales. * 47 Société politique italienne que nous présenterons en détail dans le premier chapitre. * 48 Parmi elles, notons déjà la tentative avortée de la conspiration de Didier (1816), curieux avocat drômois au Parlement de Grenoble qui parvint à soulever contre Louis XVIII une vingtaine d'insurgés, pour la plupart des militaires licenciés de l'armée impériale. Nous reviendrons sur cet épisode des premières conspirations militaires des années 1816-1817, premières conspirations auxquelles Rey ne participa pas. * 49 Les vingt et un insurgés de la conspiration de Didier furent tous exécutés sans véritable procès. * 50 Pour plus de détails sur le développement de ces sociétés républicaines qui prirent leur essor sous Louis-Philippe, on consultera l'ouvrage de Georges Weill, Histoire du parti républicain en France de 1814 à 1870, Félix Alcan éditeur, Paris, 1900, 550 p. * 51 Le Bazar était une boutique située rue Cadet à Paris, dans laquelle les conjurés préparèrent leur plan de soulèvement des garnisons. Nous y reviendrons... * 52 Rey se met alors à écrire divers ouvrages de réflexion théorique sur le droit. , comme son Du perfectionnement des études légales dans l'état actuel de la société, Paris, Treutel, Wurtz, 1827, U.5241 ou son Des Institutions judiciaires de l'Angleterre comparées à celles de la France..., Paris, Duverger, 1826, O.3560. * 53 J. Rey, op.cit, T. 3938, p.63, deuxième pagination. * 54 Bentham aidera Rey financièrement mais aussi mettra à sa disposition sa large bibliothèque ! * 55 Robert Owen (1771-1858) avait déjà exposé sa doctrine en 1812 dans ses Nouveaux aperçus sur la société ou Essais sur la formation du caractère humain et en 1818 dans son Adresse aux souverains, au titre évocateur pour Rey... * 56 Rey écrira un traité regroupant ces réflexions théoriques, Des Bases de l'Ordre social, Angers, Ernest Le Sourd, 1836, 2 vol, X.98. OEuvre qu'il dédiera à la mémoire de son maître Destutt de Tracy. * 57 Joseph Rey, Lettres sur le système de la coopération mutuelle et de la communauté de tous les biens d'après les plans de M.Owen, Paris Sautelet & Cie, 1828, O.3566. * 58 « O France ! ô ma patrie ! Le moment n'était donc pas venu de ta véritable gloire, ce moment où, vraiment reine du monde par le seul ascendant de ton génie civilisateur, tu pourras enfin déposer le glaive sans lâcheté ; où tu pourras sans crainte convertir le fer en instruments de travail, source unique de la moralité et du bonheur des peuples, comme de la moralité et du bonheur des individus ? (...) je ne puis croire à l'éternité d'une loi pareille ; et quoique me refermant encore avec tristesse dans la pensée des épreuves douloureuses, ma foi n'en est pas moins vive pour un avenir plus heureux de l'humanité ! », Joseph Rey, Mémoires sur la Restauration, op.cit, T.3938, p.122,123, 2nde pagination. * 59 Joseph Rey, Appel au ralliement des socialistes, Paris, Librairie Phalanstérienne, 1847, 15.p, inséré dans le second volume de ses Mémoires intitulé Appréciations des divers partis qui furent opposés à la branche aînée des Bourbons après la première Révolution, 197 p., T. 3939. * 60 Henri Martineau, préface des « Lettres à Stendhal » (1803-1806), op.cit. * 61 Une liste non-exhaustive des principaux écrits de Rey disponibles aux archives de la ville de Grenoble est disposée en bibliographie. |
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