Chapitre III LE PERE AUZANNEAU : ELEMENTS D'UNE
BIOGRAPHIE
Si ce présent travail se donne pour tâche de
faire ressortir la représentation du Père Auzanneau sur le monde
africain, il ne saurait laisser de côté la vie du personnage
lui-même. Loin d'être une biographie complète, ce chapitre
s'intéressera à une présentation à grands traits de
la vie du personnage. L'accent sera surtout mis sur l'engagement de l'ancien
soldat pour son pays, ensuite sur le côté intellectuel du
missionnaire, puis sur son engouement pour propager l'Evangile.
A- Un fervent patriote
Louis Joseph Auzanneau, dit plus tard Mazano par ses
fidèles africains, a pris naissance à Usson-du-Poitou, bourg
situé à 40 km au sud de Poitiers, le 15 mars 1897, dans une
famille de neuf enfants dont il était le septième.
Si l'on lit le début de Le nationalisme
français59 de Raoul Girardet tout comme La
Patrie60 de Raymond Chevalier, l'on se rend compte que les
termes nationalisme et patriotisme en France ont un sens qui varie en fonction
des circonstances historiques du pays. Pour s'en tenir à notre
période, R. Chevalier montre qu'après la défaite de la
France devant l'Allemagne en 1870, il y a eu un « regain de patriotisme
». En effet, la victoire des troupes de Bismarck à Sedan et la
perte de l'Alsace et la Lorraine en 1870 a traumatisé les
Français qui construisent, à travers la Troisième
République, un véritable patriotisme. Jusqu'à la Grande
guerre, ce sentiment de revanche qui anime le peuple français devait
aiguiser tout au long de cette période le patriotisme et le nationalisme
en France. Ces deux mots ne sont pas à confondre : « Le
patriotisme, c'est l'amour des siens. Le nationalisme, c'est la haine des
autres. »
Cette citation de Romain Gary permet de comprendre la
subtilité qui existe entre le patriotisme et le
nationalisme. En effet, même si ces deux concepts reposent sur
l'idée d'un
59 GIRARDET, Raoul. Le nationalisme
français. Anthologie 1871-1914, « Points », Seuil, Paris
1983
60 CHEVALIER, Raymond. La Patrie. « Que
sais-je ? », PUF, 1998
amour inconditionnel de la patrie, une recherche de gloire
nationale et la volonté de protéger les intérêts
nationaux, il existe néanmoins une différence. Alors que le
patriotisme est toute forme d'attachement sentimental au territoire
oü l'on est né, le nationalisme est souvent
considéré comme un patriotisme exacerbé à
outrance, selon Raoul Girardet, qui sert à désigner la
préférence aveugle et exclusive pour tout ce qui est propre
à la nation à laquelle on appartient.
Pierre Larousse définit le patriote comme «
une personne qui aime ardemment sa Patrie61 . » Le
parcours du Père Auzanneau durant sa jeunesse semble répondre
complètement à cette définition et fait de lui un patriote
inconditionnel.
Il parait que l'entourage même du futur missionnaire le
conditionne à être prêt à se dévouer ou
à se battre pour sa patrie afin d'en défendre les
intérêts. Son père, François-Xavier Auzanneau, fut
zouave62 en Afrique du Nord. Il est donc fort probable qu'il
entendit souvent exalter les vertus patriotiques. Et l'exemple de son
père ne pourrait pas ne pas l'influencer, comme ce fut le cas pour son
frère Xavier qui, dès 1912 répond à l'appel des
armes. Il fait partie des premières victimes sur le front
français en septembre 1914, après avoir participé à
la première conquête du Maroc et combattu sous les murs de
Fez63.
Après ses études au Petit séminaire de
Montmorillon à Poitiers, sa ville natale, Auzanneau devait rentrer au
Grand séminaire en 1914, mais les circonstances de la guerre l'en
empêchent et l'amènent à faire autre chose. En effet, la
mobilisation générale du 2 août qui touche bon nombre des
professeurs, ne permet pas au Grand séminaire, bientôt
transformé en hôpital, d'accueillir des élèves qui
voulaient s'y inscrire.
Entre temps, le Père Auzanneau s'engage à
travailler comme professeur au collège Saint Stalisnas dans la ville de
Poitiers pour remplacer les professeurs mobilisés, avant de l'être
à son tour. Sa volonté de remplacer des professeurs indisponible
pour cause de guerre traduit dans une certaine mesure son attachement pour sa
patrie.
61 LAROUSSE, Pierre, Grand Dictionnaire Universel
du XIXe siècle t. 18 p. 408
62 Les zouaves étaient des unités
d'infanterie appartenant à l'Armée d'Afrique qui dépendait
de l'Armée de terre française
63 ERNOULT, Jean, Mazano. Le Père Joseph
Auzanneau (1897-1967) Missionnaire au Congo. Congrégation du
Saint-Esprit, Archives générales, 1994, p. 36
La mort de son frère et celle de son
père64 survenue au cours de la même année ne lui
enlèvent pas le désir de défendre la cause de son pays.
Que le sort de son ainé devienne sien, cela lui importe peu. En effet,
mobilisé en octobre 1916 dans un régiment de marche N°
40065, on le retrouve derrière les tranchées. Sa
présence dans la guerre parait retenir l'attention de ses
supérieurs qui le nomment vers la fin de la guerre sergent et lui
donnent une croix de guerre à deux étoiles. Cette
expérience de guerre maquera, semble-t-il, toute sa vie en laissant sur
sa langue le goût du combat, au moins pour servir son pays. Lors de la
deuxième Guerre mondiale, alors qu'il était à
Kibouendé, il se montre prêt à répondre en 1939
à l'appel des armes pour défendre une fois de plus son pays
contre l'Italie :
« Les Italiens, ou d'autres, viendront-il jeter le
bouleversement dans le monde ? Je crois qu'en ce moment, ou bientôt, se
débat la question des colonies : qu'en sortiraÀt-il ? S'il y
avait la guerre, nous serions mobilisés à l'extreme Nord de la
colonie d'AEF66, au Tchad, frontière commune avec les
Italiens. Je ne vois pas comment je pourrais chausser les godillots militaires
; il faudrait me mobiliser en savate... à moins que je sois chef de
poste comme garde-voie sur le Congo-océan67. »
Il apparait clairement que les propos du missionnaire
révèlent qu'il se trouve irrésistiblement poussé
par les vertus patriotiques qui l'habitent, contre lesquelles il ne peut pas
lutter ; il est fortement déterminé à prendre les armes
pour défendre sa patrie. Il est donc en présence de deux formes
de lutte. L'une qui vise à combattre les « forces des
ténèbres » en Afrique dont l'expression est l'ensemble de
ses activités missionnaires qu'il mène chez les Noirs et l'autre
qui consiste à prendre les armes pour défendre sa patrie face aux
ennemis de
64 ERNOULT, Jean, Le Père Joseph
Auzanneau (1897-1967) Au jour le jour à Kibouendé. Correspondance
1926-1941. Congrégation du Saint-Esprit, 1996, p. 3. Nous sommes en
face d'une petite difficulté pour cette date, puisque l'auteur donne
deux dates, 1914 et 1915, pour le même événement dans deux
documents différents. Dans la publication des lettres du missionnaire,
c'est écrit 1914 (p. 3) En revanche, dans une petite biographie du
Père, il écrit 1915 (p. 11) Convenons, pour faire court, qu'il
s'est produit entre ces deux années.
65 ERNOULT, Jean, Mazano... Op. cit, p. 36
66 Afrique Equatoriale Française était
un gouvernement général regroupant au sein d'une même
fédération plusieurs colonies françaises en Afrique
Centrale: Gabon, Moyen-Congo, Tchad, Oubangui-Chari.
67 « Lettre du 9 mars 1939 », cité par ERNOULT,
Jean, Le Père Joseph Auzanneau... Op. cit., p. 238
celle-ci. Devant ces deux devoirs, servir Dieu ou la Patrie,
l'ancien Poilu68 envisage le deuxième, comme le confirme
cette citation ci-dessous :
« Nous avons été informés de la
mobilisation à 7 h du soir (le premier septembre). A
10 h du soir, l'ordre du départ arrivait. Le
lendemain matin à 6 h, je rejoins Brazzaville où j'ai
été habillé et équipé. Pas pour longtemps
car j'ai été avisé que j'ai été mis en
sursis jusqu'au 2 décembre parce qu'étant, parait-il, de la
deuxième réserve et aussi pour cette raison que le Gouverneur ne
voulait pas que les missions soient toutes laissées
vacantes69. »
Ce sentiment de patriotisme qui guide constamment le poitevin
jusqu'à le porter à vouloir laisser ses fidèles en Afrique
pour aller prendre la défense de la nation française se trouve,
parait-il, partagé par plusieurs autres missionnaires de son
époque, si ce n'est l'ensemble. Monseigneur Augouard, poitevin et
spiritain comme le Père Auzanneau, ne s'indigne nullement lorsqu'on
tente de le comparer d'avantage à un colonisateur qu'à un
prédicateur. Il dit lui-même qu'il se sent plus Français
que missionnaire70.
Jules Simon71, dans un discours prononcé en
juin 1895, utilise, en parlant des missionnaires, une expression qui
résume parfaitement ce double visage des apôtres dont le
Père Auzanneau : « La croix d'une main, le drapeau national de
l'autre72. » Le poitevin n'a jamais laissé passer
une occasion pour montrer qu'il est à la fois Français et
missionnaire. En témoignent les vibrants sermons qu'il a l'habitude de
prononcer à Brazzaville lors des cérémonies patriotiques
et religieuses, en particulier lors de la fête de Jeanne
d'Arc73. Ses prises de position en faveur des figures historiques de
la France font de lui un homme célèbre parmi les coloniaux.
L'administrateur de l'époque, Ch. Maillet, écrivait en 1955 :
« Le grand
68 BOUQUET, Jacques, Op. cit., p. 43 L'auteur
souligne que Joseph Auzanneau a participé militairement
à la guerre de 1914-1918
69 « Lettre du 9 mars 1939 », cité par ERNOULT,
Jean, Le Père Joseph Auzanneau... Op. cit., p. 238
70 Voir à ce sujet LAMOUR BECHET, Antoine. Les
Noirs dans le regard du Père Augouard. Un missionnaire spiritain
à la rencontre des peuples du Gabon et du Congo. 1877-1890.
Mémoire de Master I sous la direction de Frédéric
CHAUVAUD, Université de Poitiers, juin 2007. ff° 93 à 95
71 Député républicain à
l'assemblée constituante de 1848, puis de 1863 à 1871 sous
l'Empire.
72 Cité dans LAMOUR BECHET, Antoine, Op.
Cit. f°78
73 Depuis 1429, on célèbre en France
entre fin avril et début mai, le souvenir de la délivrance de la
ville d'Orléans par Jeanne d'Arc pendant la guerre de Cent ans. Jeanne
d'Arc qui s'est imposée parmi les principales figures de l'histoire de
France est revendiquée tant par le milieu religieux, philosophique et
politique en France.
succès du Père Auzanneau a
été, tout récemment, la fête de Jeanne d'Arc,
où il a prêché en présence des hautes
autorités civiles et religieuses74. » C'est dans ce
discours à caractère finalement épique qu'il
célèbre la grandeur du général de Gaulle qu'il
appelle le « général du Grand Refus75. »
Discours qui connait un grand retentissement assuré par sa
diffusion intégrale par la Radio du Canada.
Les durs moments qu'il connut dans sa vie de soldat pendant la
Grande Guerre n'ont pas pu ternir la flamme de cet ardent sentiment qui
s'exprime dans la reconnaissance de ses responsabilités et ses devoirs
de citoyen. Au contraire, les douleurs vécues dans les tranchées
ont été supportées avec fermeté et courage, si l'on
se base sur ces vers qui sortent de la profondeur de son âme en revenant
de la guerre en 1918 :
« Ce n'est pas d'être rompu, brisé,
crevé par la fatigue,
Ereinté par la marche, par une marche
militaire,
Par le poids du sac qui meurtrit mes reins,
Par le lourd gonflement des musettes qui tiraillent les
épaules, Ce n'est pas d'avoir le front en sueur et les pieds en
sang,
Ni de camper sous la tante,
Ni de coucher sous la paille ;
Le sac bouclé, l'arme au bras
Ce n'est pas de n'avoir qu'un crouton de pain dur pour sa
faim Un creux de rocher comme repos
Ce n'est pas cette rudesse, ces privations qui sont
intolérables76. »
Toutefois, s'il est certain que le futur missionnaire fut
d'abord un soldat prêt à donner sa vie pour sa patrie, on peut
voir aussi à travers ses vers qu'il n'est pas moins quelqu'un pratiquant
des activités créatrices de l'esprit. Abordons maintenant une
autre facette de la vie du personnage.
74 ERNOULT, Jean, Mazano... Op. cit.,
p.10
75 Idem
76 Ibidem p. 9
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