Section 2. L'éthique et la protection agricole
à l'importation
La protection à l'importation est la forme de soutien
la plus transparente et la plus universelle dans le temps et l'espace, donc la
plus légitime. Pourtant, derrière l'écran de fumée
de leurs discours idéologiques sur la nécessaire
libéralisation des échanges agricoles, les pays occidentaux ont
imposé au reste du monde une typologie des formes de protection permises
et interdites conforme à leur situation spécifique de pays riches
tout en bafouant les valeurs éthiques et les déontologies du
commerce international.
La protection à l'importation s'impose dans tous les
pays d'abord pour défendre les revenus des agriculteurs et la
stabilité du pouvoir d'achat des consommateurs contre la forte
volatilité des prix mondiaux.74 Il s'avère donc que la
protection à l'importation s'impose d'abord pour garantir la
sécurité alimentaire quantitative des pays pauvres. Elle s'impose
aussi pour que l'agriculture puisse remplir pleinement ses fonctions non
marchandes en contribuant à la préservation de l'environnement,
au maintien des emplois ruraux, à l'aménagement
équilibré du territoire, garantir aux consommateurs des produits
alimentaires de qualité, alors que les pays occidentaux voudraient les
obliger à consommer de la viande aux OGM. Bref elle s'impose au nom de
la multifonctionnalité de l'agriculture, laquelle est un secteur
d'activité très spécifique.
Jean-François Sneessens estime,
à raison, que aussi longtemps que le niveau d'organisation des pouvoirs
publics reste mondial, la responsabilité
74 BERTHELOT, Op.cit, p.296
d'assurer cette sécurit et le choix des moyens à
mettre en oeuvre restent eux aussi nationaux. Aussi longtemps que les
marchés mondiaux fonctionnent de manière aussi imparfaite que
c'est le cas actuellement, on ne peut imposer aux Etats un dumping à
l'importation par une suppression systématique et déraisonnable
de leurs barrières douanières.75 Au sein du
Comité agricole de l'OMC, une majorité de pays reconnaissent
qu'un traitement contre l'éthique et différencié en
matière d'accès au marché continue à être
essentiel en vue d'améliorer la participation générale des
pays en développement dans le commerce agricole mondial et pour
renverser la tendance croissante de nombre d'entre eux à devenir
importateurs nets.
Une évaluation faite par FAO montre l'impact de
l'Accord Agricole d'Uruguay Round sur une dizaine de pays du Sud est
globalement négative, notamment du fait de la forte baisse des
protections à l'importation qui ont rendu les produits locaux non
compétitifs.
Nous avons fait un constat que la protection tarifaire
agricole doit encore en moyenne supérieure à 40% dans les pays
occidentaux contre 4% pour les produits industriels alors qu'elle n'est que de
10% à 20% dans la majorité des pays du Sud. Ce constat malheureux
nous conduit à conclure qu'il faut éliminer partout la protection
car cette dernière n'est pas éthique dans un commerce où
on cherche l'équité et la justice sociale. Comment ne pas
s'interroger sur le lien entre la dépendance alimentaire croissante de
l'Afrique noire et la quasi absence de protection à l'importation de son
agriculture, contrairement à la plupart des autres pays du Sud qui n'ont
réduit leur forte protection, sous la pression occidentale, que
récemment après avoir atteint une quasi autosuffisance
alimentaire, tout en bénéficiant d'ailleurs de la protection
alternative très efficace liée à la sous-évaluation
de leurs monnaies.
75 SNEESSENS (Jean-François), Mondialisation,
marchés mondiaux des produits agricoles et coopération
internationale, communication lors du colloque de l'Association
Européenne de Formation Paysanne et Rurale, Bruxelles, 25 février
2000.
2.1. Les pays industrialisés et la protection de
leur agriculture à l'importation
Les leçons de l'histoire montrent que tous les pays qui
se sont spécialisés en fonction de leurs avantages comparatifs
initiaux dans les productions de matières premières, notamment
agricoles, sont restés sousdéveloppés alors que les pays
occidentaux et les pays du Sud aujourd'hui industrialisés (Taïwan,
Corée du Sud, Inde, Brésil, Chine...) ont bâti de toutes
pièces leurs avantages comparatifs actuels dans les secteurs secondaire
et tertiaire, le Japon et les EU en tête, à l'abri d'une
très forte protection de leur agriculture, notamment à
l'importation. Anderson et Tyers ont d'ailleurs montré que la protection
agricole s'accroit avec le degré d'industrialisation des
pays.76
L'évolution de la politique agricole de la Finlande de
1931 à 1994 confirme le constat de Swinnen77
cité par Anderson et Tyers selon
lequel la protection a varié en fonction inverse de la part de
l'agriculture dans l'emploi total, dans le budget des ménages et dans le
taux d'autosuffisance alimentaire. Elle a montré aussi que les
périodes de baisse des revenus agricoles relativement au reste de
l'économie correspondent à une hausse de la protection et que,
inversement, la protection agricole baisse lorsque le revenu agricole augmente
plus vite que la moyenne. Plus généralement, l'on peut
vérifier la corrélation étroite qui existe entre le niveau
de développement d'un pays et l'importance de sa protection à
l'importation. De même, les pays du Sud à ne pas s'être
industrialisés, en premier lieu ceux d'Afrique noire, sont aussi les
seuls à ne pas avoir eu la volonté ou la capacité
politique de protéger leur agriculture à l'importation, compte
tenu des pressions exercées sur eux par les pays occidentaux et les
organisations internationales qu'ils dominent, le trio Banque Mondiale, FMI et
OMC en tête.
La protection obligée de l'agriculture à
l'importation découle de la nécessité de garantir des
revenus agricoles minima face aux forts aléas climatiques qui lui sont
spécifiques. L'absence de protection contribue au contraire, face
à une demande alimentaire faiblement élastique, à
accentuer au niveau national les fluctuations de prix déjà
intrinsèques au marché mondial. D'autant que celui-ci se
caractérise par la dégradation à long terme des termes de
l'échange entre les produits agricoles et les produits industriels et
les services, qui tient elle-même à la relative saturation des
besoins alimentaires dans les pays développés, contrairement
à la consommation des produits industriels et des services. D'autant en
outre que les fluctuations des prix mondiaux sont amplifiées par la
valse imprévisible des taux de change dans le contexte de la
globalisation financière.
La protection de l'agriculture à l'importation est
particulièrement cruciale aux premières phases du
développement, tant que les paysans représentent la
majorité de la population puisque des revenus agricoles
élevés conditionnent les investissements permettant d'accroitre
les rendements et ainsi de libérer des ressources pour l'industrie et
les services. Simultanément le démarrage de ces secteurs
dépend de l'importance de la demande des agriculteurs.
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