~ 43 ~ DEUXIEME CHAPITRE
L'AIDE ET L'IMPORTATION ALIMENTAIRES FACE A
L'ETHIQUE
L'objectif de ce chapitre est d'analyser les grandes critiques
faites à l'aide alimentaire et la protection agricole à
l'importation par une réflexion éthique afin d'identifier les
grands problèmes qui sont soulevés.
Section 1. Ethique et aide alimentaire
1.1. Ethique comme concept
Le terme éthique, qui se dit adjectivement de ce qui a
rapport à la morale, s'emploie aussi comme féminin par certains
auteurs pour désigner la science de la morale ou un ouvrage traitant de
cette science.56
Puisque l'éthique est synonyme de la morale, ce vocable
doit se définir comme nom donné à la science ou à
la doctrine qui détermine les règles de nos actions, tandis que
dans son sens le plus large, l'expression déontologie couvre la science
déterminant l'ensemble de devoirs à remplir57.
Pour ce qu'il y a des domaines de l'application de
l'éthique, celle-ci s'applique à tous les domaines de prestation
des services destinés à la consommation du public. Toute personne
qui s'installe sur la place publique pour rendre service au public est tenue
à l'éthique, qu'il s'agit de la production des biens ou des
services, à titre gracieux ou onéreux.
L'éthique est une connaissance pratique : elle
reconnait le bien là où il se trouve, elle contribue aussi
à l'amener par l'action dans les cas où il fait défaut, ou
à empêcher qu'il ne soit lésé. L'éthique
contient donc un savoir d'après lequel peut s'orienter la
réflexion de l'individu sur les actions bonnes et nuisibles, justes ou
injustes.
56 MUPINGANAYI (Bruno), Ethique et
déontologie professionnelle, éd. CARI, Kinshasa, 1998, p.1
57 Idem, p.2
L'exigence de l'éthique devient encore plus forte
lorsque les prestations destinées au public touchent à la
santé, à l'honneur et au bien-être des
citoyens.58
1.2. A la recherche d'une perspective historique
Depuis la fin de la guerre froide, l'enjeu n'est plus de
soutenir tel ou tel camp, mais au contraire de contraindre certains acteurs de
conflit à faire la paix. Il s'agit en effet de résoudre, ou
parfois simplement de contenir, des crises qui, pour une raison ou une autre,
menacent la stabilité politicoéconomique de certaines
régions. Dans ce contexte, de nouvelles stratégies
d'instrumentalisation de l'aide humanitaire, et notamment de l'assistance
alimentaire pour ne pas dire de l'arme alimentaire sont apparues. Ceci n'est
que le dernier épisode d'une longue histoire qu'il s'agit de
décrypter.
Au cours de la période coloniale, la mise sur pied du
commerce triangulaire entre la France métropolitaine, l'Indochine et les
colonies d'Afrique a eu des effets considérables sur les systèmes
agricoles locaux. En coulant les productions vivrières traditionnelles
par la vente à bas prix du riz « cochinchinois », et en
instaurant une politique fiscale coercitive (les impôts coloniaux sur le
sel, le nombre de personnes par famille, les corvées en nature), la
puissance coloniale a pu développer, en Afrique notamment, des cultures
de rente. Les paysans du bassin arachidier sénégalais connaissent
bien les conséquences de cette évolution :
écosystèmes en crise, sols dégradés,
vulnérabilité accentuée des économies paysannes en
face du commerce international des produits agricoles59. De plus, le
commerce des céréales locales s'est trouvé fortement
entravé et déstructuré par les nouvelles habitudes de
consommation. Les produits d'importation ont en effet pris une place
déterminante dans le panier de la ménagère, notamment en
milieu urbain : riz, pain, etc.
58 MUPINGANAYI, Op.cit, p.2
59 GRÜNEWALD (François), « pour ou
contre l'aide alimentaire » in revue internationale de la Croix-Rouge,
n°822, p.633
Parallèlement à cette approche mercantile sont
apparues des stratégies d'utilisation politique de l'aide alimentaire.
L'un des premiers exemples bien documentés de cette dernière est
l'assistance apportée par l'Occident à l'URSS lors de la grande
famine de 1921. Croyant montrer au pouvoir des Soviets la
générosité de l'Ouest et la supériorité du
modèle capitaliste, les promoteurs de ce programme de secours
alimentaires ont en fait facilité la mise sous coupe
réglée de l'agriculture et l'écrasement de la
paysannerie60. Ainsi l'aide alimentaire d'urgence, offerte
manifestement ou refusée, cache souvent d'autres
desseins61.
Avec la fin de la guerre froide et les changements affectant
« la planète de toutes les crises », les stratégies
d'utilisation de l'aide alimentaire ont évolué. L'embargo
alimentaire et le refus de financer des programmes nutritionnels sont de plus
en plus utilisés pour faire fléchir une partie à un
conflit, quel qu'en soit l'impact sur les populations civiles. Lorsque l'on
sait que ceux qui décident de l'arrêt ou de la continuation d'un
conflit ne sont généralement pas ceux qui pâtiront de la
pénurie induite par l'embargo, on peut imaginer qu'il faudra que les
zones qu'ils contrôlent soient transformées en champs de
souffrances infinies pour que, de peur d'une révolte, ils cèdent
aux pressions. À quel prix humain ? Les embargos économiques au
sens large font, certes, partie de la panoplie des pressions diplomatiques
à disposition du Conseil de sécurité de l'ONU. Ils peuvent
également être utilisés de façon unilatérale
par certains pays. Il faudra veiller à ce que l'on n'en abuse pas, et
surtout, à ce que les populations vulnérables des pays
ciblés ne deviennent pas, du fait de cette action politique, des
sinistrés alimentaires. Les agences humanitaires doivent garder dans ces
situations toute latitude d'agir, de façon indépendante et
impartiale, et de prévenir la catastrophe. Les débats actuels
à propos de l'Irak, de la Serbie et du Burundi montrent la
complexité de ces questions.
1.2.1. L'aide alimentaire comme instrument du
colonialisme
De nos jours, le monde possède d'énormes
capacités pour répondre aux famines à grande
échelle et prévenir leur expansion. Mais les mécanismes
qui fournissent l'alimentation en cas de famine ne sont pas aussi efficaces
qu'ils pourraient l'être car ils ne sont pas toujours motivés par
les besoins des affamés mais par des motivations liées à
l'histoire du colonialisme.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) est le rouage le plus
important de la machinerie de l'aide alimentaire mondiale. Les Etats-Unis sont
de loin les plus gros donateurs du PAM, fournissant plus de 60% de l'aide
alimentaire. Mais ils insistent pour soit donner des produits alimentaires soit
pour lier leurs contributions financières à la commande de
produits américains.
Cette politique fait partie d'une stratégie
délibérée de subvention de l'agriculture des Etats-Unis et
de fragilisation de ses concurrents agricoles. Fournir de l'aide en nature
allège les symptômes de la famine mais perpétue ses
causes.
Il n'est dans l'intérêt de l'économie et
du secteur agricole des Etats-Unis de développer le Sud que dans la
mesure où cela leur ouvre de nouveaux marchés et leur apporte des
commandes. Comme l'a fait remarquer Lawrence Godwin, de l'organisation Africa
Faith and Justice Network, "Les Etats-Unis veulent voir leurs compagnies
contrôler les ressources les plus fondamentales de la vie, incluant les
semences, les plantes cultivées et l'eau62.
David King, le conseiller scientifique en
chef du Royaume Uni, s'est fait l'écho de nombreuses personnes en
dénonçant la tentative des Etats-Unis de faire entrer de force
les technologies de modification génétique en Afrique par
62 www.legrandsoir.info. Consulté le 24
octobre 2010
le biais de l'aide alimentaire comme étant "une
expérimentation humaine massive.63"
Tout porte à croire que c'est le rejet mondial des
plantes génétiquement modifiées qui influence les
pratiques d'aide des Etats-Unis. Avec la montée de la résistance
aux plantes génétiquement modifiées que l'on observe
aujourd'hui au niveau mondial, la majeure partie du maïs que les
Etats-Unis proposent actuellement comme aide alimentaire à l'Afrique ne
peut plus de toutes les manières être vendue. Comme le fait
remarquer le London Independent, "L'aide alimentaire est le dernier
marché à l'exportation non régulé ouvert aux
agriculteurs des Etats-Unis quand les consommateurs européens et
asiatiques fuient le maïs génétiquement modifié et
introduisent des réglementations strictes pour son importation et son
étiquetage.64
|