La reformulation Rawlsienne des principes de la justice( Télécharger le fichier original )par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011 |
Section 2 : La critique de la justice distributiveAu chapitre septième d'Anarchie, Etat et utopie, Robert Nozick, considère le terme « justice distributive » comme dépourvu de neutralité dans la mesure où, comme critère ou principe, il fait appel à une forme de partage dans plusieurs domaines. Cette explication de Nozick qui reste encore ambiguë, ne nous éloigne pas tout à fait de la compréhension générale de la justice distributive, parce qu'elle tient compte du mot « partage ». En effet comme nous l'avons souligné avec Rawls, et partant, depuis Aristote, la justice distributive concerne essentiellement les questions de justice sociale et de partage équitable. Cependant, si Nozick soutient que cette forme de justice n'est pas neutre, c'est parce que, « dans ce processus de distribution de parts, il se peut que certaines erreurs se soient glissées »71(*). En récusant la neutralité de la justice distributive, Nozick, la juge incompatible avec une société libre. Position qui se comprend par rapport à son attitude envers l'État ou encore par rapport à son rejet d'un État qui se mêle de la vie des citoyens. Si dans le cas d'une justice distributive, il fallait qu'il y ait un groupe se chargeant de faire la distribution, cela reviendrait à dire que, finalement, l'État devrait exister, puisque en réalité, c'est lui qui se chargerait de la distribution. Il affirme donc en ces termes : « il n'existe pas de distribution centrale, il n'existe personne ni aucun groupe habilité à contrôler toutes les ressources et décidant de façon conjointe de la façon dont ces ressources doivent êtres distribués »72(*). La distribution, ou mieux le partage, doit être un acte volontaire, c'est-à-dire qu'il doit être le résultat d'un échange ou encore l'expression d'un cadeau. Mais en aucun cas elle ne doit relever d'une obligation ou d'un devoir. Pour éclairer sa conception de la justice distributive, Nozick se propose d'analyser la théorie de Rawls : « Nous pouvons éclairer notre discussion sur la justice distributive d'une façon plus intense, en analysant en détail la contribution que John Rawls a apporté au sujet »73(*). Afin de cerner sa critique de la justice distributive chez John Rawls, Nozick fait une analyse critique de sa conception de la coopération sociale qui, selon lui, n'a pas de raison d'être dans la mesure où elle se présente sous forme d'organe dirigeant, car le problème de la justice distributive pour Rawls, « réside dans la façon dont ces bénéfices de coopération devront être distribués ou alloués »74(*), et c'est ce qu'il affirme dans Théorie de la justice : « Les principes de la justice sociale fournissent un moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base de la société et ils définissent la répartition adéquate des bénéfices et des charges de la coopération sociale »75(*). Pour Nozick, s'il n'y avait pas de coopération sociale, le problème de la justice distributive ne se poserait pas, et on n'aurait même pas besoin d'une théorie de la justice justifiée par des principes, puisque chacun devrait avoir le fruit de son travail. Pour illustrer cela, il prend un exemple qui montre comment la coopération crée la dépendance et des obligations envers les autres, même lorsque certains ont travaillé et obtenu plus que d'autres. S'il y avait dix Robinson Crusoé, chacun travaillant seul pendant deux ans sur des îles séparées, qui découvraient l'existence des autres et de leurs différentes acquisitions grâce à des communications par radio transmises vingt ans après, ne pourraient-ils pas revendiquer les uns envers les autres, à supposer qu'il soit possible de transférer des biens d'une île à l'autre76(*)? Cet exemple, comme les autres, dans la théorie de Nozick est introduit pour signifier qu'on n'a pas besoin de coopération sociale pour appliquer un principe de la justice sociale. Redistribuer les biens serait un acte injuste. Nozick estime en outre que, corriger les inégalités est liberticide. Il invite le lecteur d'Anarchie Etat et utopie à définir ce qui lui paraît être la situation initiale la plus légitime du point de vue de la répartition des biens. Sur cette base, il entend montrer, qu'intuitivement, nous préférons toujours le principe libertarien de circulation des biens et services, plutôt que l'idée libérale d'une redistribution même minime des richesses. D'où il est absurde, d'un côté d'exiger que chacun ait une juste part des richesses disponibles et d'empêcher, d'un autre côté, que chacun dispose pleinement des richesses qui lui reviennent. Alors que, la logique rawlsienne, dans une coopération sociale, serait de faire une juste distribution de tous les biens pour que personne ne manque de rien, Nozick pense que, dans une situation de non coopération, la distribution ou la revendication des biens des autres ne peut pas avoir d'objet, parce que « chaque individu mérite ce qu'il obtient sans aide, par ses propres efforts, ou plutôt personne d'autre ne peut, dans cette situation, déterminer qui a droit à quoi, et de voir qu'aucune théorie de la justice n'est requise »77(*). C'est pourquoi, la coopération sociale, n'a pas de raison d'être selon Nozick, car ce serait une violation des droits des individus et une collectivisation des talents, que d'obliger des individus à transférer leur bien à d'autres. En d'autres termes, si les biens partagés n'appartenaient à personne, aucun problème ne se poserait pour Nozick qui récuse simplement l'idée de prendre sur la part d'autrui pour donner à celui qui n'a rien, alors qu'en principe celui qu'on « dépouille » devrait donner selon son bon vouloir et non pas parce qu'il doit le faire. Or ce qui est à distribuer appartient déjà aux individus dont il faudra, selon Nozick, violer les droits fondamentaux pour réaliser la distribution parfaite. Nozick considère cet acte comme illégitime. De l'avis de Nozick, Rawls ne répond pas à la question de savoir d'« où viennent les actions à allouer et les choses à distribuer », même s'il en parle constamment dans ses écrits. Nozick pense simplement que cela justifie son refus d'affirmer que ces biens à partager appartiennent déjà à des personnes, et que ce sont des personnes qui ont des droits sur la direction de leurs propres actions. C'est pourquoi Nozick souligne que « la coopération sociale crée des problèmes spéciaux de justice distributive qui, autrement, n'apparaissent pas ou restent vagues, sinon mystérieux »78(*). Ainsi, selon lui, Rawls formule le principe de juste distribution sans regarder l'origine des biens. Or seule la connaissance de cette origine pourrait permettre de se prononcer sur ce genre de sujet. Il est important de ne pas se contenter des informations présentes, car l'adoption d'une perspective historique serait l'idéal pour savoir comment les gens en sont venus à posséder des biens. Du point de vue de cette critique nozickéenne de la justice distributive, l'on peut dire que Nozick s'est d'abord attachée à récuser l'idée de coopération sociale, qui, pour lui accorde trop de place à l'Etat. Ensuite il a tenté de montrer que la justice distributive n'est pas une manne tombée du ciel, moins encore des ressources dont il va falloir priver quelques uns-souvent propriétaires légitimes- pour le donner aux autres. Une troisième critique adressée à Rawls concerne sa vision de l'égalité des chances. * 71 Ibid., p. 187. * 72 Ibid., p. 188. * 73 Ibid., p. 228. * 74 Ibid., p. 230. * 75 John Rawls, Théorie de la Justice, op. cit., pp. 30-31. * 76 Robert Nozick, op. cit., p. 231. * 77 Ibid., p. 231. * 78 Ibid., p. 235. |
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