La reformulation Rawlsienne des principes de la justice( Télécharger le fichier original )par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011 |
3 - Regard critique sur la reformulation rawlsienne des principes de justiceAprès avoir remanié son oeuvre, nous avons l'impression qu'il n'y a plus une critique à adresser à Rawls, car la majorité de ses ouvrages ultérieurs sont considérés comme des réponses à ses détracteurs. Pourtant il reste que, demeurant fidèle à ses intuitions premières, Rawls redit avec d'autres mots ou encore modifie légèrement ce qui de sa théorie peut continuer à étonner encore aujourd'hui. C'est pourquoi, nous inscrivant dans la lignée de ceux qui considèrent, qu'aujourd'hui, certains aspects de la théorie de Rawls sont défectueux, nous voulons à travers cette critique soulever certaines objections que nous avons jugées personnellement inquiétantes pour la postérité. Premièrement, nous tenons à souligner que la méthode de Rawls, son style d'écriture représente en lui-même une ambigüité, quant à la compréhension de sa théorie. Le style qu'il emprunte peut paraître, à certains endroits, déroutant pour une personne qui le lit pour la première fois. Théorie de la Justice est un livre long, fourmillant et répétitif, ce qui est peut-être dû au fait que ce livre est une compilation d'articles divers. On ne se serait pas attendu dans La justice comme équité à retrouver les mêmes difficultés, pourtant à certains endroits, on retrouve quand même des ambigüités et des répétitions. Par exemple dans la première, partie où il parle des idées fondamentales, il reprend dans la troisième partie plusieurs idées déjà dites dans la première partie. Quant à notre deuxième critique, elle s'attaque à la priorité lexicale accordée au premier principe de Justice. Tout porte à croire, en lisant Rawls, que la liberté devrait passer avant la vie. Il est vrai qu'au fondement des principes de justice, Rawls place l'idée d'inviolabilité de la personne, mais, à un certain moment, le caractère excessif de la priorité du premier principe peut se révéler suicidaire, car ce sont finalement les principes qui donnent sens à l'idée d'inviolabilité. Dans certaines situations, la misère, le manque de soin et autre forme de difficultés sociales, ne peuvent trouver leur solution qu'après avoir satisfait pleinement le principe de liberté considéré comme étant un système unique, c'est-à-dire que toutes les libertés de base doivent être satisfaits. Ce qui semble tout de même très irréaliste. Une liberté flexible serait plutôt la bienvenue, de même que sa priorité, mais une priorité totale et sans réserve peut tout aussi paraître excessive. Il serait intéressant d'inclure l'idée de pondération dans cette priorité à accorder à la liberté. La question de la priorité absolue de la liberté qui met en danger le principe même de justice qui consiste à prendre en compte l'avantage d'autrui nous semble, de ce point de vue irraisonnable. Pourquoi tous les problèmes sociaux doivent-ils venir après la liberté ou que la violation de n'importe quelle liberté personnelle ? En troisième lieu, nous nous insurgeons contre le principe de différence qui, en soi n'est pas une mauvaise chose, parce qu'elle restaure une certaine forme d'équité, mais qui en intégrant les inégalités est susceptible de présenter des difficultés dans la pratique. Nous ne nous risquons pas ici sur un terrain nozickéen qui considère que ce principe viole la liberté, mais nous nous interrogeons sur la nature d'une justice inégale, le propre de la justice étant d'être juste. Avec l'insertion des inégalités dans les distributions, ne court-on pas le risque d'engendrer d'autres inégalités dans la société et qu'on n'arriverait même pas à éradiquer une seule inégalité. En dépit de ses bonnes intentions, le principe de différence de John Rawls pose des problèmes d'équité, notamment envers les plus favorisés. Car accorder l'essentiel du deuxième principe au bénéfice des plus défavorisés peut paraître injuste. L'effort d'impartialité qui anime ce principe pose problème. Ce qui peut aussi paraître fort étonnant, c'est que Rawls prend les deux extrêmes et ne fait pas mention de la classe moyenne qui existe pourtant dans toute société. Il parle des plus favorisés et des plus défavorisés. En ce qui concerne le choix des principes et des biens premiers, la question qui s'impose à nous est celle de savoir pourquoi les partenaires dans la position originelle choisissent t-ils ces biens et pas d'autres ? Eh bien Rawls répond : parce que c'est bien pour eux et parce qu'ils les préfèrent. Cette procédure semble contradictoire, car ces principes ont l'air d'être imposés et qu'ils ne sont pas soumis à la critique des partenaires qui sont pourtant des citoyens libres et égaux. Rawls n'envisage même pas que ces citoyens pourraient commencer par choisir l'égalité des chances, dans la mesure où la théorie elle-même est une théorie de justice sociale. Il semble que Rawls ne tient pas compte ou bien le schéma proposé semble trop uniforme et statique et ne laisse pas beaucoup de choix aux partenaires. Ce qui ne s'avère pas très logique pour une société qui prenne en compte les inégalités. Pourtant au terme de cette étude, notre conviction demeure que Théorie de la justice est très proche de La justice comme équité, car même si John Rawls reformule les principes de la justice, il reste fidèle à l'essentiel de ce qui les constitue, entre autres autre l'idéal démocratique de la coopération équitable entre les citoyens libres et égaux, représenté par l'idée de position originelle, qui conduit les partenaires au choix des principes. De ce point de vue, il est donc possible de dire qu' « il n'y a pas de rupture entre un premier Rawls soucieux de justice sociale et un second Rawls plus traditionnellement libéral. Les deux versants de la théorie, indissociables l'un de l'autre, se rapportent à une même vision philosophique de la démocratie »207(*). Malgré les révisions apportées par Rawls et toutes les critiques qui lui ont été adressés, à travers, la publication de Justice comme équité. Une reformulation de Théorie de la justice, bien de questions demeurent encore sans réponses, des questions qui débordent le cadre de ce mémoire de Master : les êtres imaginaires dans la position originelle et sous le voile de l'ignorance sont-ils réellement en mesure de choisir des principes politiques ? Comment est-il possible de choisir des principes en étant détaché, pour un temps, des valeurs morales, sociales et historiques et d'autres conceptions du bien ? Une société qui se fonde sur les principes de la justice et qui place le juste avant le bien est-elle envisageable ? La pratique des deux principes de justice est-elle possible sans un certain sens de responsabilité ? On répondra surtout que dans le cas présent et malgré quelques critiques non contestables à l'égard de cette théorie, c'est sans doute à tous ceux qui s'intéressent à la théorie de Rawls et même à la philosophie politique que revient désormais la charge de continuer, avec un regard critique ce qu'il a commencé. * 207 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 6. |
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