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La reformulation Rawlsienne des principes de la justice

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par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU
Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011
  

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Section 2.2-le principe de différence et sa signification.

Le principe de différence s'énonce de la manière suivante : « Les inégalités économiques et sociales [...] doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (le principe de différence) »188(*). Ce principe a pour rôle fondamental de répartir les biens entre les membres de la société, de façon à ne laisser personne de côté, et cela de manière juste et équitable. C'est pourquoi admettre les inégalités n'est pas une mauvaise chose en soi, à condition que cela permette de maximiser le bien des plus défavorisés.

Même si au début de La justice comme équité, Rawls note une distinction entre les deux principes de justice en ce qui concerne leurs domaines d'application, il faut quand même reconnaître que le principe de différence, comme celui d'égale liberté, n'échappe pas au cadre constitutionnel, bien qu'il concerne directement les questions économiques et sociales. C'est pourquoi il est impossible, selon Rawls, de penser le principe de différence en dehors de la coopération sociale sans laquelle rien ne serait produit, et donc il n'y aurait rien à distribuer. Mais ce second pan du deuxième principe de la justice est lié aux systèmes de production, puisqu'il traite des questions d'efficacité économique et des inégalités socio-économiques. Notre analyse du principe de différence se déroulera à partir de deux idées principales, à savoir : la prise en compte des inégalités et l'idée de réciprocité.

En ce qui touche la question des inégalités, il est important de souligner le système de production qui est l'organe même de la prise en compte des inégalités. Les deux ne peuvent pas être séparés car, dans un système de production, régi par des règles publiques, on retrouve les favorisés et les défavorisés. Ce système étant défini par des règles publiques, tous ceux qui y participent ont, en quelque sorte, l'obligation de les observer, dans la mesure où ces règles elles-mêmes sont issues de la coopération sociale. Leur première fonction est d'organiser la vie économique et sociale au sein du groupe en assignant à chaque membre de la société un rôle dans la distribution des tâches. Cette organisation des systèmes de production tient, en outre, compte du traitement des personnes, précisément à travers les salaires qui leur sont attribués. C'est pourquoi il n'est pas possible de parler de salaire sans tenir compte de la production. Rawls définit le système de production comme « la manière dont ses règles publiques organisent l'activité productive, spécifient la division du travail, assignent des rôles variés à ceux qui y sont engagés et, ainsi de suite »189(*). Tout traitement de salaire dépend de la qualité de la production. C'est pourquoi si l'on veut avoir des augmentations au niveau du traitement, il est important de produire plus. Même dans les salaires, les inégalités sont acceptables selon le principe de différence. Ce qui est plus important c'est que les personnes qui ont des salaires élevés permettent à toutes les couches de la société de bénéficier des services de tous et même des personnes nantis. Certaines inégalités salariales devraient permettre à ceux qui perçoivent des gros salaires d'être capables de rendre la vie plus humaine. Par exemple en créant des structures qui tiennent compte des personnes défavorisées, l'idée de justice équitable dans un système d'inégalités économiques et sociales qui soient à l'avantage de tous, pourra être réalisée.

Il existe certes des différences dans le traitement, mais Rawls estime que ce qui compte, c'est que les besoins des personnes défavorisées soient réellement pris en compte. Cela n'est en fait plus une inégalité, ou plutôt c'est une inégalité juste. Un système peut être qualifié d'efficace seulement à cette condition.

Pour John Rawls, il est vrai que certains individus, dans la structure de base de la société, ont dès le départ des meilleures perspectives par rapport à ceux qui viennent des classes moins favorisées. Toutefois, conscient que cette injustice est difficile à supprimer, il pense que la seule attitude justifiable, est celle où, malgré la différence, les inégalités procurent un avantage aux personnes les plus défavorisées. Cela voudrait dire, que « si les attentes des plus favorisés diminuaient, les perspectives des plus défavorisés diminueraient aussi. Des attentes encore plus élevées augmenteraient les attentes des plus désavantagés »190(*). Ce qui pourrait permettre à chaque citoyen de maximiser ses attentes, du plus au moins aisé, car même s'il existe des différences salariales, la croissance dans une économie de marché améliore le niveau de vie de chacun.

Rawls souligne en outre qu'il faut aussi éviter de créer le grand fossé entre les pauvres et les riches, car l'accentuation des différences entre les classes sociales « transgresse le principe de l'avantage mutuel aussi bien que celui de l'égalité démocratique »191(*). Rawls voudrait ici montrer que, même s'il existe des différences dans la possession des biens, elles doivent être moindres. Sa thèse ne consiste donc pas à soutenir l'idée que tous les citoyens doivent avoir les mêmes richesses, car le principe de différence ne se rapporte pas à l'accession aux avantages sociaux-économiques, de façon égalitaire, mais plutôt à la possibilité, pour les citoyens d'obtenir, au cours de leur vie, des biens. Et ce, grâce à la diversité sociale existante. Ce principe suggère la prise en compte des inégalités dans la distribution d'avantages sociaux. C'est pourquoi il est nécessaire que les plus favorisés et les plus défavorisés travaillent pour arriver à instaurer ce système dans la répartition. De ce point de vue, la justice est compatible avec l'efficacité, parce que l'amélioration de la situation des uns engendre nécessairement l'amélioration de celle des autres. Mais, il est important, pour Rawls, de noter qu'en dépit de cette adéquation, la justice demeure supérieure et prioritaire à l'efficacité, d'autant plus que le principe de différence en lui-même n'exige pas une croissance économique continuelle sur plusieurs générations dans le but de maximiser à l'infini les attentes des plus défavorisés.

Chacun doit bénéficier des avantages de la société, peu importe sa place dans la structure de base de celle-ci. À travers ce principe de différence, Rawls tolère un régime qui prenne en compte les inégalités, à condition que cela soit à l'avantage des pauvres, par rapport à un régime qui viole les libertés de base et qui garantit la misère pour tous. Cette considération des inégalités dans la redistribution est donc l'une des conséquences de la réciprocité :

Ce que requiert le principe de différence est donc, que quel que soit le niveau général de richesse, qu'il soit élevé ou faible, les inégalités existantes remplissent la condition de bénéficier aux autres comme à nous-mêmes. Cette condition met en lumière le fait que même s'il utilise l'idée de maximisation des attentes des plus défavorisés, le principe de différence est essentiellement un principe de réciprocité192(*) 

La théorie de Rawls recourt à des termes qui en rendent l'accès plus aisé. C'est la raison pour laquelle, il insère l'idée de réciprocité dans le principe de différence, comme pour expliciter qu'elle fait partie des options fondamentales et utiles pour arriver à une solution juste et équitable, conformément au sens de la réciprocité qui lui confère un caractère équitable ainsi que la garantie des relations égalitaires entre individus ou groupes. Cette idée de réciprocité exclut la recherche d'intérêts personnels, en défaveur des autres, c'est pourquoi elle ne peut pas composer avec l'utilitarisme, puisque ce qui guide la pensée utilitariste (supra, p.3) c'est d'abord l'intérêt du plus grand nombre au détriment de l'individu.

Que l'on concède au principe de différence la prise en compte des inégalités, Rawls le conçoit bien. Mais il pense que seul, ce principe ne peut pas tenir. C'est pourquoi, il fait appel à l'idéal de la réciprocité qui doit caractériser ce principe.

L'idée de réciprocité équitable

Implicite dans Théorie de la justice, l'idée de réciprocité est développée clairement dans La justice comme équité. La réciprocité est en contradiction avec l'utilitarisme qui privilégie les individualités au profit des plus grands groupes. Cette notion est introduite par Rawls pour contrer le principe utilitariste du plus grand bonheur pour le plus grand nombre : « le fait que le principe de différence comprenne une idée de réciprocité le distingue du principe d'utilité restreinte »193(*).

John Rawls considère la réciprocité comme un idéal social. Il en parle tout le long de sa théorie, de manière explicite comme de manière implicite. Une autre manière de comprendre cette idée, est celle qui consiste à replonger dans l'idéal de la société démocratique qui constitue la trame essentielle de la théorie de la justice comme équité. Rawls souligne, en effet, que sa théorie est une théorie pour les sociétés démocratiques. Ainsi donc, tant qu'ils sont concepteurs de la société, les citoyens doivent avoir comme idéal social de base la réciprocité, d'autant plus que les principes de la justice ne doivent pas être considérés comme des normes imposées de l'extérieur, ou venant d'une autorité quelconque. Les principes de la justice sont le fruit de la coopération sociale entre les individus. 

Il est certes important que les citoyens coopèrent entre eux en vue de l'organisation de la structure de base de la société, mais John Rawls juge qu'il faut adjoindre à cet idéal de coopération l'idée de réciprocité. Car en tant qu'elle reconsidère les hommes dans une dimension totalement « non arbitraire » et symétrique (mutuelle), la réciprocité s'impose. C'est pourquoi l'idée de réciprocité aboutit nécessairement à la justice comme équité. On pourrait même dire que « l'idée de réciprocité se situe entre celle d'impartialité (qui est altruiste et qui est motivée par le bien général) et celle d'avantage mutuel. La réciprocité, dans le cadre de la théorie de la justice comme équité, est une relation entre citoyens exprimé par les principes de la justice qui gouvernent le monde social »194(*).

Dans la position originelle, les partenaires sont dans une position réciproque et sont conscients des retombées des choix qu'ils devront faire. Par exemple, ils savent que les principes qui seront adoptés prendront en compte les réalités de la vie de tous les citoyens. C'est pourquoi le fait qu'ils soient dans une situation symétrique les conduira à faire des choix qui prendront en compte les dimensions sociales et économiques de la société. La division égale est prise comme point de départ ; dès lors maximiser le travail, c'est travailler pour tout le monde tout en étant conscient que le plus important, est de promouvoir l'amélioration des conditions de vie des plus défavorisés. C'est pourquoi Rawls affirme que, la division égale étant comme le fondement de cette distribution, « ceux qui ont acquis davantage doivent le faire en des termes acceptables pour ceux qui ont acquis moins, et en particulier pour ceux qui ont acquis le moins »195(*). Rawls ne sépare pas la division égale de l'idée de réciprocité parce que, pour lui, elles sont complémentaires, car comme idées de base, elles permettent que les plus favorisés tiennent toujours compte des défavorisés, au sens où leur pleine richesse ne peut être effective que lorsqu'ils sont conscients que le moins favorisé possède un minimum pour sa survie. Et l'idée même de réciprocité vient du fait que, comme les deux principes étudiés plus haut, elle s'applique à la structure de base de la société. C'est donc ce lien avec la structure de base qui donne à l'idée de réciprocité son vrai sens et sa consistance, car les contingences ne doivent pas affecter les structures sociales, que ce soit à l'avantage ou au détriment des défavorisés comme des favorisés. L'idéal, c'est de partir de la réciprocité, puisque les principes sont ceux de la justice comme équité. L'équité repose fondamentalement sur la réciprocité : il y a équité entre citoyens lorsque tous prennent conscience qu'ils partagent les mêmes droits et les mêmes libertés. Ces droits et libertés vont de pair avec les devoirs à accomplir. Cette idée de réciprocité nécessaire pour le choix des principes est une des idées essentielles du principe de différence de la théorie de la justice.

Les partenaires dans la position originelle, selon Rawls, sont dans une attitude de réciprocité. Ils cherchent à défendre les intérêts fondamentaux des individus dont ils sont les représentants, en sachant que ce sont des citoyens libres et égaux engagés dans la coopération sociale. Selon Rawls, ces partenaires, conscient que le meilleur système est celui qui leur permet de réaliser leur liberté, ils choisiront en premier le principe d'égale liberté. Ce choix voudrait signifier, que chez John Rawls le principe de la liberté est prioritaire aux deux autres principes. Mais cette priorité ne se limite pas seulement au premier, car il concerne tous les principes rawlsiens de la justice. C'est cette idée de priorité que nous allons clarifier dans le troisième chapitre de cette deuxième partie.

* 188 Ibid., p. 70.

* 189 Ibid., p. 95.

* 190 Id., Théorie de la justice, op. cit., p. 210.

* 191 Ibid.

* 192 Ibid., p. 97.

* 193 Ibid., p. 171.

* 194 Marie Bruno Borde, « Justice et Démocratie. La philosophie politique de John Rawls », dans Bulletin de Littérature Ecclésiastique, n°1, (janvier-mars 2003), 43-60.

* 195 John Rawls, La justice comme équité op. cit., p. 172.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault