L'identité cosmopolitique. Etude de cas: citoyens du monde( Télécharger le fichier original )par Sebastian Peà±a Marin Université de Poitiers - Master I Conception de projets en coopération pour le développement 2010 |
I. L'Etat-nation et la construction de l'appartenance« On entend par Nation un groupement d'hommes réunis par une même erreur sur leur origine et une commune aversion à l'égard de leur voisin 13». 1. Le mythe de l'Etat-nation : de l'étymologie à la réalité sociale, la quête d'une allure ontologique pour l'Etat-nationa) L'origine du mot et le succès historique de l'Etat-nationLorsque nous regardons une carte politique du monde d'aujourd'hui, nous pouvons constater que la superficie de la planète est une immense mosaïque colorée, entièrement constituée de différentes couleurs (ou divisée d'ailleurs en différentes couleurs). Ces formes colorées recouvrent la surface terrestre dans presque toute son étendue, depuis le Cap de Bonne espérance jusqu'au-delà du cercle polaire arctique, du détroit de Béring jusqu'au Cap Horn et de l'Australie jusqu'à la Turquie en passant par l'archipel de l'Indonésie, le Japon et l'Islande même si ce n'est pas sur la route. Il y a des formes colorées partout : démesurées ou infiniment petites, rondes, hexagonales ou sans forme pour la plupart d'entre elles. Chacune de ces couleurs, comme vous l'avez bien compris, représente ce qu'on appelle un Etat-nation. La superficie presque totale de la planète apparait comme un découpage quasi chirurgical formant un véritable puzzle où, dans chaque pièce, siège la légitimité politique et culturelle des sociétés nationales. La « société mondiale » se trouve ainsi fragmentée en des univers souverains délimités les uns par rapport aux autres, chacune des ces pièces colorées symbolise d'ailleurs une intégralité sociale et culturelle à part entière. Mais, comment se fait-il, tenant compte de l'immense diversité humaine, que cette mosaïque colorée soit aussi bien délimitée ? Les couleurs ne se chevauchent pas entre elles, il n'y a pas des dégradés ou de demi-tons, il y a même des lignes droites longues comme deux fois la France. Par ailleurs, les endroits où le contour n'est pas 13 Albert Mousset. Paradoxes et anticipations parfaitement découpé, ou découpé avec une ligne discontinue, constituent une anomalie flagrante qui interpelle notre entendement. C'est ainsi qu'en regardant par exemple le Sahara occidental sur « une carte du monde politique 14», nous l'apercevons comme une étrangeté, un disfonctionnement géopolitique présumé temporaire, ou en tous cas en attente d'une solution, car si ce n'est pas un état-nation, qu'est-ce ça pourrait bien être d'autre ? Ces exceptions à la norme nous laissent automatiquement supposer que il ne s'agit probablement pas d'une démocratie, que les Droits fondamentaux de ses habitants ne sont pas assurés, que la prospérité économique est compromise. Or, si l'on veut comprendre les raisons de l'hégémonie universelle de l'étatnation la question la plus naturelle à se poser serait : qu'est-ce qu'un état-nation ? Alors cette question, aussi évidente qu'elle puisse paraitre, ne nous permettra pas de saisir l'ensemble des agencements dialectiques et symboliques qui font du phénomène d'étatnation un sujet aussi complexe et passionnant. La question la plus pertinente à formuler serait plutôt, que représente un état-nation ? Commençons donc par le début. « Etat-nation » est un concept composé de deux mots « état » et « nation ». Selon l'encyclopédie Larousse un « état » est une « Société politique résultant de la fixation, sur un territoire délimité par des frontières, d'un groupe humain présentant des caractères plus ou moins marqués d'homogénéité culturelle et régi par un pouvoir institutionnalisé 15». La définition de la notion d' « état » reste donc relativement claire. Cependant ce n'est pas la notion d' « état » qui pose des problèmes, sinon plutôt la définition de « nation » et en conséquence l'assemblage des deux : « état » et « nation ». On trouve trois grandes sources étymologiques quand on remonte aux origines de l'idée de « nation » : - soi-même, étant né de parents connus - l'identité, la naissance, l'héritage - la conscience de soi, l'origine, après un apprentissage16 14 Carte «Le monde politique» 2007. Institut nationale de géographie de France 15 Source www.larousse.fr 16 Gil Delannoi, Sociologie de la nation. Fondement théoriques et expériences historiques, Paris, Ed Armand Colin, 1999 Le mot « nation » vient du latin natio, nationis qui désignait l'espèce, l'ethnie, le peuple avant de dériver vers le sens moderne. Cependant ce sens premier est loin encore de la signification actuelle : nous devons rajouter d'autres éléments, comme par exemple, le fait qu'on est forcement né quelque part et de quelqu'un, c'est-à-dire la terre et le sang. Gil Delannoi nous rappelle que les composantes étymologiques du mot nation nous mènent à l'idée que pour former une nation il faut être nés ensemble, être héritier d'un même sang, d'un même sol, d'une même langue, avoir grandi ensemble en ayant partagéles mêmes moeurs17. Nous commençons à entrevoir la plasticité et la polyvalence du concept de nation qui s'associe par moments à celui d'ethnie, de race ou de population. Jusqu'ici le contenu étymologique et sémantique du mot nation parait relativement clair. Maintenant nous allons nous centrer sur le jonglage symbolique qui existe autour du concept de nation et qui s'est articulé au fil des ces deux derniers siècles, essentiellement en Europe. Le concept de nation peut porter en lui la métaphore de la famille. En effet, le discours national se travestit régulièrement avec celui de famille : « patria » par exemple, veut dire sol qui appartiens au père18, cela nous amène automatiquement à des rapports d'affection, de protection, de loyauté, d'obéissance et d'autorité. De même pour le terme « mère patrie » qui nous amène également aux notions de maternité, fraternité et amour. Ce fort contenu symbolique évoque la chaine de générations et d'ancêtres qu'on n'a pas connus : le passé, le présent et la promesse du futur se trouve réunis. En ce qui concerne la définition moderne de nation, c'est simple : il n'y en a pas. La nation est une idée variable qui manque de cohérence nous dit Gil Delannoi19. Néanmoins elle évoque au sens moderne plutôt les moeurs, les tempéraments et l'esthétique comportementale d'un peuple. En tous les cas, il n'y a pas de définition exacte ou définitive commune et applicable à tout le monde. Paradoxalement le succès du concept de nation réside justement en sa polyvalence sémantique. « Nation est une forme existentielle de la vie politique. C'est un être théorique et esthétique, organique et artificiel, individuel et collectif, universel et particulier, indépendant et dépendant, 17 Idem 18 Idem 19 Gil Delannoi. Sociologie de la nation. Fondement théoriques et expériences historiques, Paris, Ed Armand Colin, 1999 idéologique et apolitique, transcendant et fonctionnel, ethnique et civique, continu et discontinu 20». Comment peut-on parler de nation sans revisiter l'histoire ? Il est évident que ce sont des processus historiques et des expériences politiques qui ont donné lieu au concept moderne de nation, des expériences essentiellement européennes. Toutefois, nous nous trouvons devant un dilemme épistémologique car si l'on souhaite établir une approche historique, quel cas de figure choisir et pourquoi ? Nous l'avons dit, la genèse et le développement de ce processus identitaire se trouve en Europe mais elle s'est répandue dans le monde entier avec toutes les réadaptations, altérations et reconfigurations qui résultent d'un tel élargissement. En France par exemple il a fallu attendre le progrès de la culture écrite au XIX siècle pour voir l'émergence d'une « République des lettres » et placer ainsi les discours, les débats et les luttes au nom de la nation dans l'espace public. Comment peut-on analyser les enjeux liés à l'idée de nation tout en évitant une démarche ethnocentriste? Nous pouvons revenir sur la guerre de Cent ans considérée par certains historiens comme l'aube du sentiment national français. Mais pourquoi ne pas parler, par exemple, de l'Afrique du Sud ? C'est un pays en quête de sentiments nationaux conciliateurs et unificateurs. Ou plutôt approfondir l'histoire de l'Argentine ou du Népal ? Par ailleurs, il faut savoir qu'en termes de composition d'entité nationale, des données similaires peuvent aussi produire des résultats opposés. Par exemple, la France et l'Angleterre : deux état-nation par excellence, deux révolutions industrielles (un peu décalées chronologiquement mais comparables), deux précurseurs de la démocratie moderne, deux puissances coloniales, deux puissances économiques, etc. et pourtant avec des visions très différentes de ce qu'est une nation et de la dialectique qui s'entretient entre les composantes internes et externes de la nation. Nous pourrions parler aussi des Etats-Unis qui ont un concept de nation basé sur des principes fédérateurs très distincts de ceux de la France tel que l'idée du melting pot ou le Rêve américain. Et après tout, pourquoi l'histoire d'un état-nation serait-elle plus représentative ou rendraitelle mieux compte de la formation des identités nationales que l'histoire d'un autre ? Et puis même si l'apparition de l'état-nation moderne a commencé en Angleterre et en France, il s'agit, comme nous l'avons dit, d'un phénomène qui s'est étendu à l'échelle planétaire. Il est évident, par exemple, que les faits historiques qui ont donné naissance à 20 Idem l'Inde sont autres que ceux qui ont donné lieu à la constitution de la Suisse. Nonobstant, il y a des choses communes entre ces deux cas. En effet, même si l'esthétique des nations n'est pas uniforme, le concept est analogue à tous les autres dans le sens où il a été mobilisé de façon similaire et au nom d'un même objectif: la poursuite d'un principe fédérateur. Il ne faut pas perdre de vue que l'objectif principal d'une approche historique dans notre contexte analytique ce n'est pas de faire la généalogie des états-nation, mais plutôt d'établir une approche historique qui vise surtout à rappeler que les nations ne sont pas des entités réellement existantes et omniprésentes dans l'histoire de l'humanité et que leur constitution est liée à des expériences historiques et politiques réinterprétées et replacées dans un système de représentations symboliques. En effet, la nation ne va pas de soi, « Le « secret » », écrit M. Foucault, « est que les choses sont sans essence ou que leur essence a été construite pièce à pièce à partir de figures qui lui étaient étrangères21 » Ernest Renan dresse un constat de la condition pré-nationale des sociétés humaines. Les nations modernes « sont quelque chose d'assez nouveau dans l'histoire. L'antiquité ne les connut pas ; l'Égypte, la Chine, l'antique Chaldée ne furent à aucun degré des nations », et il continue, « ...Il n'y eut pas de citoyens égyptiens, pas plus qu'il n'y a de citoyens chinois. L'antiquité classique eut des républiques et des royautés municipales, des confédérations de républiques locales, des empires ; elle n'eut guère la nation au sens où nous la comprenons. Athènes, Sparte, Sidon, Tyr sont de petits centres d'admirable patriotisme ; mais ce sont des cités avec un territoire relativement restreint. La Gaule, l'Espagne, l'Italie, avant leur absorption dans l'Empire romain, étaient des ensembles de peuplades, souvent liguées entre elles, mais sans institutions centrales, sans dynasties. L'Empire assyrien, l'Empire persan, l'Empire d'Alexandre ne furent pas non plus des patries. Il n'y eut jamais de patriotes assyriens et l'Empire persan fut une vaste féodalité...22». Nous allons donc continuer à souligner des aspects qui sont communs aux formations des états-nations, et à ce propos nous pouvons continuer à citer Ernest Renan, « L'oubli, 21 Michel Foucault, L'Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971 22 Ernest Renan. Qu'est-ce qu'une nation ?, Paris, Ed Agora, Pocket, 1992 et je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation, et c'est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L'investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l'origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été le plus bienfaisantes. L'unité se fait toujours brutalement ; la réunion de la France du Nord et de la France du Midi a été le résultat d'une extermination et d'une terreur continuée pendant près d'un siècle » Les exemples de violence « interne » au nom de la nation comme principe unificateur sont communs aux formations des états-nations. « La Pacificación de l'Araucanía » correspond au massacre systématique des indiens organisé par l'état Chilien afin d'éradiquer les éléments démographiques qui étaient considérés comme des obstacles aux efforts d'homogénéisation culturelle de l'état-nation. Les indiens en Argentine ont suivi les même sort. De même pour la violence linguistique mise en place par Atatürk en Turquie, l'unification par la langue de l'Allemagne ou pour citer un exemple d'actualité, la répression exercée par l'état Chinois sur les populations Tibétaines obéit à la même démarche. Nous ne pouvons pas dissocier l'émergence des états-nations de l'émergence de l'économie mercantiliste et de l'essor du capitalisme en Europe. L'état-nation semble accompagner la révolution industrielle et le processus de colonisation. Il y a eu, effectivement, un processus de prolétarisation de la force de travail, une nouvelle classe sociale a vu le jour. En effet, le développement des structures de marché et des rapports de classes propre au capitalisme moderne était beaucoup plus adapté et plus propice à la nouvelle logique sociale et industrielle que les anciens rapports féodaux. Cependant, il reste difficile d'associer la formation des nations a un « projet bourgeois 23» tout simplement parce que l'exploitation du travail salarié n'implique pas directement une forme d'état, de plus, la production capitaliste possède la caractéristique et la tendance intrinsèque de vouloir dépasser les cadres nationaux. En conclusion, face aux différences historiques entre les états-nations, face à la différence entre l'histoire des développements économiques, face à la dissemblance entre 23 Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, Nation, Classe. Les Identités ambigües, Paris, Ed La Découverte. 1990 les processus sociopolitiques propres à chaque pays et face aux particularités de chaque région du monde, il ne nous reste qu'à souligner que le concept de nation est une « indétermination fondamentale » et c'est là que réside sa puissance dans la politique de masse. La nation se révèle propice à diverses formes d'adhésion de masse, l'Afrique du Sud appelée aussi « la nation arc-en-ciel », est bon exemple de la polyvalence sémantique de la nation. Sa plasticité a fait son succès, elle peut même se présenter comme une variante d'une religion universelle ou comme une forme laïque du culte de la démocratie. Faire appel à la nation permet souvent de « concilier des principes qui sont antinomiques (Liberté et égalité), elle peut s'inverser dans des métaphores idéologiques (droite, gauche) 24». Sa versatilité se prête à un véritable mimétisme idéologique (communisme et capitalisme), un camouflage conceptuel avec une capacité à résoudre ou à masquer les contradictions de la référence nationale. Universalité et particularité se trouvent réunies, « cette capacité à épouser des causes les plus diverses peut expliquer la réussite de la nation, un atout idéologique25 », un socle idéal pour construire la singularité imaginaire des formations nationales. L'Etat-nation fonctionne donc comme une entité capable d'insérer dans son territoire des groupes humains divers ou relativement homogènes. Historiquement les Etatsnations ont investi des énergies colossales pour unir et assembler les particularités de groupes ethnoculturels susceptibles de faire partie d'un ensemble cohérent, ce dernier pouvant être à caractère réel ou symbolique. À force d'artifices et de convictions, de convenances et de certitudes, de violences et de fraternité, d'exclusion et de solidarité, l'Etat-nation se veut légitime, naturel et incontestable. La nation est cette unité qui autorise à dire « nous sommes un peuple ». |
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