3. Cosmopolitisme et expérience multiculturelle
: la constitution de l'identité cosmopolitique
« Nous réussissons mieux à nous connaitre
en sortant de nous-mêmes, et les circonstances nous permettent souvent de
déceler dans des sociétés différentes des
nôtres le jeu de forces qui agissent également dans les
nôtres mais à notre insu65 »
a) Le cosmopolitisme
De Kant à Marx ou d'une façon différente
Adam Smith, en passant par Nietzche ou Goethe, de nombreux auteurs ont
pensé la modernité comme un processus qui mène les
sociétés et les petites communautés territoriales à
une dissolution dans une interdépendance universelle croissante. Ils
avaient minutieusement étudié l'évolution de l'Histoire
humaine dans ses plus longues lignes, et jugeaient peu probable que
l'état et la société sous forme d'une
homogénéité nationale puissent incarner pour longtemps la
suite de l'histoire mondiale.
Le terme de cosmopolitisme dessine une façon de penser
le monde comme un système d'interdépendances croissantes dans les
champs politiques, économiques, scientifiques et culturels et qui ne
peut pas faire de mal. Il s'agit de porter un regard plus,
65 Fauconnet. La responsabilité.
disons, « optimiste » sur l'évolution du
monde. Cela peut paraître difficile voire paradoxal, étant
donné l'envergure des défis auxquels l'humanité est
confrontée aujourd'hui, les problèmes actuels, et ceux de demain.
Peut-être le problème est-il justement là: on continue
à aborder les conséquences indésirables de l'accroissement
des interdépendances à l'échelle mondiale sous l'optique
nationale, alors que l'on peut déjà faire le constat que
l'expérience quotidienne elle-même est devenue
dénationalisée. Nous sommes témoins aujourd'hui de
l'apparition d'une possibilité : celle d'un horizon d'expérience,
d'un monde unique, simultané et indivisible dans sa propre
diversité. La guerre d'Irak, par exemple : pour la première fois
dans l'histoire une guerre a été traitée comme un
« événement relevant de la politique intérieure
mondiale66 », et l'humanité entière s'y est
intéressée en temps réel par l'intermédiaire des
medias. De même, pour les attentats du 11 septembre 2001 et la menace
terroriste. Nous sommes dans un espace d'expériences simultanées,
une civilisation globale caractérisée par la quotidienneté
des événements globaux et par la naissance d'une empathie
globale. Partout dans le monde, des hommes constatent et
réfléchissent à un présent et à un avenir
collectivement partagé et en même temps menacé. Il s'agit
d'une perspective qui nécessite d'être libéré des
contradictions des schémas nationaux de l'histoire, de la mémoire
et du collectif.
Le cosmopolitisme, est quelque chose d'actif, une mission qui
consiste à ordonner le monde, à accepter d'abord que l'histoire
ne recule pas et que les modèles anciens ne peuvent pas se prolonger
infiniment. Heureusement d'ailleurs car, après tout, ils
n'étaient pas parfaits non plus. Nous pouvons être d'accord sur le
fait qu'avant, il y avait peut-être plus des forêts que de
personnes, et plus de baleines que de voitures, mais aussi plus de
mortalité infantile que des médicaments. En tous cas, c'est
déjà fait et c'est maintenant à chacun de participer
à l'évolution des consciences et de contribuer à la
culture mondiale avec sa langue, sa culture, ses compétences et par des
actes de résistance, militants ou participatifs. La cosmopolitisation du
monde permet d'alimenter le sentiment d'être soimême partie
intégrante d'une grande « expérience civilisationelle »
car, comme nous l'avons dit, l'humanité est aujourd'hui, plus que
jamais, consciente d'elle-même.
Par ailleurs, ce serait une erreur de supposer que l'empathie
cosmopolitique viendrait remplacer l'empathie nationale : chacune
imprègne, modifie et enrichit l'autre. De ce
66 Ulrich Beck, Qu'est-ce que le cosmopolitisme ?,
Paris, Ed Flammarion, 2004
fait, pour l'optique cosmopolitique, les
interdépendances, par exemple, sont une garantie pour le maintien de la
paix (c'est le cas pour l'Europe), en rendant impossible un accroissement
débridé des hostilités entre les états-nations qui
risquerait de déboucher sur de nouvelles guerres
dévastatrices.
La mondialisation est un fait, et le cosmopolitisme une
façon de la saisir, de l'aborder et de la comprendre. De ce fait, elle
peut être vue, non comme une homogénéisation
infligée, mais comme une chance historique d'harmonisation politique et
sociale entre les peuples. Pour le cosmopolitisme, les différences entre
les cultures continuent à exister même si les
interdépendances augmentent car le principe d'inclusion additive
n'exclut pas la cohabitation possible entre deux cultures dans le même
espace d'expérience sociale.
Il ne faut pas construire une fausse opposition entre le
national et le cosmopolitique car il s'agit plutôt d'une
redéfinition du national et du local. Par exemple, la notion juridique
de « crime contre l'humanité », ainsi que le Tribunal
pénal international dépassent largement le nationalisme
méthodologique sans pour autant signifier l'anéantissement du
national. Le principe juridique cosmopolitique protège la population
civile des violences arbitraires commises par un état souverain devenu
fou et criminel. Les principes du droit cosmopolitique priment sur le droit
national. Les crimes contre l'humanité ne peuvent plus être
légitimés, ni négociés par le droit des
états nationaux. Il s'agit d'une création inédite dans
l'histoire de l'humanité : cette typologie de crimes abolit les
principes des lois et la jurisprudence des états-nations.
En conclusion, la cosmopolitisation du monde doit être
analysée comme une modification des fonctions des états, sans
nier l'existence des particularités nationales : l'apparition de modes
de vie transnationaux variés, l'importance croissante des institutions
non étatiques, la lutte pour la reconnaissance mondiale des Droits de
l'Homme, les mouvement migratoires et les expériences multiculturelles
qui en découlent, le flux de capitaux et de symboles culturels,
l'apparition des mouvement globaux de contestation, la justice sociale, le
droits du travail, la protection de l'environnement et la gestion de
ressources, la recherche scientifique, la lutte contre la pauvreté, les
mouvement antimondialistes, les crises économiques etc... La
conséquence de tous ces phénomènes est la reconfiguration
et l'irruption de nouvelles
formes de l'appartenance et de l'identité car celles-ci
côtoient, une quantité innombrable de fois et de façon
simultanée, le caractère mondialisé de nos vies.
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