Le Conseil constitutionnel sénégalais et la vie politique( Télécharger le fichier original )par Mamadou Gueye Université Cheikh Anta DIOP de dakar - Doctorant en science politique et droit public 2011 |
Paragraphe I : Un Conseil formellement ménagé par la classe politique.La classe politique apprécie le Conseil de façon différente selon qu'on est devant le contentieux électoral ou le contentieux constitutionnel. Le constat qui se dégage est que les critiques faites à l'encontre du Conseil ne s'inscrivent pas dans la logique du professeur Favoreu qui considère que « si les décisions du Conseil constitutionnel sont parfois contestées, ce n'est du qu'au mécontentement de ceux dont il limite l'arbitraire, ou à l'impatience d'autres qui voudraient le voir se mettre au service de leurs intérêts. Le caractère contradictoire de ces critiques le confirme : il est un simple régulateur de l'activité normative des pouvoirs publics »73(*). Cette affirmation du doyen Favoreu est certainement valable dans les démocraties dites avancées. Mais dans nos pays où la démocratie est en construction, les décisions contestées du Conseil dans la certains cas sont justes et justifiées. Cependant dans la plupart des cas ce sont des critiques qui s'inscrivent dans ce qu'on pourrait qualifier de « critiques politiciennes »74(*). En effet devant le contentieux constitutionnel, les leaders politiques ne critiquent jamais ou en en tout cas pas ouvertement les décisions du Conseil constitutionnel. A défaut de pouvoir contester directement la décision rendue par le juge constitutionnel, ils se retranchent derrière les formules telles que : « nous exprimons notre surprise, notre étonnement et nos inquiétudes à l'issue des délibérations des cinq sages » ou d'expressions comme « dans la décisions du Conseil constitutionnel, beaucoup de questions sont restées sans réponse, avec des incohérences et des omissions surprenantes » ou encore « nous laissons aux juristes le soin de commenter la décision »75(*) Cette attitude des hommes politiques s'explique par le fait que même si les décisions du Conseil sont défavorables à l'opposition, celle-ci considère qu'il ne sied pas que les décisions de la plus haute instance judiciaire soient discutées ou critiquées. Même si elle est déboutée, pour la simple raison que l'opposition ne veut pas porter le sobriquet d'antirépublicain. On peut citer à titre d'exemple la réaction de quelques leaders politiques au lendemain de la décision du Conseil sur l'amendement Moussa Sy76(*) et qui était défavorable à l'opposition. D'abord le leader de l'URD (l'union pour le renouveau démocratique) Djibo Ka disait que « nous avions saisi le Conseil pour qu'il déclare non conforme à la Constitution ce fameux texte qu'on a appelé amendement. Si nous l'avons fait c'est parce que nous sommes des légalistes. Nous croyons aux institutions de la République, nous estimons que le rempart de la démocratie et de l'Etat de droit le plus sur et le plus sérieux, c'est la justice en l'occurrence le Conseil constitutionnel. Nous prenons acte de sa décision que nous respectons pour rester cohérent avec nos choix 77(*)» Dans le même ordre d'idée Aminata Mbengue Ndiaye responsable socialiste affirmait « nous respectons la décision du Conseil constitutionnel ». La réaction de Jacques Baudin est encore plus expressive de ces déclarations ou acceptations formelles qui laissent entrevoir un arrière gout amer de la décision. En effet Me Jacques Baudin, membre du pool des avocats du groupe socialiste, a rappelé qu'il est " un républicain profondément attaché à l'indépendance de la Justice de son pays qu'il a servi par choix, en tant que magistrat et qu'il sert encore comme avocat, en participant à la distribution de la Justice. Tous ces éléments mis ensemble l'obligent " à prendre acte de la décision du Conseil Constitutionnel et à la respecter, parce qu'elle est exécutoire ". Néanmoins, en tant que juriste, Me Baudin reconnaît qu'il " pourrait faire un commentaire soit pour des étudiants, soit à la faveur d'une conférence ou d'un séminaire ; ce qui est du domaine de la participation à l'évolution de la Justice de notre pays ".78(*) Dans la même veine Abdoulaye Bathily, secrétaire général de la LD/MPT se dit « être heureux que l'amendement soit accepté, cela veut dire qu'il est finalement conforme à la loi » Le constat qui se dégage est que l'opposition ou plus exactement les leaders de l'opposition s'inclinent devant les décisions du Conseil surtout dans le souci de rester en phase avec leur conviction ou principe républicain. Toutefois derrière leur déclaration s'exprime une non satisfaction et un désarroi. Cependant lorsqu'il s'agit des élections surtout présidentielles, les hommes politiques n'hésitent pas à attaquer ouvertement à travers des déclarations incendiaires les décisions du Conseil et parfois même physiquement79(*)les membres du Conseil. Ainsi aux élections de 1993, le candidat Wade80(*) ne manquait pas de manifester ses réserves quant à la capacité de certains membres du Conseil à pouvoir juger en toute impartialité. Il est même allé jusqu'à récuser la juridiction constitutionnelle et demander la mise en place d'un tribunal arbitral81(*). D'ailleurs mis à part l'alternance de 2000, toutes les élections organisées sous l'égide du Conseil constitutionnel ont été vivement contestées par la classe politique. Toutefois les partis politiques même s'ils le disent pas considèrent le Conseil comme une arme politique. * 73 L.Favoreu, le Conseil constitutionnel, régulateur de l'activité normative des pouvoirs publics, RDP, 1967, p. 5 * 74 Voir l'article de Fara Mbodj où il démontre que les décisions du Conseil sont juridiquement justifiées mais que c'est sur le plan de l'opportunité qu'elles posent problème, in Les compétences du conseil constitutionnel à l'épreuve des saisines. Quelques remarques sur le pouvoir jurisprudentiel du juge constitutionnel au Sénégal * 75 Déclaration de l'opposition regroupée au sein du CPC (cadre permanent de concertation), in walfadjri, vendredi 14 décembre 2001 * 76 L'histoire de cet amendement est un peu particulière. En effet le 21 novembre, l'Assemblée nationale réunie pour examinait le projet de loi prorogeant le mandat des élus locaux qui s'expirait dans les trois prochains jours. Au moment où, ils s'y attendaient le moins, un jeune député de la majorité parlementaire, du nom de Moussa Sy, décide de bouleverser le cours de l'histoire des collectivités décentralisées. En proposant un amendement du projet de loi, il prend de cours l'opposition, sortie vainqueur des locales de 1996. Ses camarades le soutiennent et légifèrent. Désormais, les conseillers locaux laissent le champ local aux délégations spéciales. Après des gorges chaudes, Me Abdoulaye Babou, Ousmane Tanor Dieng, Djibo Kâ, Amath Dansokho, Talla Sylla, et 20 autres députés de l'opposition continuent le débat devant les juges politiques. Le 23 novembre, le Conseil constitutionnel est saisi aux fins de déclarer inconstitutionnelle, la loi n°9/2001 instituant, à titre transitoire, des délégations spéciales pour la gestion des conseils régionaux, municipaux et ruraux jusqu'aux prochaines élections locales du 12 mai 2002. L'opposition fait valoir ses arguments juridiques : le groupe amené par Me Babou prétend que l'amendement n'est pas conforme à la Constitution puisqu'étant " en réalité une proposition de loi ". Et, une proposition d'origine parlementaire doit respecter " la procédure normale de présentation, de discussion et d'adoption ". Celui de Ousmane Tanor Dieng croient dur comme fer que l'amendement n'est pas assorti de proposition de recettes compensatrices " alors qu' [il] crée une incidence financière certaine sur les finances publiques... ". Enfin, les requérants soutiennent que l'amendement du député de Pikine viole la charte fondamentale en ses articles 67, 82, 102 et les dispositions du règlement intérieur de l'Assemblée nationale relative à la procédure législative. Le problème juridique est de savoir si la mise en place des délégations spéciales en lieu et place des élus locaux doit être assortie de proposition de recettes compensatrices. Se prononçant sur les moyens juridiques des requérants, les quatre sages (le cinquième étant absent) écartent d'emblée la théorie des recettes compensatrices ; la disposition constitutionnelle invoquée n'est pas applicable en l'espèce puisque " les collectivités locales prévoient dans leurs budgets autonomes, les charges inhérentes à la mise en place des délégations spéciales ". Les juges politiques considèrent que le droit d'amendement est un corollaire du droit d'initiative, il peut donc " s'exercer, sans limite dans le domaine législatif et dans le respect des restrictions imposées par les articles 77, 82, et 83 de la loi fondamentale. Enfin, le juge de la constitutionnalité des lois considèrent que sa compétence d'attribution exclut " le domaine du règlement intérieur de l'Assemblée nationale ". En conséquence, l'amendement du président de la commission Sports loisirs et éducation de l'Assemblée nationale est recevable et son adoption conforme à la Constitution. * 77 Walfadjri, jeudi 13 décembre 2001 * 78 Le Soleil, jeudi 13 déc. 01 * 79 L'assassinat de maitre Seye, vice président du Conseil constitutionnel lors des élections présidentielles de 1993 est symptomatique de cette façon de ménager le Conseil en fonction des situations et des enjeux politiques * 80 A l'époque il était l'opposant le plus populaire et le plus charismatique de l'opposition * 81 Sud Quotidien 03 mars 1993 |
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