2.2.3.
L'hypothèse
Le système hypothétique en français peut
exprimer la condition ou l'éventualité ; et la
conjonction si est l'élément qui sert
à introduire les phrases dans ce système. Il existe plusieurs
moyens d'exprimer l'hypothèse par exemple la juxtaposition
d'énoncés au conditionnel, au présent ou à
l'imparfait. De toutes les façons Cohen (1965 : 53) déclare
que
dans les phrases hypothétiques à deux
propositions jointes, l'une des
deux seulement exprime la condition avec un caractère
plus ou moins
positif ou éventuel, l'autre peut exprimer ou non
l'éventualité dans le
résultat de la condition exprimée.
Pour ce qui est de la conjonction si, Culioli et alii
(1987 :112-114) en distinguent sept emplois: si standard,
si déductif, si explicatif, si austinien,
si concessif, si adversatif, si dialectique. Pour
ces auteurs, une telle représentativité suppose
un principe général de déformation inhérent au
fonctionnement du langage. Ces auteurs soulignent par là l'aisance
avec laquelle le discours manipule les éléments que la langue met
à sa disposition. La démarche est que les auteurs travaillent
à contexte constant, c'est-à-dire que la structure contextuelle
retenue est MARQUEUR + PROTASE + APODOSE : si p, q. Ils affirment
eux-mêmes que certains contextes sont exclus de l'étude,
sans toutefois spécifier lesquels. Cependant, dans cette structure
P représente la subordonnée introduite par si
pour marquer la condition à laquelle est soumise la
réalisation d'une action ou pour exprimer son
éventualité. Dans ce cas, affirment Niquet et alii
(1989 :231), les locutions à la condition que
peut être remplacée par si pour la subordonnée
conditionnelle, tandis que au cas où le remplace dans
l'expression de l'éventualité.
Sur le plan discursif et parlant du système si...
alors, il pourrait donc être glosé, souligne Hybertie (op
cit.: 35) par au cas où P1 serait vraie, dans ce cas, P2 peut
être validée. De manière concrète [12a'], glose
de [12a] serait : au cas où tu ne la lâches pas,
alors je t'étrangle. Etienne et Chaval se
disputent une fille ; ce dernier choque son rival en forçant la
fille à l'embrasser en sa présence, d'où
l'énonciation de [12a]. La validité de P1 est simplement
envisagée, elle est éventuelle, ce qui rend également
éventuelle la validité de P2. Alors reprend le
repère fictif construit par si de P1 : si tu ne la
lâches pas, pour en faire le repère de P2. Le locuteur pose
P1 sans se prononcer sur sa validité. Cette nuance de sens peut
être liée à la position de la protase comme c'est le cas
dans [13a-c] ci-dessous :
12a. Mais Etienne, les lèvres blanches, criait :
« Si tu ne la lâches pas,
alors je t'étrangle ». (Ge,
p480) ;
12b. Et vous rentrerez ensuite tout droit, et
si Bébert touche à Lydie, [...], je
vous ficherai des claques. ( Ge, p 258 ) ;
12c. Mais il lui faisait trop peur. Si
elle montait devant lui tout le temps, il la brutaliserait. (Ge,
p299) ;
D'une manière générale, P1 pose un cadre
dans lequel une autre proposition peut être validée. Avec la
locution au cas où, on est dans le domaine de la supposition
qui consiste, dit Ducrot (1972 :167), à demander à
l'auditeur d'accepter pour un temps une certaine proposition p qui devient
provisoirement le cadre du discours, et notamment de la proposition principale
q. Cependant, dans leur étude sur alors, Culioli et alii
(1987 : 24) reconnaissent la structure si p alors q avec la
possibilité que le connecteur alors ne soit pas marqué
comme dans [12b et c]. Les auteurs reconnaissent, par ailleurs, que si
n'admet la combinaison avec alors que dans des utilisations
spécifiques : si standard, si déductif, si
explicatif. Il est à souligner en passant que le si
standard peut selon l'emploi, devenir déductif ou explicatif.
Alors est, comme le disent Culioli et alii (op.cit.26-28), le
marqueur d'une double opération de connexion et de disjonction entre le
repère construit par la protase et celui construit par l'apodose.
Connexion parce qu'il joint deux énoncés liés par
une relation logique de cause à effet et disjonction parce
qu'il signifie que l'état de chose décrit dans P1 présage
ce qui va se passer dans P2, l'évènement de P2 étant
toutefois distinct de celui de P1. Mais la conjonction si vient
empêcher la réalisation effective de la conséquence, et la
présente comme éventuelle. Alors se pose la question de
savoir si la locution si...alors autorise encore une inférence.
Toutefois, à l'issue de nos investigations sur alors, il
apparaît que l'emploi de ce marqueur permet d'interpréter une
situation comme prévisible. Cette connaissance que l'on a du monde et la
position de la protase favorisent l'interprétation de P2 comme
conséquence éventuelle, possible de P1.
Dans [12c], nous avons affaire au conditionnel qui exprime des
faits dont la réalisation dépend de certaines conditions. C'est
aussi le mode du verbe exprimant une possibilité contingente, une
affirmation atténuée, un souhait. Ce qui mène Bonnard
(1992 :194-195) à relever le contraste qui existe entre le
conditionnel, l'indicatif et le subjonctif. A ce sujet, l'auteur
écrit l'indicatif énonce un fait en le donnant pour
réel. Le subjonctif énonce un fait sans considérer sa
réalité. Le conditionnel énonce un fait en le donnant pour
imaginaire. N'ayant pas eu d'occurrence dans notre corpus, nous avons
emprunté l'occurrence ci-après à l'auteur :
13. Tu serais un lion et je
t'aurais blessé d'une
flèche. (Bonnard, 1992 : 194)
Dans cette phrase, par l'emploi du conditionnel au lieu de
l'indicatif, le locuteur affirme qu'il ne donne pas pour vrai le fait qu'il
exprime ; il demande qu'on l'imagine, qu'on le suppose vrai pendant un
certain temps ; le fait est fictif, c'est-à-dire imaginaire :
le verbe serais exprime un état présent imaginaire. Le
verbe aurais blessé exprime une action passée
imaginaire. Conclusion, quand le fait est imaginé dans le
présent ou le passé, dit Bonnard (op cit), il apparaît
très nettement comme irréel, puisqu'il est démenti par la
réalité. La valeur spécifique du conditionnel est
donc de créer une situation imaginaire. La conjonction de coordination
et, compris parmi les connecteurs inférentiels de
conséquence, infère ici une conséquence imaginaire, donc
irréelle.
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