2.2.2.
La modalité
Dans la communication, le locuteur peut s'adresser à
quelqu'un de différentes manières, selon la façon dont il
veut agir sur lui. Il s'agit de la relation de l'énonciateur à
l'énoncé. Il y a donc dans l'énoncé deux
éléments : ce qui est dit, le contenu propositionnel, et la
modalité qui est la position du locuteur par rapport à ce
contenu. En effet, la présence de l'émetteur dans son
énoncé ne se voit pas qu'à travers l'utilisation des
pronoms liés à cet émetteur (je, nous, mon, notre...). Il
peut aussi exprimer sa subjectivité en indiquant, par des indices, ses
sentiments ou son avis par rapport à ce qu'il dit. On appelle
modalisation l'ensemble de ces indices qui peuvent être des verbes
modaux, des adverbes, etc. Au sujet des modalités
d'énoncé, Riegel et alii (1996 :579)
déclarent qu'elles renvoient au sujet de
l'énonciation en marquant son attitude vis-à-vis du contenu de
l'énoncé. [...] Elles expriment la manière dont
l'énonciateur apprécie le contenu de l'énoncé.
Il peut donc s'agir du doute, de la certitude, du souhait. La
modalisation s'apprécie mieux en contexte et cette notion englobe
diverses perceptions que Meunier (1974 :8) cité par Vion
(2007 :194), ressort ainsi :
le terme modalité est saturé
d'interprétations qui ressortissent, explicitement ou non, selon les
linguistiques qui l'utilisent, de la logique, de la sémantique, de la
psychologie, de la syntaxe, de la pragmatique ou de la théorie de
l'énonciation.
Le subjonctif fait partie des différents moyens
d'expression de la modalité, et aussi de ce que la tradition
grammaticale appelle mode. Elle en distingue quatre : l'indicatif, le
conditionnel, l'impératif et le subjonctif. Ces différents modes
traduisent, chacun à sa manière, des nuances de sens.
Voilà pourquoi Grevisse et Gosse (1993 :565) reconnaissent qu'ils
expriment l'attitude prise par un sujet à
l'égard de l'énoncé ; ce sont les diverses
manières dont ce sujet conçoit et présente l'action, selon
qu'elle fait l'objet d'un énoncé pur et simple ou quelle est
accompagnée d'une interprétation.
Ainsi, la modalisation n'est pas un fait innocent. En
contexte, la conséquence éventuelle se manifeste sous
différentes formes : de sorte que + sans doute et pouvoir +
verbe.
2.2.2.1. La conjonction De sorte que + sans doute
L'adverbe sans doute est composé de la
préposition sans et du morphème doute, marque
de l'incertitude. Avec l'adjonction de la préposition, l'adverbe marque
traditionnellement l'absence de doute, c'est-à-dire la certitude.
Cependant, dans certains emplois, on est en présence de
l'éventualité comme il est question dans [10] :
10. [...], devant la crise les camarades étaient
certainement montés, [...], jusque dans les tailles les plus hautes,
de sorte qu'ils se trouvaient
sans doute acculés au bout de quelque voie
supérieure. (Ge, p458).
Dans cet énoncé, le mode du verbe
conjugué est l'indicatif, mode du réel. Mais
l'environnement contextuel comporte des indices qui empêchent
l'état de chose décrit dans P1 : devant la crise les
camarades étaient certainement
montés, de rendre effective la conséquence dans
P2 : ils se trouvaient sans doute acculés au
bout de quelque voie supérieure. L'adverbe de modalité
sans doute dans P2, reconstruit son repère à partir de
certainement de P1. Sans doute renforce l'incertitude
déjà manifestée par le locuteur par l'emploi de
certainement. Garde Tamine (1998 : 71) parle des marqueurs de la
modalité déontique, celle qui est relative à la
valeur de vérité de la proposition. Vion (2007 :201) va plus
loin pour reconnaître que l'effet du modalisateur
certainement, en dépit de son sens littéral, va
provoquer un brouillage sémantique conduisant l'énoncé
à comporter, tout au plus, une modalité de forte
probabilité. Malgré la présence d'un marqueur de
consécution (de sorte que), les adverbes d'énonciation
(certainement et sans doute) modalisent la conséquence
et laissent transparaître l'hésitation, le doute qui animent le
locuteur au moment de son énonciation. Dans ce sens Maingueneau
(1996 : 45) souligne que le locuteur
situe son énoncé par rapport au vrai et au
faux, au possible et à l'impossible, au nécessaire et au
contingent, au permis et au défendu, il manifeste en termes de vouloir,
de souhait... sa distance à l'égard de la réalisation du
procès.
Ainsi le locuteur porte des jugements, des
appréciations sur ce procès à l'aide de ces deux
adverbes ; dans ce sens ils peuvent commuter avec les adverbes
probablement, peut-être, etc. Ils supposent une rupture entre
l'énoncé et la situation d'énonciation,
c'est-à-dire que le locuteur prend un recul par rapport à ce
qu'il énonce. Ce qui amène Vion (op cit. : 203) à
dire au sujet du modalisateur sans doute, qu'il contribue à
établir une distanciation vis-à-vis des énoncés.
Cette distanciation est provoquée par le dédoublement
énonciatif du locuteur et par le caractère réflexif du
commentaire. Ainsi, mentionne l'auteur, l'image d'un sujet
dédoublé qui prend de la distance par rapport à son dire
provoque une opacité du sens de l'énoncé qui peut aller,
dans le cas présent, jusqu'à une relative incertitude et à
l'existence du doute. Cette affirmation conforte notre point de vue selon
lequel en modulant son énonciation, le locuteur se met à l'abri
de toute contradiction par l'interlocuteur, on peut penser qu'il agit ainsi par
prudence puisque l'opacification peut lui conférer une certaine
autoprotection ; surtout que ce qui est éventuel est
hypothétique, douteux, incertain, aléatoire. La
conséquence éventuelle est celle dont certaines conditions
doivent être remplies pour qu'elle ait lieu. C'est donc en fonction du
contexte et parfois de l'intonation que le co-énonciateur peut
reconstruire un sens.
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