Ebanda tono (les peaux tachetées): utilisations et représentations de la faune sauvage (Gabon)( Télécharger le fichier original )par Florence Mazzocchetti Université de Lettres et sciences humaines, Orléans - Master2 2005 |
Source : Louis Perrois (1968) Source : Louis Perrois (1968) Photo 5 : Peaux de genettes servalines (Village de Zadindoué) Source : Florence Mazzocchetti (2005) II.2 Les Initiations et les temples de guérison : omniprésence de la genette Je n'ai pas eut le temps ni les moyens d'approfondir ce domaine de recherche. Il existe de la littérature sur quelques « danses » initiatiques au Gabon dont la plus répandue est celle du Bwété ou Bwiti (Esparre, 1968 ; Gollnhofer et al, 1975), également présente chez les Bakota. Chaque « danse » possède son temple et ses guérisseurs avec chacune ses spécialités et ses médicaments. Dans la plupart des cas, il s'agit de rentrer en contact avec les ancêtres pour qu'ils nous disent les raisons de nos maux les plus diverses et comment les guérir. Ceci est possible grâce à l'absorption de grandes quantités d'une plante hallucinogène nommée Iboga (Tabernanthe iboga). Une autre constante est celle de l'utilisation de peaux de genettes en « cache sexe » pour le ou les danseurs26(*). Elle peut être aussi entourée autour de la tête du patient bodji afin de le protéger des esprits et des mauvais sorts, mais également afin de le guider dans sa visite dans l'Autre Monde. Au village de Mbondou (Ikota), sur la route d'Okondja, se trouve le temple Ikongonumba qui appartient à la « danse » Mbiri. Ici, le principal animal utilisé est toujours Hindji la Genette servaline. Le tradipracticien se sert de la peau de l'animal pour y déposer des petits tas de bois sacré Iboga ; la peau et d'autres parties du corps de la Genette sont utilisées également dans la fabrication de nombreux médicaments. On vient parfois de loin pour se faire soigner pour toutes sortes de maladies : « Ici, on soigne les femmes qui n'arrivent pas à avoir d'enfants, les fous et pleins d'autres maladies. » Guérisseur, Mbondou. La disposition des petits tas d'iboga suit des règles et des significations bien précises, mais personne n'a souhaité me les confier. Le guérisseur (Nganga ou Nima) du temple me disant : « On sait pourquoi on met là, mais on ne peut pas l'expliquer ». Il m'a quand même montré comment il disposait les tas sur la peau de Hindji (en rouge sur le dessin ci-contre): un tas sur chaque membre, un sur la tête, un sur la queue et deux sur le corps. II.3 La naissance des jumeaux Les jumeaux sont très appréciés chez les Bakota comme dans de nombreuses ethnies au Gabon. Ils sont signe de chance et de richesse et ils sont considérés comme des êtres exceptionnels à la fois plus forts mais aussi plus vulnérables car soumis à de nombreux interdits. Leur naissance s'accompagne toujours de rites de protection très précis que je n'ai malheureusement pas eu la chance de voir. La mère et les enfants sont placés dans une case à part spécialement construite pour l'occasion. Ils restent reclus là pendant plusieurs semaines, le temps que toute la famille ait reçu les protections nécessaires contre les mauvais sorts et les « vampireux ». L'arrivée des jumeaux s'accompagne également du rite Mungala, confrérie masculine à caractère initiatique, car les jumeaux, garçons ou filles, sont initiés d'office à leur naissance ainsi que leur mère, qui est dès lors considérée à l'égal d'un homme. Lors de ces rites, quelques animaux sont utilisés dans les parures et les médicaments dont le rôle est toujours la protection. La confection des médicaments est généralement gardée secrète et peut varier d'un praticien à l'autre. Dans les données que j'ai recueillies, on m'a souvent cité le Bongo Ezona, dont le sang est donné aux jumeaux, la viande de la Loutre Ibango ainsi que la Panthère Ngoye dont on tire les dents. Il semble que les autres animaux tachetés de la famille de la Panthère soient également utilisés. Pour les parures, à la naissance des jumeaux, le père et la mère vont mettre chacun sur la tête deux plumes rouges du Perroquet gris du Gabon Koho. La mère aura également des sortes de bretelles faites en peau d'Ibango27(*). III L'Artisanat L'artisanat n'est pas très développé chez les Bakota. L'art funéraire, avec les figures de reliquaire faites de bois plaquées de cuivre, ne se pratique quasiment plus de nos jours depuis qu'il a été aboli par le culte de Mademoiselle dans les années 60. Ces statuettes sont très recherchées par les collectionneurs d'art Africain et certaines continuent d'être fabriquées pour les touristes. En ce qui concerne l'utilisation des animaux dans l'artisanat Bakota, se sont essentiellement les peaux qui sont travaillées, surtout dans les villages. Autrefois, beaucoup d'animaux pouvaient servir dans l'artisanat ; les Bakota faisaient des ceintures en peaux de Loutre, des soufflets en peaux de Chat doré pour la forge etc. Mais aujourd'hui, avec la modernisation et ses matériaux, seules quelques peaux servent pour la confection de chaises longues ou de Tambours. Les peaux fines sont surtout utilisées pour les tam-tams alors que les peaux plus dures vont être utilisées pour la fabrication des chaises. D'autres peaux sont gardées pour décorer les murs des maisons : Civette, Panthère, Nandinie, Bongo etc. Il est à noter que la plupart des animaux qui sont utilisés dans l'artisanat sont le plus souvent chassés pour leur consommation (mis à part le Chat doré et la Panthère). Tableau 8 : Animaux utilisés dans l'artisanat
IV La domestication Avec l'augmentation du commerce de la viande de brousse, on note une augmentation de la détention d'animaux sauvages. L'étude menée par Joseph Okouyi (2001) sur la détention d'animaux sauvages dans la région de Makokou a montré que ce sont principalement les primates qui sont détenus comme animaux de compagnie. On peut aussi trouver quelques perroquets gris du Gabon et pangolins communs. Les 7 espèces recensées lors de cette étude sont : le Hocheur, le Moustac, le Mandrill, le Mangabey à joues grises, le Colobe guéréza, le Chimpanzé et le Gorille. Ces animaux sont capturés lorsqu'ils sont très jeunes lors de parties de chasse où les mères sont généralement tuées. Ils sont ensuite ramenés au village où ils sont généralement bien traités et en bonne santé. Ce sont essentiellement de jeunes mâles (63%) puisque 64,28% des individus recensés étaient âgés de moins d'1 an (Okouyi, 2001). Certains de ces animaux sont revendus aux touristes ou aux hauts fonctionnaires vivants dans les centres urbains. Pour ma part, lors de mes missions dans les villages Bakota, il n'y a qu'à Mbondou où j'ai vu 3 primates28(*) en tant qu'animal de compagnie. Il y avait donc un Moustac, un Mandrill et un Mangabey à joues grises. Mais contrairement à l'étude d'Okouyi, ces animaux étaient tous des femelles dont les âges oscillaient entre quelques mois et 3 ans. A Zadindoué, en revanche, l'un des villageois avait capturé un Céphalophe bleu en pleine forme et sans blessure, qu'il a gardé pendant 2 ou 3 semaines avant de le vendre au meilleur prix à quelqu'un qui le voulait dans son jardin (paraît-il). V Les animaux dans la tradition orale La tradition se définit comme « ce qui d'un passé persiste dans le présent où elle est transmise et demeure agissante et acceptée par ceux qui la conçoivent et qui, à leur tour, au fil des générations, la transmettent (Bonte-Izard, 2000 : 710). Mais la tradition n'est pas totalement immuable, elle s'adapte aussi aux changements de la société ce qui la liée donc à l'Histoire. Il existe trois façons de transmettre les savoirs du peuple : - L'écriture - L'oralité (contes, proverbes, chansons etc.) - L'image (peintures, dessins, documentaires télévisuels etc.) La société Bakota, comme les autres sociétés d'Afrique noire, est dite de « tradition orale » car la transmission des savoirs et de la tradition était principalement basée sur l'oralité jusqu'à l'arrivée des colons européens. C'est pourquoi, la parole demeure encore aujourd'hui le support culturel prioritaire et majoritaire par excellence, dans la mesure où elle exprime le patrimoine traditionnel et où elle tisse entre les générations passées et présentes ce lien de continuité et de solidarité sans lequel il n'existe ni histoire ni civilisation. V.1 La tradition orale africaine (Chevrier, 1986) La plupart des langues africaines font de subtiles distinctions entre les différents textes de la littérature orale. Pour Frobenius, la pensée africaine se divise en deux strates correspondant à deux niveaux de culture, d'un côté mythes, fables et contes liés selon lui aux sociétés initiatiques et à la magie, de l'autre, épopée et poésie lyrique exprimant l'éclosion de civilisations urbaines et la prise en compte de la dimension historique. L'ethnologue Léopold Senghor a élaboré quant à lui un classement des genres de la littérature africaine traditionnelle à travers ce qu'il appelle une courbe de profanisation conduisant du mythe à la fable, au conte et aux proverbes (Chevrier, 1986 : 18). Ces considérations typologiques n'offriraient qu'un intérêt relatif si elles ne correspondaient pas dans la réalité à des distinctions à la fois effectives et parfois malaisées à saisir. En effet, la frontière entre le mythe et le conte apparaît souvent floue comme le remarque François N'Sougan Agblemagnon29(*) à propos de la tradition Ewe, « le conte n'est pas simplement une mise en scène de l'histoire des hommes ; c'est un jeu cosmique qui reprend les grands mythes de la nature...le conte a donc pu être une manière voilée et dégradée de parler des choses sacrées, une manière de mettre les grandes vérités à la portée de tous. » (Chevrier, 1986 : 18). A l'origine, il y aurait donc le mythe, directement en prise avec les forces cosmiques et le sens de l'univers, et puis arriverait le conte qui, comme le dit Lévi-Strauss30(*) serait une sorte d'avatar, une forme dégradée et désacralisée du mythe. Les contes sont assez souvent émaillés de proverbes qui servent à souligner la finalité morale du conte ou bien à mettre en évidence une leçon tirée de la sagesse des anciens. Il arrive même que le conte ne soit que l'illustration et le développement d'un proverbe qui en constitue en quelque sorte l'amorce. Cette liaison étroite entre le conte et le proverbe s'explique très bien par leur origine commune, puisque tous deux participent de la volonté de définir la place de l'Homme dans la société et d'orienter son action et son existence dans un sens prescrit par la tradition. Quant aux chants, ils sont associés à de nombreuses activités et ponctuent tantôt des évènements de la vie quotidienne, tantôt des cérémonies et rites initiatiques, où ils fonctionnent alors à la manière d'une activité magique qui peut correspondre à ce que Baudelaire nommé une « sorcellerie évocatoire » (Chevrier, 1986 : 20). Que cela soit les contes, les mythes ou les légendes, il s'agit de récits hérités de la tradition, ce qui ne signifie nullement qu'ils se transmettent de façon immuable. Le narrateur puise, dans un répertoire connu depuis longtemps, la trame de son récit et lui imprime sa marque propre qui sera fonction de l'heure, du lieu, du publique et de son talent spécifique. Il s'agit donc à la fois d'une création anonyme, en ce que ces récits sont issus de la mémoire collective, et création individuelle, celle du narrateur. Ces trois formes de narration font parties de ce que Van Gennep appelle la « littérature mouvante » en opposition à la « littérature fixée » des proverbes, des dictons et chansons qui ne se modifient pas. Autant que nous pouvons en juger au travers des analyses que nous proposent différents témoins, spécialistes et observateurs de la tradition orale africaine, les textes qui la constituent répondent à des objectifs à la fois multiples et complexes. Dans un premier temps, il est opportun de rappeler qu'une bonne partie des textes traditionnels ont avant tout une fonction de divertissement et de détente. Cette fonction ludique de la littérature orale n'exclut pourtant pas d'autres finalités, au nombre desquelles Chevrier y range la fonction pédagogique, la fonction politique, la fonction initiatique et enfin la fonction fantasmatique (Chevrier, 1986). V.2 Les ContesV.2.1 Des Mythes, des Légendes ou des Contes31(*) ? Si le terme de conte présente, dans la littérature, des acceptations multiples et des frontières indécises, trois critères suffisent à le définir en tant que récit ethnographique : son oralité, la fixité relative de sa forme et le fait qu'il s'agisse d'un récit de fiction avouée. A l'inverse, les mythes sont des récits considérés comme vrai par les sociétés qui les racontent et qui mettent en scène des Dieux ou des Héros nommément cités, dans un temps passé lointain et indéfini. Les Légendes sont, quant à elles, des récits d'événements qui se sont réellement produits dans un temps plus ou moins long mais défini et dont les acteurs (souvent des héros de guerres) sont connus. Son encrage historique et géographique l'enracine dans la vie locale. Tableau 9 : Différenciations entre conte, mythe et légende
* 26 Si la peau de genette vient à manquer, on peut prendre les peaux d'Ilazi (Genette tigrine et Poiane centrafricaine). Certaines personnes m'ont également cité Lobwa le Chat doré tout en avouant que cela ne se faisait plus car l'animal se faisait rare et était beaucoup plus dur à capturer que la Genette. * 27 Voir planche photos * 28 Voir planche photo : Domestication des animaux * 29 Sociologie des sociétés orales d'Afrique noire, les Ewe du sud-Togo, Paris-La Haye, Mouton, 1969. * 30 Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958. * 31 Sources : Encyclopaedia Universalis tome 6, pp 451-455 ; tome 15, pp. 1036-1039. |
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