1. La revue de littérature
On doit à Davis (1963), la première étude
fondée sur des techniques d'enquêtes comme instrument de
révélation des préférences. Cette étude
portait sur l'évaluation de la valeur récréative des
forêts du Maine. IL s'agissait, par le biais de questionnaires
individuels, de faire enchérir des individus sur des droits
d'entrée. Une fois l'enquête réalisée, l'auteur
estimait une équation permettant de prévoir, sur la base des
caractéristiques socioéconomiques des individus
enquêtés, le montant d'équilibre à partir duquel
l'individu s'exclut volontairement de l'usage du site.
Bien qu'élaborée par les économistes au
début des années 1960, la Méthode d'Evaluation Contingente
(MEC) ne connaît un véritable démarrage qu'à partir
des années 1980.
Schulz (1985), afin de mesurer les avantages d'une
amélioration de la qualité de l'air à BerlinOuest a
adressé par courrier un formulaire d'enquête, sur la
période 1983-1985, sur le CAP à un échantillon de 4500
Berlinois. Le formulaire comportait des questions sur l'appréciation de
la qualité de l'air, sur les effets de la pollution atmosphérique
et, bien entendu, sur le CAP pour une amélioration de la qualité
de l'air. Les résultats indiquent une évaluation de l'air pur de
4,6 milliards de marks pour Berlin-Ouest et de 138 milliards de marks
extrapolés à l'ensemble de l'ex-RFA, soit respectivement 7 et 11%
du PIB. Cette étude montre notamment que le CAP dépend beaucoup
de l'âge et du niveau de connaissance des phénomènes de
pollution de l'air: la valeur accordée à l'air pur était
plus forte pour les jeunes et fonction du degré de connaissance.
Rainelli (1993) et Bonnieux (1998) montrent comment, aux
Etats-Unis, le développement de la méthode est étroitement
lié à la prise en compte de l'environnement par les pouvoirs
publics. L'événement marquant est un décret
présidentiel de 1980 (Executive Order 12291) « qui
rend obligatoire les études d'impacts pour toute législation
d'une certaine importance ayant trait à l'environnement »
(Bonnieux, 1998, p.48).Un autre fait notable est le Comprehensive
Environmental Response, Compensation and Liability Act (CERCLA) de
décembre 1980 qui prévoit des fonds de financement pour la remise
en état de sites pollués
par des substances dangereuses, les responsables étant
tenus d'indemniser les autorités de tutelle pour la
dépollution.
Portnay (1994) souligne deux événements
marquants qui ont suivi le CERCLA et, selon lui, favorisé le
développement de la MEC. Le premier est la réécriture,
dirigée par la cour fédérale en 1989(Etat de l'Ohio,
Ministère de l'Intérieur américain, 880 F. 2d 432, D.C
Circuit 1989), des arrêtés relatifs à l'évaluation
des dommages environnementaux, donnant aux valeurs de non usage un poids
égal à celui des valeurs d'usage. Ce fait a naturellement
placé la MEC dans des conditions favorables à son essor. C'est
lors de cette année 1989 qu'est publié l'ouvrage de
référence sur le sujet: Mitchell et Carson (1989) «
Using Surveys to Value Public Goods: The
Contingent Valuation Method. Resources for the Future »:
Washington D.C.
Le second événement est celui du Oil
Pollution Act de 1990, légiféré suite à la
marée noire de l'Exxon Valdez dans la baie de Prince William Sound en
Alaska. Cette loi a conduit le Ministère du Commerce américain,
sous l'égide du National Oceanic and Atmospheric
Administration (NOAA), à écrire ses propres
recommandations quant à l'évaluation des dommages
environnementaux. Ces recommandations sont retranscrites dans la NOAA Panel
(Arrow et al., 1993), rapport d'un groupe d'experts, réunissant des
économistes renommés dont plusieurs prix Nobel, qui avait pour
vocation de statuer sur la validité de la MEC et de définir un
certain nombre de contraintes nécessaires à sa bonne mise en
oeuvre.
Walsh et al. (1990) estiment que la méthode
d'évaluation contingente est l'instrument le plus important dont nous
disposons pour mesurer la demande des individus pour la protection de la
qualité de l'environnement (l'air notamment).
Munasinghe et Lutz (1993) signalent qu'il est possible
d'obtenir des résultats raisonnables avec la méthode
d'évaluation contingente, dans les pays en développement.
Sagoff (1988) soutient que la littérature portant sur
l'évaluation environnementale n'arrive pas à distinguer si les
individus se comportent comme des consommateurs ou des citoyens lors des
enquêtes d'évaluation contingente : « en tant que citoyen, je
suis concerné l'intérêt public, plutôt que mon propre
intérêt ; avec le bien de la communauté, plutôt que
le simple bien-être de ma famille [...] Dans mon rôle de
consommateur, je poursuis les buts que j'ai en tant que consommateur ».
Pour déterminer le CAP, on peut utiliser plusieurs formats
de questionnaires.
Les questions de type référendum, ou carte de
paiement, sont des questions fermées, demandant à l'individu de
choisir entre deux modalités, pour le référendum, ou plus
de deux, pour la carte de paiement, réduisant le discours à sa
plus simple expression. Par contre, dès lors, qu'il s'agit de demander
à un individu de préciser des motivations quant à sa
réponse à une question de valorisation, c'est-à-dire
d'expliciter son jugement, ceci ne peut être fait que par le biais de
questions ouvertes. Le discours devient alors plus élaboré, fait
d'un individu apte à construire une argumentation,
extériorisation de la justification de l'action. Se pose alors la
question d'une méthode susceptible de saisir l'information contenue dans
le discours dans la perspective d'une analyse quantitative. Malheureusement, il
n'existe encore, à notre connaissance, que peu d'écrits se
rapportant à une théorie du langage en économie,
exceptés les travaux de Rubinstein (1996, 1999) et de Glazer et
Rubinstein (1997).Les développements proposés par Rubinstein
(1999) vont bien dans le sens de la problématique retenue ici, en
avançant, par exemple, que, dès lors qu'il s'agit pour un
individu d'énoncer un ensemble de préférences, un certain
nombre d'entre elles ne peuvent être exprimées dans le langage
usuel. Ces travaux ne constituent cependant qu'une avancée
théorique et il convient de préciser, dans un cadre empirique,
les principes d'une méthodologie adaptée. La proposition de
Schkade et Payne (1993), qui utilisent des « protocoles verbaux »,
technique importée de la psychologie cognitive, est une première
tentative en ce sens. Schématiquement, cette méthode consiste
à demander aux répondants comment ils ont déterminé
leur consentement à payer et d'analyser les discours recueillis sur la
base d'une typologie prédéfinie. Une telle approche est toutefois
soumise à une critique évidente : dans quelle mesure les discours
recueillis ne sont pas des « rationalisations » des consentements
à payer déclarés, rendant impossible toute tentative
d'interprétation ? Pour contourner cette difficulté, Hollard et
Luchini (1999) et Luchini (2000) proposent d'utiliser des questions ouvertes
dans lesquelles on demande aux répondants d'évoquer les mots ou
expressions que leur évoque le bien soumis à l'évaluation
et d'analyser ensuite les propriétés des réponses obtenues
sur la base d'une démarche axiomatique fondée sur les
théories du choix social. Dans des résultats récents,
Flachaire et al. (2002) montrent que les informations fournies par une
telle méthode apportent un gain significatif lorsqu'il s'agit
d'expliquer des consentements à payer déclarés.
En ce qui concerne la pollution de l'air au niveau global, les
économistes ont essayé d'estimer les dommages futurs du
réchauffement climatique. L'une des études les plus citées
est celle de William D. Nordhaus and Joseph Boyer (2000). Cette étude
prévoit comme coût global de 2,5°C de réchauffement en
2100 environ 2% du PIB mondial. La moitié de ce coût proviendrait
du risque d'un changement climatique catastrophique ou brut. Une autre
composante significative du dommage proviendrait d'une possible expansion de
maladies tropicales surtout en Afrique, laquelle est déduite de
données sur l'incidence de diverses maladies à travers
différentes régions climatiques.
Une étude remarquable avec des conclusions frappantes
est celle de Nicholas Stern (2006) qui prévoit les dommages totaux du
futur réchauffement climatique à 5-20 % du PIB mondial en
perpétuité et préconise un coût social actuel qui
équivaut à 311 $ par tonne de carbone. Une majeure partie de
cette estimation est expliquée par des hypothèses relatives au
rapide réchauffement, aux grandes perturbations provenant des grands
évènements météorologiques.
Mais selon Nordhaus (2006), la plus grande différence
concernant ces études provient de l'hypothèse que le taux
d'actualisation social de la consommation future est autour de 1% plutôt
que les 3-5% supposé dans plusieurs études de
prévisions.
Le taux d'actualisation approprié pour les effets de
telles longues séries demeure litigieux selon Portney Paul et Weyant
John (1999).Les taux d'actualisation conventionnel actuel garantissent
équitablement des actions modestes pour un changement climatique lent
pour les générations futures. Cependant, plusieurs taux faibles
sont incompatibles avec les comportements observés menant à des
résultats pervers dans d'autres contextes comme la réduction
drastique de la consommation actuelle et implique que le plus spéculatif
des effets distants a une large influence sur la politique actuelle.
Le problème qui se pose lorsqu'il s'agit
d'évaluer de façon économique la qualité de l'air
est celui d'obtenir une valeur monétaire pour un bien intangible qui n'a
pas de prix de marché. Toutefois, l'importance accordée à
l'évaluation des biens intangibles pendant ces dernières
décennies a favorisé l'émergence de plusieurs
méthodes d'évaluation (Rozan, 1999).
L'une de ces méthodes est celle de l'évaluation
contingente. Cette méthode présente les consommateurs avec des
opportunités hypothétiques d'achat de biens publics dans le but
de pallier l'absence d'un marché réel pour ces biens (Lockwood et
al, 1996).
Certaines études d'évaluation contingente ont
montré que les valeurs du CAP des répondants varient en fonction
des différents formats de questionnaire. En conséquence, la
convergence des différentes valeurs annoncées du CAP
mérite d'être testée.
Mitchell et Carson (1989) ont comparé les taux de
réponses positives du CAP pour tester la validité de la
convergence des différentes valeurs du CAP. Ils concluent qu'il y a
absence de convergence en procédant de cette façon.
Rafia Afroz (2005), dans l'étude du consentement
à payer pour une amélioration de la qualité de l'air dans
la zone urbaine de Klang Valley en Malaisie a abouti au résultat selon
lequel les valeurs annoncées du CAP ne varient pas significativement
suivant le type de questionnaire en comparant les taux de réponses
positives, de zéros valables et de rejets du marché
hypothétique. Toutefois, les valeurs annoncées qui proviennent du
format contenant la question à choix dichotomique sur la valeur du CAP
sont les plus élevées.
D'autres autres études ont mis l'accent souvent en
utilisant des modèles économétriques sur les
déterminants du CAP.
Fanougbo (2002) a eu recours à un modèle Probit
pour estimer les déterminants du consentement à payer des
conducteurs de taxis-moto « Zémidjan » dans la ville de
Cotonou. Il obtient que le « niveau d'instruction » contribue
négativement au CAP. Il trouve en outre que lorsque le conducteur est le
propriétaire de la moto, il a tendance à donner un CAP plus
élevé.
Gbinlo (2006) développe un modèle Tobit pour
identifier les facteurs explicatifs du CAP des béninois pour une
amélioration de la qualité de l'air afin d'évaluer le
coût social de la pollution de l'air par les taxis-motos à Cotonou
au Bénin. Il obtient que les femmes donnent plus volontiers un CAP
positif et, plus le nombre d'enfants élevé, plus faible est la
probabilité de donner un CAP positif. En outre la probabilité de
payer augmente avec le revenu et les dépenses de santé.
N'guessan (2008) a recours à deux modèles
à savoir : les modèles Tobit censuré simple et Tobit
généralisé pour apprécier l'impact du processus
décisionnel sur le consentement des chefs de ménages à
cotiser pour l'Assurance Maladie Universelle (AMU) dans le département
d'Aboisso en Côte d'Ivoire. Les résultats de l'étude
suggèrent que la majorité des chefs de
ménages enquêtés souhaiterait cotiser
annuellement pour l'AMU un montant moyen de 9569FCFA et un montant
médian d'environ 5000FCFA. Par ailleurs, les analyses
économétriques montrent que les modèles Tobit
censuré simple et Tobit généralisé produisent des
résultats différents.
Dans notre étude, nous nous servons de la
Méthode d'Evaluation Contingente pour déterminer la valeur
monétaire de la qualité de l'air que désirent respirer les
abidjanais. Pour y parvenir, nous nous servons de deux formats de
questionnaires à savoir:
Un format avec une question ouverte sur le CAP et un autre
format avec une carte de paiement sur le CAP. Nous utilisons ensuite deux
modèles économétriques pour estimer les
déterminants du CAP.
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