2. Message publicitaire crypté
a) Les effets stylistiques
Entrés dans l`ère de l`hyper-choix, avec des
produits souvent peu différents les uns des autres, et dans l`ère
de l`hyper-sollicitation publicitaire, les consommateurs éprouvent des
difficultés à se décider pour tel ou tel produit. Sentant
une érosion de l`efficacité des messages, les publicitaires ont
travaillé sur le fond du discours et sur la forme du message pour
renforcer la valeur perçue des marques et des produits.
(1) Le fond Voici deux exemples de travail sur le fond :
- La publicité oblique consiste à manipuler
l'objet pour en modifier sa représentation commune. Le
sens du produit naît du discours publicitaire. Le
consommateur interprète le message et achète une vision du monde
plutôt qu`un produit.
- La publicité mythique, inventée par Jacques
Séguéla20, vise à construire la marque dans
le
discours publicitaire. Elle propose une invitation au
rêve et une promesse de bonheur. Elle cherche à effacer l'ennui et
la monotonie des décisions d'achat. Elle est dite « mythique
», puisqu`elle construit du signifié à partir du
signifiant.
(2) La forme
Les publicitaires ne vont pas manquer de
créativité et d`inventivité pour renforcer l`impact des
messages. Ils vont recourir à de nombreux effets stylistiques, tels que
le décalage, l`humour, la connivence avec la cible,
l`autodérision pour la marque, l`exagération publicitaire et tant
d`autres formes...
b) Le client pris en compte
Originellement, la communication des marques a consisté
à mettre en avant la « promesse » d`amélioration d`un
service ou d`un produit pour les consommateurs. Mais constatant que les
promesses étaient souvent identiques d`un produit à l`autre, les
publicitaires ont travaillé sur les bénéfices aux
consommateurs, qui offrent de nouveaux leviers de différenciation
(insights).
En se plaçant du point de vue des attentes consommateurs,
dans une communication conative, les marques ont gagné en pertinence.
20 Publicitaire français, cofondateur de l`agence de
communication RSCG en 1970 (absorbée par le Groupe Havas en 1996), dont
il est toujours
Vice-Président (avec Vincent Bolloré actionnaire de
20% du capital d`Havas). Il inventa notamment le slogan La force tranquille?
pour la campagne présidentielle de François Mitterrand en
1981.
3. Des consommateurs méfiants et de plus en plus
critiques
a) Sentiment de manipulation
Issu de la même veine que Guy Debord dans sa critique
de la « société de consommation » qui aliène les
individus21, et que Naomi Klein dans son essai No Logo paru
en 2001, un mouvement de rébellion émerge pour s`opposer
radicalement à la publicité. La population, saturée de
messages publicitaires, ressent un sentiment de méfiance et demande des
« comptes aux entreprises » qui sont « désormais toutes
suspectes »22. Un sentiment de manipulation germe dans l`esprit
de certains car ils observent que les marques abandonnent un argumentaire
centré sur le produit pour adopter un discours chargé de valeurs
aspirationnelles et sociales. C`est la valeur de lien contre la valeur d`usage
comme le montre en positif Bernard Cova.23
Ce sentiment germe également parce que les
consommateurs replacent désormais les marques dans un système
global qui inclut notamment les sphères financières et sociales,
perçues parfois négativement. Un mouvement « Anti-pub »
éclot et des collectifs s`organisent pour dénoncer les effets
pernicieux et aliénants de la publicité. « Elle nous trompe
en nous offrant l`illusion de la liberté, mais impose en sous main,
l`idéologie de la société de consommation, comme seul mode
d`organisation sociale possible. »24 Les collectifs Casseurs de
pub, Resistance à l`Agression Publicitaire (RAP), Les
Déboulonneurs entre autres, dénoncent haut et fort cette logique
« behaviouriste » et « Pavlovienne » composée de
stimulus et de réactions et qui placerait le consommateur dans une
linéarité prévisible de son comportement, favorisant une
mécanique d`encerclement et de matraquage.
Pour Nicolas Riou25, tout cela « accentue le
sentiment d`omniprésence des marques dans la vie des gens et
génère une réaction de rejet. »
La spirale cryptage-décryptage conduira à rompre
le charme entre les consommateurs et les marques.
b) La spirale de la surenchère
Mue par la logique volume du GRP, la communication
publicitaire est contrainte à une démarche inflationniste pour
faire émerger les messages. Entre 1992 et 2003, les dépenses de
communication ont augmenté d`un tiers pour atteindre près de 30
milliards de dollars. Comme 60% des investissements sont dédiés
au hors média, les marques saturent non seulement les espaces publics
mais envahissent aussi les territoires de la culture (en s`associant avec des
artistes) ou du sport (en s`associant avec des sportifs comme David Beckham
avec Pepsi ou Mickael Owen avec Pizza Hut par exemple). Mais à force de
surenchère, la communication publicitaire se banalise et fait dire au
sémioticien Benoît Heilbrunn 26: « Qu'on le
veuille ou non, la publicité est devenue un élément
marginal et complètement périphérique d'une
société post-publicitaire. Chaque citoyen étant soumis
chaque jour à un grand nombre de messages publicitaires qu'ils en
perdent toute leur force et deviennent ainsi paradoxalement insignifiants.
»
Cette spirale infernale de la surenchère conduira à
l`érosion de l`efficacité publicitaire.
21 Debord Guy, La Société du spectacle,
Editions Buchet-Chastel, 1967
22 Riou Nicolas, op. cit.p 21
23 Cova Bernard. Au-delà du marché : quand le
lien importe plus que le bien, L`Harmattan, Paris, 1995
24 Brune François, Le bonheur conforme. Editions
Gallimard, 1985
25 Riou Nicolas, op. cit., p 22
26 Heilbrunn Benoit, Du fascisme des marques. Article du
Monde, Paris, 23.04.2004
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