L'etat ivoirien et les coopératives féminines( Télécharger le fichier original )par Koffi Parfait N ' Goran Université de Bouaké-Bordeaux II - Doctorat 2008 |
INTRODUCTION GENERALEI. Contexte et justification de l'étude Avec la crise économique et ses conséquences sociales, l'Etat ivoirien s'est engagé fortement dans la revalorisation du secteur vivrier et dans la recherche de moyens efficaces pour avoir une meilleure maîtrise de son évolution. Ce nouvel intérêt se traduit par d'importantes actions en faveur des femmes qui en demeurent de loin les principales actrices. Dans cette optique, une Bourse Nationale du Vivrier (BNV) a été initié récemment en 2002 pour aider celles-ci à redynamiser leurs activités. Entre autres, cette structure vise la création de centres de collecte, la facilitation de l'approvisionnement des villes, le financement de la production et de la commercialisation des produits. De même, les femmes sont de plus en plus sensibilisées par les structures de développement à la constitution de « coopératives officielles ». Le faisant, les pouvoirs publics veulent susciter la création d'organisations coopératives compétitives et viables fondées sur de nouvelles règles (loi coopérative n°97-721 du 23 décembre 1997) capables de donner une plus grande efficacité au système de distribution et de commercialisation des produits vivriers en Côte d'Ivoire. En réalité, l'intérêt accordé par l'Etat ivoirien à l'économie des produits vivriers n'est pas un fait nouveau. Des investissements lui ont été consacrés1(*). En 1972, il y a eu le projet AGRIPAC pour réorganiser et moderniser la distribution et la commercialisation des produits vivriers. Mais dans l'ensemble, ces initiatives étatiques sont restées inefficaces ; de sorte que le commerce des produits vivriers repose encore sur un système plus ou moins traditionnel dominé par des réseaux de relations variés et complexes. Avec la libéralisation de l'économie ivoirienne et l'instauration de la nouvelle loi coopérative, l'expérience des commerçantes de produits vivriers s'est alors avérée intéressante à étudier. Car, a priori, elle marque le passage d'une activité qualifiée jusque là d'informelle et d'inorganisée à une activité structurée désormais autour des nouvelles procédures/règles définies par l'Etat. Cette réforme est supposée apporter plus de compétitivité et de viabilité aux coopératives féminines et accroître la capacité d'action des commerçantes. II. Problématique La nouvelle loi coopérative (loi n°97-721 du 23 décembre 1997) est un nouveau cadre institutionnel qui vise à « moderniser » les organisations coopératives afin de les rendre plus compétitives, viables et efficaces. Elle intègre une série de réformes de l'économie entreprises par l'Etat ivoirien sous la pression des bailleurs de fonds internationaux suite à la grave crise des décennies 1980 et 1990. Elle fait suite aux adaptations du cadre juridique des coopératives initiées par les pouvoirs publics pendant les années 70 (1972 et 1977 par les lois n°72-853 du 21 décembre 1972 et n°77-332 du 01 juin 1977). Tout en cherchant à accorder plus de responsabilités aux acteurs économiques locaux, la nouvelle réforme veut rompre avec les pratiques coopératives « non professionnels » ou traditionnelles pour être en phase avec les mutations induites par la libéralisation. Entre autres caractéristiques, elle supprime l'étape pré-coopérative2(*) en vigueur depuis août 1966 et instaure le vote comme mode de désignation des dirigeants de coopératives. Plus encore, elle fait obligation aux coopérateurs ou coopératrices de recruter un Directeur/Gérant (ayant fait au moins deux années d'études supérieures) pour assurer la gestion quotidienne de leur organisation. Ainsi, tenant compte du nouvel environnement économique et institutionnel, la présente étude pose la question principale suivante : Dans un contexte de cohabitation entre des pratiques coopératives et marchandes d'origine traditionnelle et la diffusion par les pouvoirs publics d'une nouvelle loi coopérative, qu'est-ce qui fonde l'efficacité du mode d'organisation et des pratiques marchandes des commerçantes de produits vivriers ? Quelle incidence la nouvelle loi coopérative a-t-elle sur le mode d'organisation et les pratiques marchandes des commerçantes de produits vivriers ? De façon globale, cette thèse soulève donc la question du changement dans le système d'organisation du commerce des produits vivriers en Côte d'Ivoire.
En effet, en s'appuyant sur des formes d'organisations et des réseaux plus ou moins structurés, les femmes ont toujours assuré l'approvisionnement des agglomérations urbaines en produits vivriers. Elles ont même acquis une réputation et une notoriété certaines dans ce domaine. D'importantes difficultés (transport des produits, impraticabilité des routes ou pistes villageoises, rackets aux postes de contrôle des forces de l'ordre et de sécurité, etc.) se posent aux commerçantes. Elles sont amplifiées par la crise politico-militaire que vit la Côte d'Ivoire depuis septembre 2002. Il n'empêche que les commerçantes de produits vivriers continuent de répondre aux besoins de consommation des populations ivoiriennes. Construits généralement autour de diverses formes de relations sociales primaires (ethnie, parenté, religion, solidarité, etc.), leurs modes d'organisation semblent être porteurs d'une certaine vitalité. Mais pour les pouvoirs publics, la restructuration et la modernisation du commerce des produits vivriers s'imposent en raison de l'inorganisation du système actuel, du manque de moyens financiers, des difficultés dans la collecte des produits et dans l'approvisionnement des villes, et surtout, de l'analphabétisme des femmes (Amara, 2004). Dans cette optique, la nouvelle loi coopérative est vue comme le moyen privilégié pour pallier ces faiblesses et susciter la mise en place d'un système plus compétitif pour les commerçantes de produits vivriers. Des organismes étatiques comme l'Office de Commercialisation des Produits Viviers (OCPV) mènent alors des actions de sensibilisation et de formation afin de permettre ou de faciliter l'adoption de la nouvelle loi coopérative par les acteurs locaux. A terme, il s'agit pour l'Etat de réorganiser et de faire sortir les coopératives féminines de l'informel dans lequel elles baigneraient. Intégrées de façon plus significative dans le cadre de la nouvelle loi coopérative, les organisations féminines opérant dans le secteur vivrier ont vu leur nombre s'accroître de façon considérable. La Fédération Nationale des Coopératives de Vivriers de Côte d'Ivoire (FENACOVICI) regroupe, à elle seule, plus de 252 coopératives (Djiako, 2003). Alors que jusque là, elles étaient très faiblement représentées, en dépit de leur contribution à l'équilibre de l'économie du pays. Le système coopératif ivoirien reposait, en effet, à titre principal, sur les Groupements à Vocation Coopérative (GVC) de café et de cacao. Or la crise économique a montré que de nombreux GVC dans le domaine des produits d'exportation n'ont pu répondre aux attentes des populations locales. D'énormes dysfonctionnements sont apparus dans leur mode de fonctionnement et de gestion occasionnant ainsi une faillite quasi généralisée des GVC. Sous cet angle, pourquoi les politiques de développement n'ont pas accordé une attention particulière aux coopératives de produits vivriers ? Quelles sont les causes principales de l'inefficacité et de la faillite des GVC ? Dans le secteur vivrier et notamment pour les commerçantes, l'objectif affiché par l'Etat est de les aider à organiser plus efficacement leurs activités tout en favorisant le développement d'un système de commercialisation des produits vivriers moderne et plus compétitif. Toutefois ces femmes disposent déjà de ressources (savoirs ou de savoir-faire, capital social et/ou économique) acquis dans l'exercice de leurs activités et suffisamment enracinés dans les consciences et les pratiques. Ces ressources sont très variées. Elles recouvrent aussi bien la structuration et la distribution des rôles au sein des coopératives selon les affinités identitaires ou confessionnelles, le marchandage, les « contrats », l'usage de signes ou symboles pour identifier les marchandises, la mobilisation des liens affectifs ou des alliances dans les échanges, le recours au gouassou, etc. Dans un tel environnement social, comment les commerçantes de produits vivriers perçoivent-elles la nouvelle loi coopérative ? Comment s'expriment les rapports entre les règles de la nouvelle loi coopérative et les savoir-faire des commerçantes en termes d'organisation et de pratiques marchandes ? Quelles sont les stratégies mobilisées par les commerçantes dans le processus d'adoption de la nouvelle loi coopérative? Y a-t-il des résistances ? Quelles en sont les significations ? III. Objectifs de la recherche A l'observation, les commerçantes de produits vivriers ont une capacité étonnante d'organisation. Cette capacité d'organisation leur permet d'assurer l'approvisionnement des villes depuis plusieurs décennies et aussi de répondre à leurs propres besoins. Cette étude vise donc à mettre en évidence et analyser les ressorts de l'efficacité des coopératives féminines et des pratiques marchandes des commerçantes dans un environnement caractérisé par des réformes économiques et institutionnelles. Pour y parvenir, les opérations concrètes ont consisté à : - Déceler et analyser les règles, valeurs ou logiques qui fondent l'efficacité du système d'organisation des commerçantes et de leurs pratiques marchandes dans le contexte économique actuel; - Identifier les nouvelles règles coopératives et évaluer leurs incidences sur l'attitude et le comportement des commerçantes ainsi que sur leur mode d'organisation du commerce; - Déceler et analyser les stratégies mobilisées par les commerçantes dans l'adoption de la nouvelle loi coopérative et les significations qui en découlent. IV. Hypothèses de recherche En elles-mêmes les coopératives de commercialisation de produits vivriers s'organisent et fonctionnent principalement sur la base des liens de parenté, d'amitié, des liens ethniques, ou de la solidarité confessionnelle. Mais c'est par l'expérience, les compétences pratiques, et à l'intérieur des réseaux sociaux que les commerçantes organisent les échanges marchands. Ceci étant: - L'efficacité du mode d'organisation et des pratiques marchandes des commerçantes résulte de la combinaison des valeurs des formes de coopération par les identités ou les affinités et de la mise en oeuvre d'expériences ou de compétences pratiques acquises dans l'exercice du commerce des produits vivriers. - En l'état actuel, l'incapacité de la nouvelle loi coopérative à produire des compétences pratiques pour redynamiser le système d'organisation du commerce des produits affaiblit le niveau d'adhésion des commerçantes aux innovations. De ce fait, celles-ci n'expriment pas d'attentes particulières et positives par rapport aux fonctions sociales que valorise la nouvelle loi coopérative. - Les commerçantes de produits vivriers procèdent à des ajustements, ou contournent totalement les prescriptions de la nouvelle loi coopérative. Ces stratégies contribuent à la reproduction de leur mode d'organisation, au maintien des positions sociales et du prestige acquis par les femmes dans ce domaine d'activité. V. Revue critique de la littérature Beaucoup de travaux relatifs aux coopératives féminines montrent, en grande partie que ce qui les caractérise, c'est l'analphabétisme, l'inorganisation, la faiblesse ou l'absence de financements et la pauvreté des femmes. Il y aurait donc d'énormes entraves (Amara, Op. cit.) à l'émergence d'un mode d'organisation moderne, compétitif et plus efficace du commerce des produits vivriers. Or, malgré les difficultés, le système d'organisation et les pratiques marchandes des commerçantes de produits vivriers continuent de vivre. Partant de ce constat, la présente thèse procède à la déconstruction de cette grille d'analyse dominante. Au lieu et place, elle fait émerger l'expérience et les compétences pratiques des commerçantes, les réseaux sociaux (capital social), la pratique du don comme sources de construction d'une autre logique d'efficacité même dans un contexte de mutations économiques et institutionnelles. Tout en mettant un accent particulier sur le volet marchand dans sa monographie sur la production vivrière ivoirienne, Ildefonse Ndabalishye3(*) (1995) souligne qu'en Côte d'Ivoire, la commercialisation bénéficie d'un certain suivi par le biais de l'Office de Commercialisation des Produits Vivriers (OCPV). Il cite à cet effet, quelques unités de collecte mises en place par l'Etat: celle de Méagui (Soubré) dans le Sud-ouest, conçue pour la banane plantain, et celle de Kotobi (Bogouanou) dans l'Est, pour les légumes principalement. Pour lui, ces infrastructures aident à assurer une meilleure organisation des flux et de la distribution urbaine. Sur la question de l'efficacité des circuits de commercialisation des produits vivriers, Ndabalishye pense qu'elle est basée sur la qualité du réseau routier ivoirien4(*). Le système d'approvisionnement des marchés repose quant à lui sur des réseaux plus ou moins intégrés, impulsés par les grossistes dont certains assurent également la fonction de collecte. Mais au niveau de cette collecte, la difficulté réside selon l'auteur, dans la dispersion de l'offre ainsi que dans l'accès des véhicules aux lieux de production. Cela entraîne une baisse des prix payés aux producteurs en fonction de l'éloignement des centres de consommation et/ou des principaux axes routiers. En ce qui concerne l'information relative aux produits vivriers eux-mêmes, Ndabalishye estime qu'elle circule mal au sein des circuits de commercialisation. Elle passe par des échanges directs mais informels entre les commerçants, transporteurs et collecteurs. Dans ce domaine, le rôle de l'OCPV semble être limité en raison de son accès irrégulier aux médias, pour des problèmes de moyens financiers. En ce qui concerne le problème du transport dans le processus de distribution des produits, le coût du transport, selon l'auteur accroît les charges liées à la commercialisation. Toutefois, les marges commerciales nettes sont généralement modérées au niveau de la distribution de gros. Ce qui n'est pas le cas au niveau du détail. La conséquence, fait-il remarquer, c'est la multiplication des prix par deux ou trois sur les marchés urbains. S'intéressant au cas particulier du commerce des légumes, Ndabalishye indique qu'ici, la fonction de collecte est assurée par les femmes. Dans les zones de production, les grossistes-collectrices achètent directement aux producteurs ou à de petites commerçantes qui effectuent un premier ramassage. Le transport des produits est dominé par l'utilisation des cars. Ce qui favorise la dispersion de la collecte, ces véhicules n'acceptant que de petits chargements à chaque voyage. A Abidjan, deux principaux marchés dominent ce commerce de gros au niveau des légumes. Celui d'Adjamé et celui du Plateau. Adjamé est plus actif dans le commerce des légumes : n'drowa (aubergine), tomate, gombo, piment, feuilles et légumineuses-graines. Quant au second marché, celui du Plateau, il s'est spécialisé dans le commerce des légumes de type européen. En définitive, par rapport à la commercialisation des produits vivriers, Ndabalishye identifie quatre faits majeurs pour l'ensemble de la sphère marchande : - la faiblesse du volume concerné par rapport aux productions nationales. Ce fait est influencé par la grande consommation de riz importé ; - la faible variation interannuelle de l'offre. Cette stabilité est due au caractère marginal des quantités mises en jeu ; mais aussi à une relative stabilité du climat ; - la complexité des circuits de commercialisation qui résulte de la diversité des opérateurs intervenants. Pour l'auteur, ces intervenants semblent régis par des liens de solidarité tacites qui confèrent à leur univers les traits d'une confrérie très sélective. Manipulant des quantités minimes, ceux intervenant au niveau du détail se voient, à cause de leur foisonnement, obligés de pratiquer des marges démesurées. Ainsi les producteurs se plaignent de livrer leurs produits à vil prix, et les consommateurs de les acheter trop cher ; - les bonnes potentialités d'amélioration. Ici, il estime que les perspectives d'une meilleure efficacité de la fonction marchande et une bonne répartition des plus-values au sein des circuits reposent sur : un rôle plus accru des Organisations Professionnelles Agricoles (OPA), particulièrement au stade de la collecte primaire, la revalorisation de l'outil médiatique en faisant appel à la presse aussi bien parlée qu'écrite, la diversification des modes de consommation des produits locaux et leur promotion et le soutien aux initiatives de prospection des marchés extérieurs. L'étude de Ndabalishye nous situe sur le rôle de quelques acteurs dans la commercialisation (l'Etat, l'OCPV et les grossistes, par exemple) ainsi que sur les atouts et les difficultés qui affectent le système national d'approvisionnement des agglomérations urbaines en produits vivriers. De façon particulière, l'OCPV qui a en charge d'organiser l'économie des produits vivriers reste effectivement un organisme peu efficace. L'insuffisance de ses moyens logistiques, la faiblesse de ses ressources financières et son accès limité aux médias (30 minutes d'intervention par semaine sur les antennes de la première chaîne de radio) sont des obstacles à l'accomplissement des missions à lui assignées. Il est aussi peu sûr que les émissions portant sur l'évolution des prix, la distribution et la commercialisation des produits vivriers soient suivies et qu'elles aient un effet réel sur les commerçantes. De plus, les faiblesses de l'OCPV tiennent surtout du « langage-développement » (Sardan, 1995), de la prégnance des stéréotypes et représentations qui ne permettent pas une juste évaluation des pratiques et logiques qui structurent l'activité marchande des coopératives féminines. En outre, en mettant l'accent sur les gros acteurs que sont l'Etat, l'OCPV et les grossistes, Ndabalishye passe quelque peu sous silence le rôle que tiennent les femmes et leurs coopératives. Pourtant l'essentiel de la distribution et de la commercialisation se fait par le canal des associations ou des regroupements féminins5(*) et, en la matière, les femmes sont en situation de quasi monopole6(*). Aussi, en mettant en cause les pratiques et les logiques qui alimentent l'activité des acteurs locaux, Ndabalishye estime que les « liens de solidarité tacites » qui existent entre eux constituent un obstacle au bon déroulement de la commercialisation des produits vivriers. A ses yeux, ceux-ci confèrent à l'univers des intervenants les caractéristiques d'une « confrérie très sélective ». Ce qui amènerait les détaillantes à proposer des prix exorbitants aux consommateurs. On peut imaginer que ce qu'il appelle « liens de solidarité tacites » ou « confrérie », recouvre les réseaux de relations et de connaissances autour desquels s'organisent les échanges. Tout compte fait, les interventions de l'Etat ont apporté peu de progrès techniques dans le système d'approvisionnement des villes. De ce fait, ce sont les relations interpersonnelles qui nourrissent les échanges. Les réseaux de relations représentent le capital social le plus important dans les échanges. Dans la forme actuelle du commerce des produits vivriers, l'information circule plus aisément à l'intérieur des réseaux sociaux. Ainsi donc, la distribution et la commercialisation des produits vivriers sont réinventées et organisées autrement, essentiellement, par le biais des relations interpersonnelles, des compétences et expériences pratiques. La faiblesse même des transformations techniques et des infrastructures dans l'organisation de l'économie des produits vivriers ainsi que la crise économique renforcent le poids des réseaux sociaux dans les échanges. Il faut également relativiser l'impact des réseaux de relations sur les prix proposés par les commerçantes sur les marchés. Interviennent à ce niveau, beaucoup d'autres facteurs : l'offre et la demande (période d'abondance ou de pénurie dans la production), l'éloignement du lieu de production, la quantité de marchandises achetée, les frais occasionnés par les rackets aux différents postes de contrôle. D'autres auteurs comme Kouamé Georges (2000), Touré Lacina (1996), Zizigo, (1989) se sont également intéressés aux activités de commercialisation de produits vivriers menées par les coopératives féminines. Pour le premier cité, l'activité de distribution et de commercialisation des produits est enchâssée dans un ensemble de relations humaines. Ce qui fonde les rapports économiques entre les femmes d'une même coopérative c'est la parenté, la langue commune ou les présupposés culturels. Ces rapports peuvent favoriser l'aide mutuelle, la mise en place d'association de crédits (tontines) ou les comportements de solidarité entre les commerçantes. Kouamé Georges a le mérite de mettre le doigt sur les dimensions sociales ou culturelles des activités marchandes des commerçantes de la coopérative de distribution des produits alimentaires (CODIPRAL) de Treichville qu'il a étudiée. Mais dans l'ensemble, il s'enferme dans la grille d'analyse dominante en ce domaine ; c'est-à-dire celle qui privilégie l'approche économique et structurelle. Ainsi, en lien surtout avec le nombre élevé de femmes analphabètes ou déscolarisées dans le commerce des produits vivriers, il relève que les principales entraves à l'organisation et l'évolution efficientes de cette activité sont les suivantes : l'absence de professionnalisme (non respect des règles coopératives), le désintéressement des commerçantes par rapport au système d'épargne moderne et le recours aux caisses d'épargne traditionnelles (les tontines), l'utilisation de leurs revenus dans des activités festives (mariage, baptême, etc.) ou dans les funérailles, les difficultés de financement en relation avec la faiblesse des revenus et l'insolvabilité de la plupart des commerçantes, etc. Le rôle indéniable des femmes dans la commercialisation ou la promotion des produits vivriers est aussi mis en exergue dans les travaux de Touré et de Zizigo (Op. cit.). Dans le mécanisme de fonctionnement de la Coopérative de Commercialisation des Produits Vivriers d'Adjamé (COCOPROVI), l'un souligne l'importance de l'entraide. Chez Touré, l'entraide résulte de la conscience d'appartenance des commerçantes à une même famille. Elle est source de cohésion sociale. A travers les exemples de trois coopératives féminines d'Akanzakro (Bouaké), d'Adjamé et d'Abobo, l'autre montre que les femmes du secteur vivrier sont un atout pour l'équilibre socio-économique de la Côte d'Ivoire. Toutefois, celles-ci ont d'énormes faiblesses qui affectent négativement leurs activités économiques. Ces faiblesses sont de plusieurs ordres. Au niveau des acteurs locaux eux-mêmes, il y a la faible participation des femmes aux programmes de sensibilisation et de formation qui n'est que la conséquence du manque d'instruction des femmes. La pression de l'environnement social est également mise en cause. En effet sur les 174 sujets enquêtés, Zizigo indique que les bénéfices que les femmes tirent de leurs activités économiques vont aux dépenses personnelles (habillement, achats de bijoux, etc.) et aux dépenses de famille (alimentation, éducation, soins des enfants, loyers, funérailles, etc.). L'environnement social est donc pour lui un obstacle à la prospérité économique et au réinvestissement. Il préconise alors un changement des habitudes. Par ailleurs, au niveau étatique, l'insuffisance des ressources matérielles et humaines ne permet pas, selon l'analyse de Zizigo, un suivi efficace des coopératives. A cela s'ajoute le manque de moyens modernes de stockage aussi bien dans les zones de production que sur les marchés urbains ainsi que l'absence de financements. Sur cette base, Zizigo estime que la solution réside dans la formation des femmes à la gestion coopérative, leur accès aux crédits pour développer davantage leurs activités économiques et une collaboration réelle entre les coopératives féminines et les structures d'encadrement. Au total, il se dégage du point critique de la question que, pour la plupart, les analyses disqualifient les savoirs, les savoir-faire et les pratiques des acteurs locaux que sont les commerçantes. Or devant les nombreuses initiatives infructueuses des pouvoirs publics, il faut se demander si le commerce des produits vivriers n'est pas bien organisé étant donné les conditions dans lesquelles il fonctionne (Jones, 1972 cité par Perrault et Tano, 1986). En outre, il est clair qu'à l'aune des perceptions économiques, la plupart des commerçantes demeurent pauvres. S'appuyant sur les différences de situations sociales, Vleï (1994) note qu'il y a une pléthore de petites commerçantes aux conditions de vie précaires qui coexistent avec les commerçantes les plus aisées. Il reste toutefois difficile, en réalité, de rendre compte des nombreuses facettes que recouvrent les conditions de vie des commerçantes. Beaucoup se disent satisfaites de leurs activités marchandes et de leur vie en coopérative sans que l'on ne puisse avoir une idée exacte de leurs revenus. Dans beaucoup de cas, la satisfaction des commerçantes ne tient pas à une hiérarchie de valeurs uniquement monétaires. Elle ne se mesure pas toujours à l'importance des bénéfices réalisés (les pertes sont parfois nombreuses à cause des faiblesses infrastructurelles et logistiques). L'intégration à des réseaux de relations variés, l'entraide mutuelle, la récupération subtile de responsabilités familiales traditionnellement dévolues à l'homme sont des sources de satisfaction et de motivation tout aussi importantes pour beaucoup d'entre elles. Au plan méthodologique, la démarche qualitative (observations, trajectoire sociale des enquêtées, etc.) est pratiquement inexistante dans les travaux exposés. Or, la compréhension de l'activité que mènent les commerçantes passe par la connaissance de leur vécu quotidien, de leurs expériences et compétences pratiques, des règles ou systèmes de valeurs qu'elles mobilisent, des formes de relations dans lesquelles elles sont insérées et des significations qu'elles accordent à leurs pratiques marchandes. Nous ne sommes pas sûr que la compétitivité ou l'efficacité des coopératives féminines soit la conséquence de l'adoption de nouvelles procédures organisationnelles par les commerçantes. Aussi, comme l'a si bien démontré Serge Latouche (1998, 2005), les laissés-pour-compte, les « naufragés du développement » réinventent l'activité économique selon une autre logique, notamment celle des réseaux de relations, de la convivialité et du don. Ils sont condamnés à vivre autrement, c'est-à-dire hors des normes dominantes parce que « mis au rancart » par l'économie et le marché mondial. Dans toutes les expériences humainement réussies de l'informel, il ne s'agit pas d'un calcul maximum-minimum sur une grandeur quantifiable homogène, type bénéfices-coûts monétaires, mais d'une spéculation synthétique sur les multiples « raisons » qui entrent dans le traitement d'un problème qui embrasse la totalité sociale (Latouche, 2005 : 132). Dans l'informel, souligne Latouche, on est ingénieux sans être ingénieur, industrieux sans être industriel. L'étude des stratégies ménagères à Grand-Yoff (Sénégal), lui fait, d'ailleurs, dire que malgré le nombre important d'étudiants africains formés dans les business school anglo-saxon, ce ne sont pas eux qui fondent les entreprises performantes, mais bien des femmes illettrées. Sur bien des points, la présente étude se nourrit des analyses esquissées par Serge Latouche. Elle tente, à partir de l'exemple spécifique des commerçantes de produits vivriers de la ville d'Abidjan, de les élargir aux expériences et compétences pratiques tout en portant une attention particulière au vécu et aux pratiques quotidiennes de ces dernières. VI. Champ de la recherche et population cible L'étude s'est déroulée à Abidjan, précisément dans les communes d'Adjamé et d'Abobo qui font partie des pôles les plus importants en matière de distribution et de commercialisation de produits vivriers dans la capitale économique ivoirienne. Le choix de ces deux communes tient compte de variables aussi bien géographiques que sociologiques. Dans notre démarche, Adjamé a été retenu comme marché centre et Abobo comme marché satellite. En ce qui concerne le choix proprement dit des coopératives, il ne repose pas sur la représentativité au sens statistique du terme. Nous avons procédé par raisonnement en recherchant une adéquation entre les choix opérés et les objectifs de la recherche. Sous cet angle, nous avons accordé une attention particulière à l'ancienneté et la notoriété des coopératives. C'est ce qui justifie le choix de la coopérative du « marché Gouro » d'Adjamé-Roxi (COMAGOUA) en premier lieu et de la coopérative multiservice des femmes d'Abobo (COMUSERF) en second lieu. La COMAGOUA qui existe depuis la décennie 1980 a une plus grande assise économique et sociale que la COMUSERF qui ne s'est constituée qu'au cours de l'année 2001. Outre ces deux coopératives officielles, l'étude s'est aussi intéressée à une coopérative non officielle (« Philadelphie » d'Abobo), en vue d'avoir une vision plus large et diversifiée du mode d'organisation des commerçantes et de confronter les observations effectuées. Les enquêtes ont donc porté sur trois coopératives de commercialisation de produits vivriers aux caractéristiques différentes. Enfin, les commerçantes interrogées l'ont été à partir de trois principales classifications : responsables/membres ou sommet/base, capital social fort/capital social faible, commerçantes expérimentées/commerçantes peu expérimentées. Sur cette base, l'analyse du mode de régulation des coopératives et des pratiques marchandes dont usent les commerçantes tient compte aussi bien des positions hiérarchiques des individus que des ressources qu'ils ont (capital social) et qu'ils mobilisent dans le cadre des échanges marchands. VII. Techniques de collecte des données Les entretiens et les observations ont été les principaux outils de collecte des données dans cette étude. Avec les femmes, les entretiens ont permis l'établissement de réseaux de relations explicatifs entre les trajectoires sociales (récits de vie) des commerçantes, les pratiques marchandes qu'elles mobilisent, leurs significations et les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Ils ont été également utiles dans la saisie des mécanismes qui président à l'organisation et au fonctionnement des coopératives. Avec les agents des organismes de développement (MINAGRA, OCPV, par exemple), les entretiens se sont focalisés sur trois points majeurs que sont : - les raisons de la mise en place d'une nouvelle loi coopérative ; - les stratégies d'intervention des organismes de développement auprès des commerçantes ; - les incidences des interventions sur le mode d'organisation des commerçantes. Au niveau des observations, elles ont consisté à suivre les commerçantes aussi bien sur les marchés que dans les zones de production. Les observations nous ont permis de : - connaître l'organisation réelle des commerçantes en termes d'achat, de transport, de distribution et de commercialisation des produits vivriers ; - savoir comment les commerçantes nouent et préservent les relations avec les autres acteurs du vivrier marchand, et en particulier, les productrices/producteurs ; - connaître ce sur quoi reposent les échanges entre les commerçantes et leurs clientes/clients sur les marchés. VIII. Démarche d'analyse Au plan de la démarche de recherche, les travaux sur la question sont essentiellement orientés vers une approche quantitative (données statistiques, revenus, etc.). En privilégiant les catégories économiques, ces études ne traitent pas suffisamment des pratiques quotidiennes, des compétences et expériences concrètes des femmes dans la distribution et la commercialisation des produits vivriers. Or ces ressources sont productrices d'une autre efficacité. Ayant opté, en ce qui nous concerne, pour une démarche de type qualitatif, nous privilégions une approche interactionniste qui met l'acteur, ses pratiques et leurs significations au coeur de l'analyse sociale. Mais cette option tient compte de l'histoire et de la culture sur la base desquelles, les acteurs construisent leurs logiques d'action. En effet, les pratiques des commerçantes ne peuvent être dissociées de leur parcours de vie, des expériences, des processus d'apprentissage qu'elles ont traversés, ainsi que des réseaux de relations dans lesquels elles sont insérées et qui influent sur leurs capacités à s'organiser et à commercer. Notre étude s'intéresse particulièrement aux fondements, à l'intelligibilité et aux significations des pratiques organisationnelles et marchandes des commerçantes qui résultent, avant tout, des contextes d'action ou des systèmes d'action concrets (Crozier & Friedberg, 1977). Elle met en relief les ressources (capital social, capital économique) dont disposent les commerçantes et dont la mobilisation leur permet de « tirer leur épingle du jeu face aux normes ou règles » (Le Breton, 2004) des structures de développement. Aussi bien dans le fonctionnement des coopératives que dans les échanges, presque tout le système d'organisation des commerçantes repose sur des conventions sociales non écrites. Celles-ci tirent leur légitimité sociale de la parenté, de l'ethnie, de la religion, des réseaux sociaux, du don, des compétences et des expériences pratiques. Elles produisent des formes de satisfactions qui sont aussi bien économiques, sociales, culturelles que symboliques. La convention est un système d'attentes réciproques sur les compétences et les comportements, conçus comme allant de soi et pour aller de soi (Salais, 1989). Dans la convention, « les comportements attendus n'ont pas besoin d'être conçus à l'avance, écrits, puis ordonnés pour être obtenus » (Ibid.). La vie sociale repose sur des accords implicites informels ou implicites de ce type (Cabin, 1999). Par exemple, quand une commerçante achète des produits à crédit chez une productrice/un producteur, le mode d'échange présente a priori un risque parce que généralement, aucun document écrit ne l'atteste. Toutefois, sur la base de la confiance et des liens d'amitié la productrice/le producteur s'attend à ce que la commerçante revienne s'acquitter de cette dette lorsqu'elle aura vendu les produits sur le marché. Il s'agit, au fond, d'une forme de transaction où en raison de la force des réseaux de relations et de connaissances, les parties observent pour une grande part, les règles de l'échange. Une commerçante véreuse réduit elle-même son champ d'activité en ce qu'elle peut susciter par son comportement, la désaffection des productrices/producteurs de son réseau. Cela dit, l'élucidation du mode d'organisation des commerçantes et des pratiques qu'elles mobilisent dans les échanges s'appuie, à titre principal, sur une approche par les règles7(*) (Reynaud, 1997), les conventions8(*) (Boltanski, Thévenot, Orléan, Salais in Cabin, 1999) et le capital social9(*) (Bourdieu, 1980 ; Putnam, 1993). IX. Difficultés et limites de l'étude Cette étude a été réalisée à un moment difficile de l'histoire de la Côte d'Ivoire. Originellement, notre champ de recherche était la Vallée du Bandama qui regroupe cinq principaux départements que sont Bouaké (ville principale), Sakassou, Béoumi, Katiola et Dabakala. Notre étude devrait s'étendre à trois de ces départements : Bouaké, Béoumi et Katiola. Mais la crise politico-militaire survenue en septembre 2002 nous a contraint à changer de terrain et opter pour la ville d'Abidjan. Il nous a fallu redéfinir tout le projet de recherche : recadrage du sujet, prises de contact, données relatives au terrain. Tout cela s'est fait non sans quelques errements parce que notre détermination de départ a été quelque peu entamée. Au niveau de la recherche proprement dite, malgré toute notre volonté de faire un travail de grande qualité et toutes les précautions méthodologiques que nous avons prises à cet effet, nous savons que cette étude est perfectible. La complexité du phénomène étudié, l'impossibilité pour nous d'appréhender tous les contours de l'organisation et des pratiques marchandes des commerçantes exigent que nous nous gardons de tirer des conclusions définitives et absolues. Tout travail scientifique s'enrichit par des remises en cause et des dépassements. Ce travail ne constitue pas une exception de ce point de vue. Au-delà de cette modeste contribution à l'éclairage du système d'organisation du commerce des produits vivriers par le biais des coopératives féminines de la ville d'Abidjan, bien entendu, la piste reste ouverte pour des études plus poussées. Qu'on ne cherche donc pas dans celle-ci une explication définitive du dispositif organisationnel et des pratiques marchandes des commerçantes, mais seulement une esquisse, et peut-être une introduction à une explication de ceux-ci. Dans l'ensemble, l'étude s'est limitée à un champ restreint (deux coopératives officielles et une coopérative informelle) et a mis l'accent sur une approche essentiellement qualitative. De ce point de vue, il peut nous être reproché l'impossibilité d'une généralisation des résultats et une absence ou une insuffisance de faits quantitatifs à même de fournir des données précises sur l'activité économique des commerçantes. En fait, nous avons fait le constat que la plupart des études consacrées à cette question sont restées dans la quantification et la généralisation tout en légitimant le discours économique dominant. Or tout montre qu'à partir d'une activité qualifiée d'informelle ou d'inorganisée, des femmes en majorité illettrées parviennent à se positionner dans un environnement où la bureaucratie et la logique capitaliste tentent, petit à petit, de recouvrir toutes les sphères de la vie sociale. Il nous a donc semblé pertinent de privilégier une approche qualitative qui met l'accent sur les pratiques et les ressources qui confèrent de l'efficacité aux commerçantes dans les échanges dans un contexte marqué par d'importantes mutations aussi bien au niveau de l'économie que des institutions qui la portent. En outre, par rapport aux sources documentaires, la marginalisation des coopératives féminines dans les politiques économiques n'a pas facilité notre tâche dans l'analyse de l'évolution du mode d'organisation des commerçantes. Nous n'avons donc pas pu éviter de nous en tenir le plus souvent aux récits des femmes elles-mêmes. De plus, l'impossibilité de disposer de données fiables sur les réseaux de commercialisation des femmes au niveau de l'Office de Commercialisation des Produits Vivriers de Côte d'Ivoire (OCPV) a été un handicap pour nous dans la collecte des informations et certainement dans les analyses effectuées. Enfin, la pratique du terrain a souvent été très pénible. A Abobo le contact avec les commerçantes et notre acceptation ont été moins difficiles. A Adjamé-Roxi en revanche, la procédure de négociation a été longue. Jusqu'en juillet 2004, nous n'avions pas encore mené de véritables enquêtes sur ce marché. En dehors de quelques informations recueillies çà et là avec quelques collecteurs, il nous a fallu procéder à de longues négociations et user de patience. Des proches collaborateurs de la Présidente de la coopérative d'Adjamé-Roxi (en particulier son Chargé de mission) ont voulu même connaître le contenu des guides d'entretien avant de donner leur autorisation pour les enquêtes. Il nous a aussi été demandé de ne pas nous intéresser à toutes les questions relatives aux ressources financières de la coopérative. Nous n'avons pas pu accéder aux documents administratifs. Nous avons compris à travers la méfiance des commerçantes d'Adjamé-Roxi qu'il y a sûrement plus de chance à faire des analyses impertinentes si l'on veut s'atteler à chiffrer ce qu'elles gagnent. C'est en remontant dans le réseau de parenté de la Présidente que nous avons pu débuter réellement les enquêtes avec les commerçantes d'Adjamé-Roxi. Les informations préliminaires fournies par des collecteurs (qui ont aussi des liens de parenté avec des commerçantes) nous ont été utiles à cet effet. Notre première interlocutrice a été la Secrétaire qui est en même temps la nièce de la Présidente. Par son canal, nous avons eu la possibilité de faire avancer l'étude sans grands heurts. L'autre difficulté a été l'incessante mobilité des commerçantes de produits vivriers. A cause des occupations quotidiennes liées à leur activité marchande, les séances d'entretien étaient le plus souvent reportées. Nous avons tout même profité de ces reports pour faire, parfois, des observations sur les marchés. En définitive, nous ne pouvons prétendre avoir épuisé ce sujet. Les observations de nos juges et de nos critiques pourront certainement nous aider à combler nos lacunes et à explorer de nouvelles pistes dans le cadre des recherches futures. X. Plan de rédaction de la thèse La thèse est organisée en trois grandes parties subdivisées en trois chapitres chacune. La première partie traite du système coopératif et des organisations coopératives dans les politiques de développement de la Côte d'Ivoire de l'époque coloniale à l'indépendance. Nous y analysons les politiques économiques, les évolutions et le rôle joué par les coopératives. Ce qui nous permet de nous intéresser à la place des coopératives féminines et d'analyser les raisons de leur marginalisation dans les politiques de développement de la Côte d'Ivoire. Cette partie s'achève par la mise en question de l'efficacité des organisations coopératives. Dans la deuxième instance de la thèse nous présentons la nouvelle loi coopérative en mettant en exergue ses principales caractéristiques, ses points de convergence et de divergence avec les anciennes lois. Mais la mise en place de cette loi étant intervenue dans le contexte de libéralisation et du désengagement de l'Etat des activités économiques, nous analysons d'abord ce contexte ainsi que ses implications dans l'organisation des secteurs des produits d'exportation et des produits vivriers.
Dans la dernière partie de la thèse, nous analysons le système d'organisation des commerçantes et leurs pratiques marchandes. Nous nous intéressons aux changements et aux permanences dans le contexte de la nouvelle loi coopérative. Il s'agit ici, de tenter d'apporter des réponses à quelques préoccupations essentielles. Par exemple, quelles perceptions les commerçantes ont-elles de la nouvelle loi coopérative ? La nouvelle loi coopérative modifie t-elle les fondements du mode d'organisation des commerçantes ? Les innovations qu'elle apporte se sont-elles substituées aux compétences et savoir-faire pratiques des commerçantes ? Répondent-elles aux besoins réels des commerçantes dans l'exercice de leurs activités ?
PREMIERE PARTIE : LE SYSTEME COOPERATIF ET LES ORGANISATIONS COOPERATIVES DANS LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT DE LA COTE D'IVOIRE * 1 Nous analysons cet aspect dans le chapitre premier de la première partie de la thèse. Nous mettons en exergue la différence entre le secteur des produits vivriers et celui des principaux produits d'exportation au niveau des investissements. * 2 En vigueur dans les anciens textes de lois, l'étape pré-coopérative stipule que pendant une période de un an au minimum et de trois au maximum, toute association constituée est d'abord un Groupement à Vocation Coopérative (GVC). Après cette période probatoire, le GVC peut, s'il remplit les conditions, devenir une véritable coopérative. * 3 Ildefonse Ndabalishye a été agronome et spécialiste de Recherche-Développement à l'ex-Institut des Savanes (IDESSA) aujourd'hui Centre National de Recherche Agronomique (CNRA). * 4 Du fait de la crise économique, les investissements en matière d'infrastructures routières ont considérablement baissés et les routes se sont beaucoup dégradées. Néanmoins, le réseau routier ivoirien était considéré comme l'un des meilleurs d'Afrique. Jusqu'en 1992, on notait 143 km d'autoroutes, 5147 km de routes revêtues, 8569 km de routes non revêtues et 54 182 km de pistes (Plan quinquennal 1981-1985, Tome 2 :485 et A. Echui, 1993 :78). * 5 Déjà en 1993, une étude du Ministère de la Famille et de la Promotion de la Femme (MFPF) indiquait que sur un volume d'environ 143 000 tonnes de produits vivriers commercialisés pour une valeur marchande de 5 milliards de francs CFA, plus de 40% passent par le canal des groupements féminins, pour une valeur marchande estimée à plus de 2 milliards de francs CFA. * 6 Selon les mêmes sources, les femmes occupent environ 70% de la filière de commercialisation des produits vivriers ; 60% pour la distribution par les grossistes et 90% pour le marché de détail. * 7 L'approche par les règles est développée est basée sur l'idée selon laquelle c'est moins le respect des règles que leur production qui constitue le ressort principal des organisations humaines. * 8 L'école des conventions met l'accent sur les accords informels ou implicites que produisent les acteurs sociaux pour permettre le déroulement de l'action collective. * 9 L'analyse par le capital social porte son attention sur les réseaux sociaux, les ressources mobilisables ou mobilisées dans les relations ou les échanges entre les acteurs. Les réseaux sociaux, les ressources qui sont accessibles à l'intérieur d'eux, le contenu des liens sociaux, le sentiment d'obligation, les valeurs sont les composantes du capital social. |
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