Compatibilité du régionalisme et du multilatéralismeĀ : le cas de l'ALENA( Télécharger le fichier original )par Benoit ILLINGER Université Pierre Mendès France (Grenoble II Sciences Sociales) - Maà®trise Sciences économique Mention économie et Gestion des Entreprises 2001 |
2.2 ALÉNA : Accord concurrent ?Les trois points qu'on pourrait reprocher à l'accord nord-américain de libre-échange d'être la source du déclin du GATT sont les suivants : Premièrement, en mettant l'accent sur le libre-échange régional, les États-Unis (et ses partenaires dans une moindre mesure) ont détourné leurs énergies politiques de la recherche de solution aux problèmes du GATT. De plus l'ALÉNA peut dans un certain sens aller jusqu'à bloquer la volonté politique multilatérale. Le sondage Harris démontre au moment de sa publication que l'opinion publique américaine désigne la main d'oeuvre étrangère bon marché comme la première menace de la stabilité des emplois domestiques. Ainsi l'ALENA, en ouvrant le marché américain à la concurrence de la main d'oeuvre mexicaine, a sérieusement compromis la capacité des États-Unis à jouer le rôle de locomotive dans la libéralisation des échanges mondiaux. Les syndicats semblent décidés à exploiter au maximum cette situation pour discréditer l'effet bénéfique du libre échange101(*). Ainsi les autorités se retrouvent bloquées dans leurs démarches libérales à l'échelle mondiale. Deuxièmement, si les États-Unis s'étaient engagés à travailler dans le cadre multilatéral, ils auraient pu trouver une solution aux difficultés du GATT, qui aurait donné de meilleurs résultats que les réalisations locales auxquelles ils se sont consacrés. Troisièmement, l'ALÉNA provoque des détournements de commerce. et va donc à l'encontre des principes du GATT. Dans le cas précis de l'ALENA les effets de détournement des échanges sont différents selon les pays. Ils ne sont probablement pas très conséquents pour le leader régional. En effet, les tarifs douaniers moyens appliqués aux importations mexicaines aux États-Unis n'ont jamais été très élevés. Par contre comme les droits appliqués par le Mexique sur les produits américains étaient, avant 1994, relativement élevés, il semble plus probable que le Mexique soit exposé à des pertes dues au détournement des échanges102(*). A ce sujet, dans une étude publiée par le CEPII en 1995103(*), Lionel Fontagné démontre économetriquement que la clause du contenu local de l'ALENA n'est pas efficace au sens de Pareto car elle impose une substitution d'importations intermédiaires qui est sans équivoque un détournement de commerce. On retrouve des conclusions similaires chez Lopez de Silanes, Markusen et Rutherford (1994) simulant les effets sectoriels potentiels de ces clauses discriminantes de l'ALENA. Ainsi en montrant les avantages d'aller à contre sens des principes du GATT, l'ALÉNA a pu contribuer à son déclin relatif. Pourtant, il semble que ces critiques ne représentent pas des raisons valables au ralentissement des accords multilatéraux du GATT. C'est pourquoi nous allons revoir ces trois points. La première proposition ne semble pas contestable. L'accord a réellement détourné des négociations multilatérales une part du capital politique, administratif et intellectuel des pays en cause. Il a aussi et surtout réduit l'impression d'urgence avec laquelle les négociations multilatérales doivent être menées puisqu'on trouve une solution de second rang plus rapide et facile à atteindre. Pourtant La position officielle des États-Unis est évidemment gradualiste. M. Stuart Einzenstat, ministre adjoint du commerce des États-Unis, au cours d'un entretient accordé à un journaliste de l'USIA104(*) affirmait clairement que les accords commerciaux régionaux ne menacent pas le système multilatéral mais le renforce : « Le gouvernement Clinton est très partisan du système multilatéral ; il donne sa préférence à l'Organisation mondiale du commerce pour des négociations qui aboutissent à des accords ayant force exécutoire. Toutefois, étant donné le nombre de pays en jeu, le système multilatéral doit être complété par des accords régionaux à condition que ces derniers soient compatibles avec les règles de l'OMC, avec la pratique de ce que j'appelle le régionalisme ouvert, c'est à dire des accords qui ne dressent pas de nouveaux obstacles au commerce. (...) Les accords régionaux devraient renforcer le système multilatéral et non pas le menacer. S'ils sont conformes aux règles de l'OMC, ils peuvent établir des règles plus strictes pour le système multilatéral et par conséquent le stimuler. Ainsi l'ALENA sert-il de stimulant parce que, non seulement il élimine les droits de douane, mais il réduit aussi les obstacles au commerce dans le secteur des services et aux investissements étrangers, et il présente un effort sincère d'intégration régionale.» Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter sur le fait que les États-Unis puissent abandonner le multilatéralisme pour l'ALÉNA. On peut juste lui reprocher de limiter les forces déployées pour les démarches multilatérales. La seconde proposition semble fortement erronée. Les difficultés rencontrées au niveau multilatéral, comme nous l'avons vu sont profondes ; il est difficile de penser une solution au niveau mondial qui puisse atteindre les réalisations atteintes en quelques années avec l'ALÉNA. La troisième proposition est un argument théorique qui a été exposé dans la première partie. Nous avons alors montré qu'il ne semblait pas pertinent. Il existe encore un argument qui démontre qu'effectivement l'apparition de l'ALÉNA n'est pas une cause du déclin relatif du GATT. En effet, Christian Deblock et Dorval Brunelle pensent que : « Le projet de libre-échange nord-américain est résolument tourné vers l'extérieur et amplement motivé par des considérations régionales de sécurité économique que vient exacerber une vulnérabilité extérieure croissante 105(*)» Mais ils admettent tout de même, juste avant que l'ALÉNA ne soit officiellement lancé que « (...) le scénario selon lequel le projet de libre-échange (régional) pourrait conduire, par dérapage, à la formation d'un bloc économique nord-américain, reste un scénario tout à fait plausible dans le contexte de polycentrisme et de triangularisation des échanges internationaux ». La notion de bloc fait ici référence au processus de partition de l'espace économique mondial qui pourrait résulter d'ententes économiques régionales ou de formes particulières d'intégration dans une région donnée du monde106(*). Il existe donc bien un doute au moment de la signature de l'Accord à propos de l'évolution que peuvent prendre les négociations multilatérales lorsque le monde est régit par des blocs rivaux. Mais il semble que la thèse du polycentrisme se soit effritée ou n'ait jamais eut de réelles raisons d'exister pour au moins trois raisons : tout d'abord aux vues du regain de dynamisme de l'économie américaine et surtout aux vues du déclin relatif du Japon et de la non-ampleur que prend la monnaie européenne (signe que l'hégémonie du dollar et des États-Unis est loin de se faire concurrencer), il n'y a pas lieu de remettre en cause le fait que seul les États-Unis jouent en premier plan ; Ensuite car leur leadership au sein des institutions internationales est par carence des autres grandes puissances économiques, peu contesté ; Et enfin car leur économie a, depuis toujours, une vocation beaucoup plus mondialiste107(*) que ses concurrents. * 101Les Échos on-line, ALENA : un pas dans la mauvaise direction ?, Article 11 9. www.lesechos.fr (07/07/01) * 102 Les Échos on-line, ALENA : Un pas dans la mauvaise direction ?, Article 11 9. www.lesechos.fr (07/07/01) * 103 L. FONTAGNE (1995) Why NAFTA might Be Discriminatory, CEPII, Document de travail n°95-12. * 104 Perspectives économiques, revues électroniques de l'USIA (1996) Les accords commerciaux régionaux renforcent le système multilatéral, entretient avec M. Stuart Eizenstat, volume 1, n°16, novembre. ( http:// usinfo.state.gov/journals/ites/1196/ijef/frej4eiz.htm - (09/07/01) * 105 Cette situation est issue d'un texte datant d'avant la signature de l'Accord (Christian DEBLOCK et Dorval BRUNELLE (1993) Une intégration régionale stratégique : le cas nord-américain, Études Internationales, vol. XXIV, n°3, septembre. ) Mais les auteurs gardent dans des textes plus récents des convictions semblables (notamment dans Christian DEBLOCK et Dorval BRUNELLE (1998) Les États-Unis et le régionalisme économique dans les Amériques, revue études internationales, volume XXIX, n°2, juin.) * 106 Ernest PREEG est le premier auteur à avoir utilisé ce terme (d'après DEBLOCK et BRUNELLE). * 107 Les donnés statistiques relatives à la répartition des intérêts américains dans le monde montrent que ceux-ci sont mieux équilibrés que ceux du Japon et de l'Allemagne et ceci même avant la signature de l'ALENA (Cf. annexe 2) |
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