Compatibilité du régionalisme et du multilatéralismeĀ : le cas de l'ALENA( Télécharger le fichier original )par Benoit ILLINGER Université Pierre Mendès France (Grenoble II Sciences Sociales) - Maà®trise Sciences économique Mention économie et Gestion des Entreprises 2001 |
CHAPITRE 1 CHAPITRE 1 Régionalisme et multilatéralisme : Des dynamiques opposées ?L'intégration régionale lie des pays proches ayant des flux de commerce importants. Les accords passés favorisent encore plus le commerce régional mais aussi engendrent une intensification des flux d'investissement direct, de capitaux financiers... Une pression s'exerce alors pour stabiliser les taux de change. On recherche des changes fixes ou à aller comme en Europe jusqu'à l'Union monétaire. Les intégrations régionales se multiplient depuis la fin des années 198021(*) : en Amérique du Sud apparaît le MERCOSUR, en Asie l'ASEAN et autour des États-Unis, l'ALENA. Certains voient dans ce mouvement une opposition ou une alternative à la dynamique de la mondialisation, une échappatoire à une évolution dominée par les États-Unis. D'autres, à l'opposé, pensent déceler dans ces accords régionaux une démarche libérale22(*) qui est partie intégrante de la mondialisation et qui n'est donc pas contraire aux démarches multilatérales,. L'analyse économique n'admet pas que la voie de l'intégration régionale procure un bien-être général égal ou supérieur à celui atteint par un libre échange mondial non discriminatoire. Au mieux certaines théories admettront que le régionalisme puissent élever le bien-être de ses participants ou même du monde mais se sera toujours un optimum de second rang. Pourtant on constate que les États nations se dirigent presque tous dans cette voie du régionalisme. Les responsables politiques sont optimistes alors que la majorité des économistes académiques n'estiment pas cette orientation viable si elle ne conduit pas, peu à peu, au libre-échange mondial. A ce propos Gérald KEBABDJIAN23(*) s'est interrogé sur la question: « La question est de savoir si cette régionalisation qui progresse dans le monde depuis une dizaine d'années exprime un repli qui s'oppose à la globalisation ou au contraire constitue une composante de la mondialisation. » L'idée est donc de savoir si la dynamique de régionalisation est opposée ou non à la tendance de la globalisation qui est multilatérale. Nous verrons dans un premier temps, pour appréhender correctement le problème, la théorie classique des arrangements régionaux puis nous verrons l'orientation du débat contemporain entre ceux qui voient une opposition entre ces deux dynamiques et les partisans d'une vision gradualiste des accords régionaux. SECTION 1 Accords d'intégration régionale dans la théorie standardHistoriquement les accords d'intégration régionale ont été considérés longtemps comme des accords de libre échange. Par exemple la volonté « libre échangiste » du XIXème siècle est souvent illustrée dans les ouvrages généralistes, par l'accord Cobden-Chevalier24(*) qui n'est autre qu'un accord commercial préférentiel entre pays voisins. Par la suite, conséquemment à la crise des années 1930, les grandes puissances se sont repliées sur leurs empires coloniaux en passant, dans un certain nombre de cas, des accords préférentiels. Cette « hérésie » fut dénoncée dans l'après-guerre par le multilatéralisme affirmé par les accords de Bretton Woods de 1944 puis par la clause de la nation la plus favorisée (NPF) du GATT. A cette époque, il fallait empêcher les pays de renouer avec les accords préférentiels. Mais la guerre froide, en projetant une menace communiste sur l'Europe, permettra aux accords de libre-échange et d'union douanière de subsister en les insérant dans une clause d'exception : L'article XXIV du GATT25(*). Pourtant, c'est à cette époque que se développa la théorie de l'intégration commerciale dite « moderne » qui affirmait que du fait de leur caractère préférentiel et donc discriminatoire les accords régionaux de libre-échange étaient néfastes pour le reste du monde. Elle allait même jusqu'à assurer que l'amélioration de la zone qui se formait n'était pas certaine. L'analyse économique tirait ces conclusions car elle s'est en premier lieu attachée à définir les effets statiques des accords de commerce régionaux sur le bien-être général, c'est à dire leur impact sur le niveau de richesse (1.1) Mais, plus tard, on a formalisé le fait que les accords de commerce régionaux pouvaient provoquer également des effets dynamiques (1.2), c'est à dire des effets qui n'influent pas une fois pour toutes sur le niveau de bien-être mais qui provoquent durablement un changement de rythme de croissance, ce qui pouvait changer les conclusions quant aux conséquences des accords de commerce régionaux. Mais les espoirs de la nouvelle économie internationale étaient à nuancer ( 1.3) 1.1 Effets statiques -Création et détournement de commerce (VINER 1950)-En 1950, une analyse devenue classique, le modèle de Jacob Viner, démontra que les accords entre nations voisines26(*) en plus d'être « créateurs » de commerce à l'intérieur des zones, engendraient des « destructions » de commerce. Cette remarque de Viner est toujours à la base de l'analyse critique des accords de commerce préférentiels. Elle vaut donc la peine d'être exposée pour comprendre les débats. Le modèle de Viner repose sur la théorie conventionnelle des avantages comparatifs qui justifient le libre échange par le gain des consommateurs : les importations poussent les économies à se spécialiser et donc, la spécialisation engendrant la compétitivité, à commencer à exporter. La balance entre importations et exportations s'étant équilibrée, il ne reste du libre-échange qu'une baisse générale des prix bénéficiant à tous les consommateurs quelque soit leurs pays d'origine. Et plus il y a de sources d'approvisionnement, plus le pays se spécialisera et donc plus ces gains seront importants. Appliqué à une comparaison entre une situation initiale de protection générale du marché et une situation d'union douanière, le modèle démontre deux points importants : Premièrement, les zones de libre échange seront toujours moins efficaces au niveau économique que le libre-échange mondial. En effet, intuitivement si l'on compare les gains pour les consommateurs d'un échange sans entrave à deux et donc d'une spécialisation limitée, ils seront moindres que dans le cas d'échange sans entrave entre tous les pays et avec une spécialisation accrue. Deuxièmement, Viner affirme que l'issue d'une Union douanière est incertaine car les effets de « détournement de commerce » peuvent être équivalents ou supérieurs aux « créations ». Il entend par création de commerce, le fait que l'on passe à une source d'approvisionnement dont le coût est moindre, suite à la suppression des droits de douanes entre deux États dans le cadre d'accords préférentiel. Alors que le détournement des échanges signifie que l'accord a incité les pays à se fournir, non plus auprès de pays non-membre compétitif mais auprès de pays membres moins efficaces. Ces pays sont « choisi » car leur prix est moindre consécutivement aux différences de taxation douanière. Le détournement des courants d'échange est donc globalement une dégradation des termes de l'échange due au changement des sources d'approvisionnements. Donc selon ces définitions, l'accord de commerce régional va pouvoir engendrer deux situations différentes : - Si au niveau des blocs régionaux, les échanges supplémentaires qui ont lieu constituent, en majorité, une création de commerce (il y a prédominance de la création sur le détournement) alors, ou l'un des membres du groupe doit en tirer profit, ou les deux peuvent en tirer profit. Globalement le groupe d'une part et le monde entier d'autre part dégage un bénéfice net. Mais le reste du monde y perd. - Par contre, dans l'autre situation où au niveau des blocs régionaux, les échanges supplémentaires qui ont lieu ne sont pas créateurs de commerce mais remplacent plutôt un commerce existant au détriment de pays extérieurs au bloc (détournement de commerce), on constate que l'efficacité économique dans le monde diminue. De plus Viner nous montre que dans ce cas l'établissement du libre-échange entre les deux nations conservant une protection douanière à l'égard des autres pays, c'est à dire provocant en général des détournements conséquents, peut appauvrir ces mêmes nations prises globalement au lieu de les enrichir. En effet, la conclusion de Viner est sans appel : « Si le détournement des courants d'échanges est prédominant, l'un des membres au moins, y perds forcément, les deux pris ensemble auront une perte nette, et le reste du monde ainsi que le monde tout entier y perdront »27(*) Des modèles de structure plus complexe et portant sur un plus grand nombre de produits ont été construits, et on a pu constater que la réalisation d'un accord commercial régional a un certain nombre d'autres conséquences qui peuvent l'emporter sur le détournement des courants d'échanges. Meade28(*), par exemple, quelques années plus tard a complexifié cette analyse en y incluant des effets de consommation. A partir de là, il conclut que même un détournement des échanges est avantageux pour le consommateur qui bénéficie de produits à moindre prix. Il existe donc une certaine ambiguïté quant à la conclusion de l'analyse en termes d'effets statiques. C'est pourquoi l'analyse en terme dynamique devient incontournable. Elle montre qu'il existe des effets qui n'influent pas une fois pour toutes sur le niveau de bien-être mais provoquent un changement durable du rythme de croissance. * 21 Voir annexe 3 * 22 L'adjectif « libéral » associé aux accords d'intégration régionale ne semble néanmoins pas approprié car la théorie de l'économie internationale ne considère pas que la régionalisation puisse atteindre l'optimum Parétien. Par sa définition même l'accord régional est préférentiel, donc discriminant à l'encontre des pays non-membre. Ainsi on ne pourra qu'atteindre, au mieux, un optimum de second rang. * 23 KEBABDJIAN G. (1998) Analyse économique et mondialisation : six débats, Cahier du GEMDEV, n°26, juin. * 24 L'accord Cobden-Chevalier de 1860 est un accord de libre-échange entre la France et l'Angleterre. Dans un ouvrage généraliste comme l'encyclopédie hachette sur Cdrom, on note que cet accord fut « le couronnement de la croisade pour le libre-échange » de Richard Cobden (1804-1865). * 25 Nous verrons cet article plus en détails dans la suite de ce travail. Voir également l'annexe 6 à ce sujet. * 26 Parmi les différentes formes d'intégration régionale, Viner a étudié les unions douanières comme le firent plus tard la majorité des économistes. * 27 VINER (1950) The custom unions Issu, New York : Carnegie Endowment for international Peace, p. 44 in P.J. LLOYD (1992), Régionalisation et commerce mondiale, Revue économique de l'OCDE, N°18, printemps. * 28 MEADE J. (1955) The theorie of custom unions, Amsterdam, North Holland in P.J. LLOYD (1992), Régionalisation et commerce mondiale, Revue économique de l'OCDE, N°18, printemps. |
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