4. Bilan critique.
4.1 Ce que le stage m'a
apporté au niveau personnel.
Au moment de l'écriture de ce rapport je me trouve
toujours en Inde il est donc fortement probable que je ne réalise pas
encore entièrement ce que ce voyage m'as vraiment apporté, mais
il est certain que je ne verrais plus les choses du même oeil
qu'auparavant. J'ai déjà eu l'occasion de voir ce que c'est de
vivre dans un pays différent de mon pays d'origine mais les deux
expériences sont quasi incomparables pour plusieurs raisons. Quand je
suis allée en France j'étais très jeune, incertaine de moi
même et de ce que l'avenir pourrait me réserver mais la même
curiosité m'habitait qu'aujourd'hui, malgré le fait qu'à
l'époque j'étais un enfant et aujourd'hui je suis une jeune
adulte en fin d'étude et en début de carrière. La nuit
précédent mon voyage en Inde, je l'ai passé à
l'aéroport ou j'ai rencontré un steward danois et qui m'a dit que
si je survis à l'Inde je survivrais à tout! Effectivement j'avoue
que je me demande comment j'aurais réagi si j'avais du faire ce voyage
à mes 20 ans. Il ne s'agit pas d'une survie physique proprement dite
bien sûr mais il s'agit définitivement de la survie, ou plus
tôt de la disparition, de tout un ensemble de préjugés qui
était la mienne et qui a été profondément
bouleversé.
Tous les voyageurs qui ont atteint l'Inde sont d'accord pour
dire qu'il est le pays des paradoxes par excellence et je ne peux ne pas
être d'accord. Aucune des logiques auxquelles j'étais
habituée ne fonctionnent ici. On va de surprises en surprises
constamment qu'elles soient mauvaises ou bonnes. La seule règle en Inde
c'est qu'il n'y a pas de règle, ou la seule chose prévisible est
que tout est imprévisible avec les bons et les mauvais cotés que
cela implique. On dit qu'après un voyage en Inde ceux qui sont patients
deviennent impatients et ceux qui sont impatients deviennent patients! Moi je
crois que je suis passée par toutes les phases: le premier mois
c'était l'euphorie, le deuxième j'ai commencé à
ouvrir mes yeux, le troisième j'étais en colère, le
quatrième j'étais déprimé et j'avais envie de
repartir, le cinquième mois je me suis dit que finalement j'aimerais
bien rester encore un peu...J'ai dépassé la quatrième
phase après avoir fait la liste des choses que je détestais et
que je ne pouvais pas changer en me rendant ainsi compte que je n'ai que deux
possibilités, celle de la fuite ou celle de l'adaptation. Une fois de
plus j'ai choisi l'adaptation parce qu'une fois de plus je me suis rendu compte
qu'il n'y a pas d'expérience plus enrichissante que les voyages. On peut
lire des millions de livres, regarder des centaines de films, faire des longues
années d'études, jamais on aura la perception de choses auquel le
voyage nous donne accès.
Une de mes grandes questions avant de partir était de
savoir comment les gens appliquent ces magnifiques ensembles de pensées
que sont l'hindouisme et le bouddhisme. J'ai lu de nombreux livres sur les deux
et je les concevais plus comme des philosophies que comme des religions,
démarche intellectuelle facile, bien sur, sans aucune expérience
de terrain. D'après ce que j'ai vu, aujourd'hui je sais que ce sont des
religions comme les autres, composées de la philosophie originale et des
différentes interprétations dont ils ont fait l'objet au cours
des siècles. Ce qui me séduisait le plus dans leurs
théories c'était l'impression d'une liberté totale de
pensée et donc de discussion, de remise en cause. Mais après de
nombreuses discussions avec mes collègues, des amis et des voyageurs je
me rends compte que toutes les religions et philosophies deviennent ce que les
gens en font. Elles peuvent devenir le moteur des terroristes ou les
règles de base d'une attitude pacifique envers la vie en toutes
circonstances. Elles peuvent justifier une remise en question
perpétuelle ou une acceptation fatidique des événements.
Elles peuvent être à l'origine de progrès ou de stagnation.
Comme ce ne sont pas les pensées d'une personne qui la
définissent mais ces actes, ce n'est pas la religion d'un peuple qui la
définit mais leur système de fonctionnement
général. On peut avoir une religion aussi belle que l'hindouisme
et vivre selon l'intolérable système des castes. On peut avoir
une philosophie de vie aussi évolué que le bouddhisme et
ressentir du mépris envers le peuple qui nous a accueillis. Une des
choses qui m'as le plus choqué était lorsque ma logeuse
tibétaine m'a fait savoir que je ne pourrais pas accueillir mes amis
indiens parce qu'elle n'aime pas les indiens. Après enquête je me
suis rendu compte que c'est un sentiment qui est partagé par beaucoup de
tibétains. Cela m'a profondément déçue et j'ai
essayé de comprendre pourquoi un peuple qui a fuit la répression
d'un régime autoritaire traite avec ingratitude ceux qui l'ont
accueilli.
En fait la situation est très complexe. Même si
le gouvernement tibétain n'est reconnu par aucun pays, la cause
tibétaine bénéficie d'une attention internationale hors du
commun qui se traduit notamment par un important soutient financier. Ainsi la
plupart des communautés tibétaines en exil sont bien plus riches
que les populations locales indiennes. Ceci est particulièrement vrai
pour Dharamsala ou la plupart des touristes viennent parce que c'est la
résidence du Dalai Lama ce qui assure une activité touristique
conséquente pour les commerçants et qui en l'occurrence sont
majoritairement les tibétains. Ainsi dans la plupart des restaurants et
commerces les propriétaires sont des tibétains et les
employés des indiens. Cette situation a conduit inéluctablement
à une certaine jalousie de la part des locaux et qui a plusieurs fois
explosé sous forme de violentes confrontations. En 1994, après le
meurtre d'un indien par un tibétain, il y a eu une insurrection
générale contre les biens des tibétains, qui suite
à cela, ont refusé d'employer et de faire du commerce avec la
communauté indienne. Une fois que les choses se sont calmées les
deux communautés se sont de nouveau rapprochées puisqu'ils ont
réciproquement besoin de travailler ensemble.
Aujourd'hui, d'après mes impressions, les deux
communautés vivent ensemble d'une manière
généralement pacifique mais avec des sentiments
réciproques très complexes. Ainsi j'ai pu voir de belles
amitiés indo-tibétaines en même temps que ma logeuse m'a
strictement interdit d'amener des indiens dans sa maison et en même temps
qu'un patron de restaurant indien me mettait en garde contre certain des
garçons tibétains qui considèrent le mariage avec une
occidentale comme le passeport vers un avenir plus prometteur. Aujourd'hui,
après la déception et la colère, je crois que c'est avec
plus de compréhension que j'arrive à considérer cette
situation. Les deux sociétés sont dans un processus de changement
très intense pour à la fois des raisons très
différentes et très semblables. Les indiens sont chez eux tandis
que les tibétains en exil sont des réfugiés sans pays mais
les deux sont dans la difficile période d'apprentissage de la
démocratie avec des moyens et des buts différents.
L'Inde a toujours été décrite comme un
pays impressionnant mais je crois que ce qui la rend encore plus fascinante
aujourd'hui c'est qu'elle est pleine mutation de tous les points de vue et
à des vitesses complètement différentes. Je n'ai
malheureusement pas rencontré autant d'indiens que j'aurais voulu du
fait de la particularité de l'endroit, mais à chaque rencontre
j'ai entendu des histoires contradictoires. Ainsi pour le militaire
retraité que j'ai rencontré dans le train en allant à
Agra, il n'y a aucun obstacle à un mariage interreligieux. Pour le jeune
guide touristique c'était la différence de religion qui l'a
empêché de faire partie définitivement de la famille de sa
dulcinée dans la même période qu'avec son groupe d'amis ont
comploté la fuite et le mariage d'autres compagnons. Pour l'amie qui m'a
accueillie à Delhi, une intellectuelle et femme d'affaires, il n'y a
aucun obstacle à ce que n'importe quelle femme indienne devienne la
prochaine Indira Ghandi en même temps que la majorité des
illettrés en Inde sont des femmes.
Moi en tant que femme, je ne me suis à aucun moment
sentie en danger, mais je me suis de manière quasi-permanente sentie
comme une espèce de gibier sous le regard des hommes, surtout indiens.
Il y a bien sur des exceptions, mais j'ai l'impression que la grande
majorité des hommes indiens et tibétains appliquent le mythe de
la femme occidentale facile à toutes les femmes de couleur blanche.
D'ailleurs les vidéos clips musicaux indiens sont très
révélateurs de cet état d'esprit: beaucoup d'entre eux
sont peuplés majoritairement des femmes s'habillant et dansant d'une
manière extrêmement provocatrice, mais les seules qui peuvent
être touchées se sont les occidentales. Quelque soit la
manière de danser, jamais un des danseurs ou des chanteurs vas toucher
la femme indienne. Une philosophie qui se traduit parfaitement dans la vie
quotidienne dans leur regard sur les femmes blanches. C'est un regard qui est
très lourd à porter d'autant plus qu'il est impossible de leur
expliquer que dans la société d'ou on vient le mariage n'est plus
la forme suprême du couple contrairement à la leur ou c'est une
obligation sacrée et imposée par la famille. Apparemment 80% des
mariages sont encore des mariages arrangés. Ce qui est
intéressant à noter par contre c'est qu'ils n'ont que 4 ou 5% de
divorce. Mais ca serait une interprétation hâtive de croire que
les mariages arrangés rendent plus heureux ou marchent mieux. En effet
la pression sociale et familiale est extrêmement forte et j'ai
constaté avec stupéfaction qu'un père de famille refuse
d'aller contre la volonté de son père même si cela est son
plus fort désir. Par contre il y a toujours des exceptions, et les
moeurs et les attitudes diffèrent énormément selon les
régions, les classes de société ou selon les familles.
En tout cas du peu que j'ai vu et entendu je comprends mieux
pourquoi la conception occidentale des droits de l'homme ne peut pas
s'appliquer telle qu'elle à ce genre de société puisque
même si les droits de l'homme contiennent une partie importante de droits
collectifs, ils restent tout de même fondés sur les droits de
l'être humain en tant qu'individu. Alors comment pourrait-on l'appliquer
à une société ou l'individu n'existe que par et pour la
communauté? Il serait également une utopie de croire que le
concept de la démocratie peut fonctionner de la même
manière dans un pays d'un milliard d'habitants que dans un autre de 60
millions ou que dans une communauté restreinte qui tente de passer
directement d'un système théocratique à la
démocratie.
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