La protection de l'enfant vidomegon au Bénin : mythe ou réalité ?( Télécharger le fichier original )par Hospice Bienvenu HOUNYOTON Université catholique de Lyon / UPMF Grenoble - Master 2 recherche 2009 |
Paragraphe 2- La dérive du Vì?ómåg?'n et la fragilisation des enfants placésLa dérive du Vì?ómåg?'n est une situation qui fragilise énormément les enfants placés. Cette fragilisation se caractérise par l'analphabétisme et une dégradation sanitaire. Ce sont également des enfants abandonnés oubliés par les pouvoirs publics d'où l'importance d'analyser les maux dont ils souffrent à travers cette sous-section. 1- Éducation et santé des Vì?ómåg?'nLe Vì?ómåg?'n, cette vieille et forte tradition qui perdure dans la société béninoise, est détournée de son but initial et se caractérise par la violation des droits et des libertés des enfants placés. La violation des droits et libertés des enfants traduit une certaine fragilisation des enfants confiés. Aujourd'hui encore deux tiers des enfants placés sont des filles. Une enquête menée en 1999 par ESAM, sur un échantillon de 138 personnes victimes de la traite, dénombrait 96 enfants constitués principalement des jeunes filles65(*). En dépit de leur diversité ethnique comme le renseigne l'enquête, ces enfants présentent des caractéristiques sur le plan de l'éducation. La quasi-totalité des Vì?ómåg?'n n'ont pas un niveau d'instruction suffisant pour pouvoir se défendre. Malgré tous les progrès réalisés par le Bénin ces dix dernières années, la grande majorité des Vì?ómåg?'n ne sont pas scolarisés et même l'entrée de la loi rendant l'éducation materne et primaire obligatoire et gratuite ne leur profite pas. Il y a clairement aujourd'hui plus d'enfants Vì?ómåg?'n non scolarisés. Même si le taux de scolarisation est en nette évolution depuis plus de dix ans, les Vì?ómåg?'n ne bénéficient pas du minimum reconnu en termes d'instruction. Beaucoup de tuteurs préfèrent leur confier les activités domestiques et la garde de leurs enfants que de les inscrire à l'école. Cette situation engendre un fort taux d'analphabétisme dans le rang de ces enfants. En plus de la privation du droit à un milieu familial, les Vì?ómåg?'n à plus de 80% sont des illettrés. Toutes les études montrent l'écart entre la scolarisation des enfants Vì?ómåg?'n et des enfants ordinaires dans la société. Il apparaît que les Vì?ómåg?'n subissent un comportement discriminatoire. Cette discrimination s'observe entre la différence du taux de scolarisation des enfants biologiques des familles d'accueil et le taux général national de scolarisation des enfants confiés dans le pays. Une petite nuance mérite quand même d'être faite. Dans les zones rurales, cette discrimination à l'égard des enfants confiés est moins ressentie et la tendance générale est assez équilibrée. L'inégalité entre le taux d'instruction des enfants biologiques et les Vì?ómåg?'n dans les milieux urbains est bien connue et très bien documentée. D'autres études menées ces dix dernières années montrent aussi que, la grande majorité des Vì?ómåg?'n n'ont jamais été instruits ou ont un niveau très bas. Ce qui nous semble important à préciser est de toute évidence le taux d'analphabétisme élevé dans la population des enfants confiés ou placés au pair. Le taux de déscolarisation est aussi avancé et se justifie en général par le fait que beaucoup d'enfants ont abandonné très tôt l'école pour plusieurs raisons. Les raisons les plus connues sont le défaut de paiement de contribution scolaire lié à la situation de pauvreté des parents, le défaut lié au décès d'un ou des deux parents biologiques, le faible niveau d'instruction et de compétences des parents. À ces raisons s'ajoutent le détournement ou la perte des valeurs traditionnelles africaines et surtout la disparition de l'esprit de communauté. Cette dernière raison est à l'origine des piètres valeurs développées et entretenues par la société moderne qui bafoue le droit à l'éducation des Vì?ómåg?'n. Certains tentent d'expliquer cet état de choses par la pauvreté. Certes, le lien entre la pauvreté et l'analphabétisme des enfants est évident, mais il n'est pas pour autant une raison pour justifier la violation du droit élémentaire d'éducation garanti depuis la nuit des temps dans la société traditionnelle à tout enfant comme nous l'avions remarqué plus haut. Aujourd'hui, dans certaines consciences individuelles renforcées par les pesanteurs sociologiques, les Vì?ómåg?'n ne doivent pas aller à l'école car une fois qu'ils sont inscrits, ils leur échappent et ne sont plus malléables et moins faciles à exploiter et encadrer. Sur le plan sanitaire, les Vì?ómåg?'n sont aussi défavorisés et fragilisés par un manque de soins. La santé mentale, physique et psychologique des enfants confiés n'est plus de nos jours une préoccupation des personnes ayant à charge leur garde. L'exploitation économique par le travail des Vì?ómåg?'n entraîne des conséquences physiques et provoque des troubles psychiques importants. Au plan physique par exemple, les conséquences liées à l'exploitation sont surtout les lésions et autres blessures qui sont la marque de la souffrance que vivent les enfants placés. « Le port de charge d'un poids excessif et le travail dans de mauvaises positions sont particulièrement nocifs du point de vue de la croissance et du développement du squelette et sont à l'origine des déformations de la colonne vertébrale, du thorax et du bassin66(*) », confirment une étude des experts du BIT. D'un point de vue psychologique, les Vì?ómåg?'n ont une existence chargée de soucis et de troubles. D'abord le transfèrement dans un cadre d'accueil sans affection, amour et attention représente le premier élément de destruction des enfants placés. Le transfèrement dans une externe à leur famille d'origine, crée des stress énormes chez les Vì?ómåg?'n qui sont conscients de leur statut d'enfants dont les seuls devoirs sont d'obéir, servir et générer de revenus aux tuteurs. Ils n'ont ni droit de protestation ni de contestation. Ils ne peuvent exprimer leurs sentiments encore faire preuve de créativité. Cet état de choses provoque des bouleversements profonds chez les Vì?ómåg?'n, qui sont atteints de troubles mentaux. La plupart deviennent des marginaux, se renferment sur eux-mêmes. Ils sont révoltés et développent des situations de rancoeur très avancées. Les différents torts causés aux enfants confiés par la dérive sont à l'origine des situations de grandes criminalités que connaît la société. Les enfants placés sont les parents pauvres en matière de soins primaires de santé. Rappelons que la plupart du temps, ils sont malades du paludisme, développent des diarrhées chroniques et souffrent d'infections respiratoires aigües, sans être soignés. Il ressort de cette analyse que la situation scolaire et sanitaire des Vì?ómåg?'n est très dégradante et ne leur permet de bien grandir, d'être entourés de soins et de vivre dans l'insouciance et de s'épanouir comme les enfants biologiques des familles d'accueil. Ils sont fragilisés par le développement d'une nouvelle perception ou représentation de l'enfant assimilable à de la marchandise. La « marchandisation » des enfants dans la société de nos jours fragilise leur éducation et santé. Cette situation laisse envisager que les Vì?ómåg?'n sont en danger permanent dans la société. Les Vì?ómåg?'n ne sont pas seulement fragilisés par ces deux maux aujourd'hui dans la société. Ils le sont aussi grâce à une forme d'anomie aggravante, d'où l'idée d'une protection juridique limitée. 2- Les Vì?ómåg?'n fragilisés par l'absence d'une protection juridique Ce sous- titre aborde la question de la protection juridique des Vì?ómåg?'n et sert à évoquer la nécessité pour la législateur béninois de faire quelque chose pour ces milliers d'enfants abandonnés et oubliés de nos jours. En effet, si au Bénin, le statut juridique de l'enfant ordinaire semble être réglé et encadré aux plans pénal et civil, en matière d'éducation, de scolarisation et du travail, aucune disposition nationale au jour d'aujourd'hui ne fait état de la protection de la catégorie d'enfants pourtant fragiles et vulnérables que représentent les Vì?ómåg?'n aussi vieux que le fondement même de la société moderne béninoise. Autrement dit, le dispositif national de protection de l'enfant au Bénin ne fait à aucun moment cas de cette impressionnante population d'enfants à l'échelle du territoire national. Il n'existe aucun mécanisme de protection de ces enfants et le législateur béninois ne les a pas mis au coeur de son action de protection des enfants de la République. Nous sommes au regard de ce qui suit, en situation d'absence de normes spéciales visant à assurer une protection aux enfants placés, qui de fait sont abandonnés par l'État. En plus de cette absence de normes spéciales de protection des enfants placés, force est de constater que la pratique même de placement c'est à dire le Vì?ómåg?'n ne fait l'objet d'aucun encadrement juridique. Et les pouvoirs publics ne font rien pour remédier à cette situation et corriger cette grosse imperfection du mécanisme de protection des enfants. Jusqu'à aujourd'hui, la pratique n'est pas tout comme l'enfant Vì?ómåg?'n, régie par un cadre juridique. Les tuteurs et autres personnes en charge de l'éducation des Vì?ómåg?'n ne sont soumis à aucune règle juridique qui fixe ou détermine leurs droits et obligations à l'égard de ces derniers. Ils sont libres et peuvent agir sans crainte et sans être inquiété par la loi. Aucun dispositif ne réglemente le Vì?ómåg?'n perçu à notre avis comme une pratique d'adoption illégale malgré toute son utilité sociale. Elle ne repose sur aucun fondement juridique. Pas de procédure administrative de placement ou d'adoption d'un Vì?ómåg?'n par un tuteur, tout se développe sur la base du gré à gré entre les parents et le ou les tuteurs. À aucun moment, l'État n'intervient dans la procédure de placement des Vì?ómåg?'n. Il se tient à l'écart et ne joue pas son rôle de protecteur de l'enfant. Cette absence d'un cadre juridique qui fixerait dans un premier le statut juridique de l'enfant et déterminerait les règles de placement d'enfant dans un second temps, constitue une grave erreur, une faute lourde et pénalise voire fragilise les Vì?ómåg?'n. Cette anomie est la vraie source de la difficile situation des enfants placés au Bénin. Ce vide juridique relatif au statut du Vì?ómåg?'n et de la pratique, nous montre que la protection de l'enfant n'est pas encore une préoccupation des pouvoirs publics béninois. Alors que les différents instruments internationaux de droit affirment, réaffirment et demandent que, l'enfant en raison de sa fragilité, son immaturité et sa vulnérabilité, doit fait l'objet d'une attention particulière, les Vì?ómåg?'n sont absents voire exclus du dispositif béninois de protection de l'enfant. Sans statut juridique les Vì?ómåg?'n ne peuvent avoir la garantie de leurs droits. Or tout le monde s'accorde à reconnaître que c'est le statut juridique qui donne accès à la réalisation des droits. Sans statuts, les enfants placés ne peuvent qu'être fragilisés, maltraités, exploités et soumis très précocement au travail. Cette anomie que nous venons d'évoquer ne peut que favoriser la violation des droits de l'enfant. N'ayant pas réglé ce problème de statut juridique de l'enfant placé et encadré juridiquement aussi la pratique de confiage d'enfant, l'État va avoir recours aux mesures générales internes et internationales de protection pour tenter d'assurer un semblant de protection aux Vì?ómåg?'n. Mais malgré, le recours à ces mesures, la protection juridique et sociale des Vì?ómåg?'n reste toujours limitée. Nous reviendrons plus tard sur cette protection à travers l'analyse du mécanisme national de protection de l'enfant. Résumons nos propos pour mentionner que la dérive du Vì?ómåg?'n a des conséquences sur les droits et libertés des enfants confiés dans la société béninoise d'aujourd'hui. Elle les fragilise aux plans éducatif, sanitaire et en termes de garantie juridique. L'extrême dangerosité de la dérive a amené les pouvoirs publics sous la contrainte de la communauté internationale, à mettre en place des mesures visant à protéger les Vì?ómåg?'n et à assurer leur bien-être. C'est ainsi que plusieurs mesures ont été adoptées et plusieurs textes renforcés comme le code de travail, les lois sur la traite des enfants sans oublier les mesures sociales visant aussi à assurer la protection des Vì?ómåg?'n. Nous verrons tout ceci à travers notre deuxième chapitre consacrée à la protection des Vì?ómåg?'n au Bénin. Nous ne saurions finir ce chapitre sur la dérive du Vidomègon sans aborder les raisons ou causes de cette situation. Aujourd'hui, une réalité de fait pouvant élucider l'émergence du phénomène Vidomègon dans la société béninoise, est le passage à la modernité. En effet, le passage à la modernité a été très mal préparé, mal réussi, mal maîtrisé voire non endogénisé. Le passage à la société moderne au lendemain de l'indépendance a désorganisé l'organisation sociale traditionnelle. La communauté jusque-là garant de l'organisation sociale a été dépouillée de son rôle par le nouvel État né suite à l'indépendance en 1960 sans aucune négociation. La communauté qui assurait autrefois l'éducation et la socialisation a été dépossédée de cette immense tâche au détriment d'un pouvoir central qui n'est pas en mesure d'assurer ou de garantir aux enfants de la nation l'accès à l'éducation. Cette situation va conduire à un manque criard d'éducation dans les familles nouvelles familles surtout en milieux défavorisés. Le passage de la tradition à la modernité a aussi contribué à l'éclatement de l'esprit familial, de la solidarité et de l'entraide sociale. La communauté tout comme les parents n'arrivent plus à exercer leur autorité morale et parentale sur l'enfant. C'est toute l'idée de l'esprit de la solidarité constitutive des sociétés traditionnelles africaines qui se trouve menacée avec à la clé la désorganisation du tissu et la dislocation de la famille au sens traditionnel, lequel s'aligne désormais sur le modèle occidental. En tout état de cause, la protection de l'enfant a pris un coup et ne sera plus l'objet principal qui sous-tend le placement ou le confiage d'un enfant. Au niveau politique, il est à signaler que, l'échec des différentes politiques publiques en matière d'éducation ainsi que de la non maîtrise de la démographie, de l'urbanisation grandissante et désordonnée, a contribué en partie au développement du phénomène Vì?ómåg?'n. En gros, c'est l'échec de ce passage de société traditionnelle à une société moderne non maîtrisée qui a préparé le terrain au phénomène vu que la tradition n'exerce plus son pouvoir d'autorité. La dérive du Vì?ómåg?'n tient aussi du fait qu'au niveau économique, la situation du pays au lendemain des indépendances n'a pas été favorable à la garantie des droits fondamentaux de l'enfant. La pauvreté monétaire et humaine que connaît le pays a été un élément essentiel dans la perversion de la pratique traditionnelle d'entraide. En effet, avec un Indice de Développement Humain (IDH) des plus faibles de la planète soit 478 en 200667(*), le Bénin fait partie des pays pauvres et très endettés du monde. Parmi les 9568(*) nations en développement, le pays occupe le 80ème rang. Son économie est très dépendante de l'extérieur notamment du Nigéria et des pays occidentaux. La situation économique, financière et sociale du pays est très dégradée. Au niveau social, on constate une paupérisation des couches sociales notamment en milieux ruraux. Malgré les différents programmes d'ajustement structurel et de relance économique de l'économie nationale intervenus ces deux dernières décennies, la situation générale du pays ne s'améliore guère et s'accentue avec un indice global de pauvreté très élevé. Lorsqu'on prend isolément les familles rurales, elles sont de plus en plus pauvres et vivent continuellement dans un environnement économique aussi pauvre. Elles n'arrivent plus à faire face aux besoins élémentaires de leur progéniture à cause de l'appauvrissement des sols, du faible rendement agricole, de l'ensablement des lacs et lagunes mais aussi des fleuves. Une telle situation génère la misère et le manque de ressources financières. S'ajoutent à ces quelques éléments le manque d'infrastructures sociocommunautaires de base. En ville, la situation n'est guère reluisante. Les ménages des centres urbains sont aussi frappés par la pauvreté essentiellement marquée par un faible pouvoir d'achat auquel viennent s'ajouter le chômage et le sous-emploi. Cette situation qui ne favorise guère la situation des parents a des impacts directs sur la situation que subissent les Vì?ómåg?'n. Elle a favorisé le recours à la main d'oeuvre enfantine venue des zones rurales et déshéritées en ville. Cette attitude développée et entretenue par les citadins pour survivre va modifier le paysage béninois en matière de solidarité. Les pratiques traditionnelles et culturelles vont être simplement dévoyées dont la pratique Vì?ómåg?'n. La situation d'inertie de l'État démissionnaire et défaillant a contribué à la perversion de la pratique Vì?ómåg?'n. En effet, pendant des années l'État incapable d'assumer ses rôles d'éducation, de développement, d'aménagement du territoire, a adopté une situation de silence coupable au sujet des Vì?ómåg?'n. Pendant longtemps, le silence des autorités publiques et la complicité coupable de la société tout entière ont favorisé la perversion du Vì?ómåg?'n dont la victime principale reste et demeure l'enfant issu de famille pauvre, analphabète et déshéritée. Au final, l'échec de la modernisation de l'État moderne, son incapacité à assurer une survie aux populations, l'affaiblissement de la communauté notamment du rôle de la famille élargie, l'effondrement des valeurs traditionnelles de solidarité et d'entraide, constituent les vraies raisons plausibles de l'émergence de la dérive du Vì?ómåg?'n constatée au Bénin depuis près de vingt ans dont la cible privilégiée reste et demeure l'enfant pauvre et démuni. La dérive portée sur la scène internationale va obliger le Bénin va contraint à apporter des solutions. C'est lorsque cette dernière lui intima l'ordre d'adopter des mesures effectives de protection des Vì?ómåg?'n au risque de son exclusion de la communauté internationale, que l'État béninois va tenter de lutter contre le phénomène Vì?ómåg?'n via des mesures spécifiques complémentaires. Ces mesures ne sont pas toujours à la hauteur des espérances de la communauté internationale et nécessitent plus d'actions dans le temps. * 65 ESAM., « Étude sur le trafic des enfants entre le Bénin et le Gabon », 2000 * 66 Bureau International du Travail, « Le travail des enfants », Genève, 1980 P 40-41. * 67 PNUD, « Rapport Développement Humain Durable », 2006 * 68 PNUD, ibid, |
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