De l'art de gouverner par les lois et par la force d'après Nicolas Machiavel( Télécharger le fichier original )par Julien BUKONOD Université Saint Augustin de Kinshasa - Graduat en philosophie 2009 |
III.0. Introduction
« L'ancien secrétaire d'État de la République florentine n'a point encore oublié le langage des cours. Mais que peuvent avoir à échanger ceux qui ont franchi ces sombres rivages, si ce n'est des angoisses et des regrets ? » Nous aimerions entamer ce voyage dans le machiavélisme avec ces deux phrases de Montesquieu dont l'une est une assertion et l'autre une question posée à Machiavel dans le très célèbre dialogue de Maurice Joly, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu77(*). A en croire l'auteur, Nicolas Machiavel et Charles Montesquieu seraient descendus aux enfers après leur trépas. Et pour cause ? Leurs philosophies, sans doute ; puisque l'un écrivit Le Prince et l'autre De l'Esprit des Lois, deux traités sur le pouvoir exécutif. Cependant, comme le fait remarquer Machiavel à Montesquieu dans le même dialogue, « Qu'importe la mort pour ceux qui ont vécu par la pensée, puisque la pensée ne meurt pas ? »78(*). De fait, la pensée ne meurt pas et c'est pourquoi, même détestée, la pensée de Machiavel est toujours présente dans l'arène politique. Tout au long de ce chapitre nous montrerons comment Machiavel reste un modèle dans la politique. Il est vrai qu'aucun chef d'État n'a harangué la foule avec un discours ayant pour incipit : « comme le disait Machiavel», d'autant plus que l'auteur s'est vu associer l'adjectif péjoratif « machiavélique ». Cependant, les idées de Machiavel sont reprises d'une façon ou d'une autre par bon nombre des gouvernants. Il y en a même qui sont allés à l'extrême. Au XXe siècle, par exemple, il y a eu des dirigeants qui portèrent la pensée machiavélienne à un extrême que Machiavel lui-même n'aurait jamais imaginé78(*). Faut-il parler d'une déformation ou d'une incompréhension philosophique ? « La morale change avec les époques - disait le théoricien politique Chinois Shang Yang - elle se conforme à l'esprit du siècle, de même que les machines sont conçues pour l'usage qui en est fait »79(*). D'après Meinecke, « la dénaturation de la pensée de Machiavel en une doctrine du machiavélisme s'explique par l'oubli, consécutif au recul de la mentalité néo-païenne après le sac de Rome, du but moral de sa politique, la régénération de l'antique virtù du peuple italien (...) Le prince nouveau qui devait reconstruire l'État et restaurer ainsi l'ancien esprit romain, se trouva réduit à la figure de l'usurpateur et interprété, par la suite, à travers les catégories traditionnelles de la tyrannie »80(*). Dégager les matériaux du machiavélisme, étudier le machiavélisme en lui-même (à l'état pur), le fixer, le définir, examiner comment et en quel sens il s'est développé ou il a dévié postérieurement, ce qu'il a produit, ce qui est né de lui, quelles ont été, quelles peuvent être encore les oeuvres déçues de cette oeuvre écrite, tel est l'itinéraire que nous allons prendre dans ce chapitre où nous allons également faire intervenir quelques philosophes. Pour ce faire, nous disséquerons le machiavélisme en trois parties : le « pré-machiavélisme » ou « machiavélisme avant Machiavel », le « machiavélisme authentique » ou « machiavélisme de Machiavel », et le « post-machiavélisme » ou « machiavélisme après Machiavel ». Dans chaque période nous étudierons certains gouvernants machiavéliens ou machiavéliques, selon qu'ils ont gouverné comme l'a voulu Machiavel lui-même ou qu'ils ont déformé sa pensée. Mais tout d'abord, le concept machiavélisme.
* 77 M. JOLY, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, Bruxelles, A Mertens et fils, 1864, p. 2. 78Ibid. * 78 A propos, G. Maurin dit : « Staline et Mao Ze Dong sont sans doute, dans les moyens mis à la conquête et à la conservation du pouvoir, les deux hommes d'État les plus `machiavéliques' » (G. MAURIN, op. cit., p. 58). * 79 S. YANG, Prince, n'ayez pas de scrupule ! La morale change avec les époques, cité par N. ZUFFEREY, La Politique, in op. cit., p. 95. * 80 MEINECKE cité par M. SENELLART, Machiavélisme et raison d'État, Paris, PUF, p. 42-49. |
|