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L'esthétique humaniste des films de Walter Salles

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par Sylvia POUCHERET
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Esthétique et études culturelles 2007
  

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Poétique du dénuement, stylisation de la misère

Si Walter Salles refuse dans le choix de la photographie l'esthétique de la carte postale lorsqu'il s'agit de peindre l'environnement urbain de Rio de Janeiro, il n'en reste pas moins que ses films se caractérisent par une sophistication de l'image évidente, une esthétique soignée du cadrage où tout élément du cadre participe d'une construction symbolique, métaphorique. Ainsi, l'hyper-réalité de certains décors profilmiques a priori non esthétiques (hangars, zones urbaines désaffectées ou délabrées, intérieurs humbles) se trouvent stylisés, investis d'un sens métaphorique. Si l'on considère les premiers plans de chaque film, cette sublimation du morne, du dénuement, cette poétique de l'indigence frappe le regard comme s'ils apportaient une première caution morale, une première légitimité au discours. Dans Avril Brisé(2001) , le générique s'attarde sur l'énorme roue en mouvement d'un pressoir de canne à sucre métaphore annonciatrice d'une clôture temporelle et spatiale, de l'enferment psychologique et existentiel des personnages. Dans Central Do Brasil (1998) les flux de la population migrante s'entrecroisent dans les compartiments des trains en autant de lignes géométriques dans le cadre, soulignant par la même la vitalité d'une nation entière, le potentiel humain du pays , sa diversité géographique et sociale. Le décor de la gare centrale de Rio rappelle la condition miséreuse de ses voyageurs, mais la jouissance visuelle induite par l'intelligence du cadrage sublime l'évocation de cette humanité de laissés-pour-compte. Dans Premier Jour(1999) le décor profilmique se trouve intellectualisé jusqu'à suggérer la structure verticale de la progression diégétique. Le premier plan, référence directe à l'esthétique « trash » du Cinéma Marginal qui avait succédé au cinemanovo et à l'esthétique tropicaliste, s'ouvre sur une décharge aux abords de Rio. La caméra se focalise ensuite sur la figure obscène d'un homme nu au milieu des détritus, aboyant et se grattant l'oreille comme un chien. La métaphore appuyée de la pourriture de la condition humaine et brésilienne en incipit du film sera neutralisée par la toute dernière image empreinte de sacré où la jeune Maria sauvée de sa tentative de suicide, est montrée de profil face à la fenêtre ouverte de son appartement , baignée par la lumière du jour rédemptrice. Entre ces deux pôles l'intrigue du film aura élaboré un parcours ascensionnel au sens propre comme au figuré (annonciateur d'une forme d'utopie morale)entre les bas-fond de la prison de Rio et les hauteurs des favélas ou des immeubles bourgeois. Cette apologie visuelle de l'humble,de l'humain rendu ainsi intelligent, signifiant annonce le sérieux du propos et suscite en nous l'adhésion intellectuelle sans conditions. La figure humaine, par contraste se trouve rehaussée dans son authenticité, sa valeur fondamentale. Le pauvre apparaît comme magnifié dans sa lutte pour la survie , accédant à une densité de l'expérience humaine non pervertie par un confort matérialiste aliénant et insignifiant. Certains critiques ont dénoncé le caractère artificiel, littéraire de cette représentation sociale ayant presque pour effet pervers de rassurer les consciences sur le potentiel et la valeur morale profonde d'une classe sociale sacrifiée ici valorisée de manière démagogique et politiquement correcte.

Ceci nous amène à considérer toute la limite d'un projet cinématographique tel que celui de Walter Salles : un art qui se pare d' intentions (comme l'art engagé et sa double contrainte) ne risque-t-il pas, dans cette hybridation d'un souci esthétique et d'une cause politique ou morale, de trahir de manière bilatérale ses exigences ?

L'art doit-il être au service d'une cause politique ou morale? La confusion vient de ce que l'art peut susciter en nous une forme illusoire d'accès au bien et donc d'accès au beau, d'élévation de l'âme vers la vérité. De là à appliquer cet effet à des buts plus concrets ou impératifs, chacun saisit ici la limite de cette conception. Il nous semble que l'art ne doit rester que dans les limites d' invention formelle et n'a pas d'autres prétentions que de nous charmer intellectuellement et de susciter nos émotions. L'on pourrait toutefois comprendre la démarche de Salles comme une tentative de prise de position et non prise de parti ce qui pour Didi-Huberman58(*) représenterait la liberté artistique même. Nous avons vu toutefois que cette prise de position reflétait celle des élites brésiliennes vis à vis de la situation sociale inique dans laquelle est maintenu peuple indigent. Les films de Salles peuvent se voir comme autant de projections fantasmées d'une classe sociale sur une autre. Il ressort de cette construction cinématographique une forme de regard paternaliste compassionnel sur le pauvre alors célébré dans son humanité et son potentiel. On l'exhorte à changer sa vie par la force de ses propres ressources psychologiques (prise conscience morale et possibilité du choix existentiel) comme le suggère notamment le thème général contenu dans le sous-titre de Linha de Passe (2007) («  A vida é o que vocé faz dela », la vie c'est ce que tu en fais ).Ce ton moralisateur et prescriptif nous semble remettre en cause dans un retournement paradoxal les présupposés progressistes des films de Salles. L'on voit que la prise de position humanisme se transforme en habillage esthétique spécieux pour justifier un conservatisme de vision. Comme le souligne Paul Ricoeur59(*):

« L'artiste (...)n'exprime son peuple que s'il ne le propose pas, et si nul ne lui commande. Car si on pouvait le lui prescrire, cela voudrait dire que ce qu'il va produire a déjà été dit(...)sa création serait une fausse création (...) L' oeuvre créatrice contribue à briser l'image avantageuse qu'une société se donne d'elle-même, au prix d'une « fausse conscience » 

* 58 Didi Huberman, « Toute relation aux images se donne comme prise de position » Philosophie magazine, n°22,Septembre 2008,p.58-63

* 59 Paul Ricoeur,Histoire et vérité, Paris, Seuil,1955,p.297

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