7.7.4 Travail sur les relations
interpersonnelles
Le thérapeute devra, toujours à partir de
situations à problème concrètes, amener Mme F. à
expliquer les réactions des gens en face de ses propres comportements.
Cette démarche devra être très
pédagogique, son objectif étant de faire comprendre à Mme
F. le mécanisme des relations interpersonnelles, ce qu'elle semble
profondément ignorer.
Lorsqu'elle agresse verbalement une personne dans sa vie
professionnelle ou privée, sa seule motivation est souvent de permettre
une décharge abréactive provoquée par la colère ou
un sentiment de frustration. Elle ne tient pas compte de l'émotion et de
la réaction qu'elle va inévitablement provoquer et qu'elle
interprétera sur le mode persécutoire. Elle doit donc apprendre
l'empathie, c'est-à-dire se mettre à la place de la personne qui
reçoit le message et inférer ses réactions.
La technique sera identique à celle utilisée pour
les pensées dysfonctionnelles :
Mme F . sera invitée à évoquer de
façon détaillée un échange verbal qui
débouche inévitablement sur un conflit ou sur une réaction
péjorative, dans le cadre d'une situation récurrente.
Elle devra :
- Décrire la situation de départ et le but à
atteindre par l'échange
- Décrire l'échange
- Décrire la réaction de son interlocuteur et le
but réellement atteint
- Dire pourquoi, selon elle, son interlocuteur a réagi
ainsi
Le thérapeute devra ensuite l'amener à se poser les
questions suivantes :
- Que lui ais-je dit exactement ?
- Que voulais-je dire en fait ?
- Quel était le vrai but à atteindre ?
- Si j'étais à sa place et dans sa situation,
comment aurais-je reçu le message?
- Comment aurais-je réagi ?
- Quel message, mieux adapté au vrai but à
atteindre, aurais-je pu transmettre ?
- Comment aurait-il alors réagi ?
- Mon but aurait-il été mieux atteint ?
Ce travail devrait permettre à Mme F. de mettre
automatiquement en place un système de pensées alternatives mieux
adaptées, et surtout un réflexe de pensée anticipative
avant de s'engager dans une interaction conflictuelle.
Mais le plus souvent, ces relations conflictuelles sont
déclenchées non pas par des cognitions, mais par des
émotions.
L'étape suivante (ou simultanée) de la
thérapie va concerner l'accroissement du contrôle
émotionnel.
7.7.5 Accroissement du contrôle
émotionnel
Cette phase deviendra indispensable lorsque le thérapeute
va aborder des situations chargées d'affect et provoquant chez Mme F.
des réactions stéréotypées échappant
à toute logique et dictées par l'émotion.
C'est le cas de tous les conflits qu'elle a eu avec son dernier
compagnon lorsqu'il recevait ses enfants pendant les vacances ou les week-ends.
La même situation s'est renouvelée des dizaines de fois, avec le
même résultat pour elle : la colère, la rage froide,
la frustration, une extrême angoisse d'abandon et le sentiment de
vide.
Ici, la simple pédagogie ne sera pas suffisante et ces
situations ne pourront pas être travaillées directement.
Les situations les plus récentes concernent les relations
de Mme F. avec son dernier compagnon, et surtout avec ses enfants. Mme F.
considère ces derniers comme des « mauvais objets »
et projette sur eux ses pires sentiments (calculateurs, menteurs, espions,
moqueurs, intéressés, etc.). Il est réellement
étonnant de l'entendre prêter au plus jeune (âgé de 8
ans au début) des sentiments d'adulte pervers et manipulateur, sa
plainte revêtant alors une forme quasi dissociative.
La première étape consiste à affaiblir la
pensée dichotomique de Mme F., alimentée en permanence par ses
mécanismes de clivage des « bons » et
« mauvais » objets.
Beck préconise dans ce domaine la méthode
« du continuum », qui consiste à classer les
personnes, les choses, les émotions, etc. évoquées par le
patient en fonction du sentiment qu'elles lui inspirent. Il est invité
à évaluer la place de l'objet sur une échelle dont les
bornes sont représentées par les sentiments extrêmes
(confiance/défiance, peur/réconfort, plaisir/déplaisir,
etc.) susceptibles d'être éprouvés face à cet
objet.
Lorsque par exemple Mme F. évoque la fourberie d'un
enfant, le thérapeute pourrait l'inviter à travailler sur ce
sentiment et situer ce dernier entre deux pôles : de la fourberie absolue
à la franchise parfaite, en lui faisant prendre conscience qu'en fait il
existe une juste moyenne et que les valeurs extrêmes sont difficiles
à définir et encore plus à rencontrer chez un humain,
aussi "mauvais" soit-il. La maïeutique socratique sera ici encore un bon
outil thérapeutique pour diriger la réflexion de Mme F. sans lui
imposer les réponses.
Si l'exercice est systématiquement appliqué lorsque
Mme F. émet une pensée dichotomique ou un jugement excessif, ce
processus appris d'évaluation pourra à terme devenir automatique
et s'insérer avant le déclenchement du comportement
inadapté accompagnant en général une telle
pensée.
Ce travail se fait en faveur de la thymie de fond.
La seconde étape consiste à travailler sur les
émotions elles-mêmes.
Beck ne conseille pas les exercices susceptibles de provoquer une
abréaction. Il propose d'interroger fréquemment les patients sur
leur état émotionnel. Souvent, les patients état-limite
ont du mal à définir la nature de leurs émotions
(uniquement bonne ou mauvaise), et ces interrogations régulières
et répétées peuvent créer des repères et les
amener à une meilleure prise de conscience. De plus, une réaction
sereine et bienveillante du thérapeute, même devant des
émotions négatives violentes, créera un climat de
tolérance qui facilitera l'acceptation de ces émotions par le
patient qui les redoute. La meilleure identification des émotions et
leur acceptation feront baisser la charge d'anxiété et
permettront progressivement un meilleur contrôle émotionnel.
Une fois que Mme F. sera capable d'identifier et de
maîtriser les émotions qui la submergent à la simple
évocation de situations passées douloureuses, le
thérapeute pourra commencer le même travail que pour les
pensées dysfonctionnelles et les relations interpersonnelles,
c'est-à-dire l'analyse détaillée de ces situations,
l'identification des processus sous-jacents et la prise de conscience de leur
récurrence, pour aboutir à l'adoption de pensées et
comportements alternatifs.
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