III/ Stratégies de
communication utilisées par les agro-éleveurs.
De l'analyse du discours des
agro-éleveurs, il se dégage deux sortes de stratégies
d'information et de communication sur la TAA. Ce sont des stratégies
individuelles et des stratégies collectives. En effet, il faut admettre
de prime abord que la demande d'informations relatives à la TAA est une
demande individuelle. Par conséquent, chaque agro éleveur tente
de trouver l'information par des initiatives personnelles avant de recourir aux
autres. Ce recours individuel consiste à se référer
à ses propres connaissances sur la TAA. L'expression utilisée par
la majorité pour mettre en relief cette stratégie est
« se consulter ». Comme l'affirme un jeune
enquêté alphabétisé et vaccinateur local
délégué à la gestion d'un grand troupeau
familial : « quand un de nos boeufs tombe malade du sumaya,
je fais les traitements moi-même en me servant de ce que je connais sur
cette maladie ». De même, ajoute un jeune
enquêté, analphabète et propriétaire de petit
troupeau : « quand mes boeufs tombent malades, je traite
moi-même. Mais, si c'est grave, je vais voir le
vaccinateur ». Enfin, déclare un jeune interviewé
scolarisé et formé : « avant, je me
renseignait sur le sumaya chez les vétérinaires à Orodara.
Mais, depuis que j'ai reçu la formation, je me base sur
ça ». Elle est fondée sur l'individu et ses
propres connaissances sur la santé animale. Il reste à savoir que
la quête de l'information n'est pas permanente à travers cette
stratégie, car il faut attendre que l'animal tombe malade pour
« se consulter ». Or, ce n'est pas tous les jours
que les animaux tombent malade. Ce qui implique une rareté d'occasions
d'information sur la TAA susceptible de biais dans la communication pour une
meilleure gestion de la TAA qui se veut permanente.
En outre, il y a la stratégie individuelle qui
consiste à « consulter » un
intermédiaire comme s'expriment les
enquêtés : « La dernière fois que
mon boeuf est tombé malade du sumaya, je me suis renseigné sur
les méthodes de lutte chez mon frère » affirme un
vieil agro éleveur, analphabète et propriétaire de petit
troupeau. Aussi, renchérit un jeune agro éleveur
propriétaire de petit troupeau et analphabète :
« Quand, mon boeuf de labour que tu vois là-bas
s'immobilisait pendant les labours, je me suis renseigné avec mon voisin
de champ. Et il m'a dit ceci «va voir le vaccinateur car ton boeuf souffre
du sumaya» ». « Depuis que je travaille avec
le Projet, je prends régulièrement mes informations sur la TAA
avec ceux que nous avons choisi pour être formés par le
Projet » affirme un jeune agro éleveur scolarisé
et délégué à la gestion du troupeau familial. De
plus, déclare un jeune agro éleveur propriétaire de petit
troupeau et vaccinateur formé : « Avant, je me
renseignais sur le sumaya avec les vétérinaires». Pour
un vieil agro éleveur analphabète : « j'ai un
peulh qui suit mon troupeau. C'est lui qui me renseigne de temps en temps sur
ces maladies là ». Enfin, de l'avis d'un vieux,
propriétaire de grand troupeau et marchand de bétail :
« mon troupeau est suivi par le vétérinaire bien
avant l'arrivé du Projet. Il me conseille d'observer bien mes boeufs et
si quelque chose ne va pas de le prévenir le plutôt
possible ».
Tout comme la stratégie qui consiste à se
« consulter soi-même », le recours aux
autres est adopté par tous les agro-éleveurs sans distinction
sociale. En effet, jeunes comme vieux ; alphabétisés comme
analphabètes ; propriétaires de grand troupeau comme
propriétaires de moyen et petit troupeau ; chefs de famille comme
personnes déléguées consultent un intermédiaire
pour se renseigner sur la TAA. Les intermédiaires vont des parents aux
vétérinaires en passant par les voisins, les peulh et les
vaccinateurs villageois. Dans les discours des enquêtés, les mots
« frère, voisin de champ, vaccinateur, peulh et
vétérinaire » désignent les
intermédiaires. Partant de là, il se dégage un
itinéraire d'information et de communication intimement lié
à leur itinéraire thérapeutique individuel qui consiste
à essayer d'abord avec ses propres connaissances avant de recourir
à une tierce personne. Ce qui semble s'inscrire dans une logique
culturelle des individus face à leurs problèmes personnels. Comme
dans bien d'autres domaines de la vie sociale, il y a une prédisposition
mentale chez chaque individu à rechercher l'autosatisfaction à
partir de ses propres forces et faiblesses. Du reste, dans le cas de
l'automédication en santé humaine Roger Zerbo a montré que
cette prédisposition mentale est un fait culturel qui favorise
l'automédication. A ce titre, il écrivait
ceci : « Sur le plan culturel, il y a une
prédisposition mentale voilée mais favorable à
l'autosatisfaction. L'individu cherche d'abord à se prendre en charge,
à résoudre ses problèmes personnels avant de faire appel
à une tierce personne. L'homme mobilise d'abord ses ressources et ses
compétences personnelles pour satisfaire ses besoins. C'est en cas de
difficultés que l'on fait appel à un soutien extérieur, il
en est de même pour les problèmes de santé »
(Roger Zerbo ; 2002, p 121).
A l'opposé, il se dégage des stratégies
collectives. Elles sont entreprises par la société globale comme
affirment les interviewés : « Quand, j'ai besoin
d'une information quelconque du sumaya, je me réfère au
délégué qui va en chercher chez les
vétérinaires » affirme le président des
éleveurs du village de M'bié. « Nous obtenons nos
informations sur le sumaya au sein de notre groupement »
renchérit un autre président de groupement. Enfin, déclare
le président des éleveurs de Diéri :
« quand il y a une information concernant le traitement des
animaux, je me promène de porte en porte pour informer les gens ou bien
je convoque une réunion du bureau au cours de laquelle j'informe les
autres, qui se chargerons de passer l'information de quartier en
quartier ». Cette stratégie qui est en voie
d'émergence est déterminée par la participation de
l'individu à la vie de la société. En la matière la
province du kénédougou dispose de nombreux regroupements sociaux
à savoir les groupements villageois, les associations, les tons, les
sociétés sécrètes, les confréries et les
groupes d'entraide culturale. Véritables relais de communication et
lieux de dissémination des informations, ces différentes
Organisations de la Société Civile (OSC) jouent un rôle
important dans la diffusion des informations vétérinaires. Car
lorsque le chef ou le président des éleveurs reçoit une
information vétérinaire, il la transmet aux responsables des OSC
pour informer leurs membres respectifs.
Ce qui s'inscrit dans leur stratégie de gestion
communautaire de la communication à savoir la communication
dirigée par le chef du village dont il faut se référer
à leur système général de communication pour mieux
saisir les logiques sociales qui les sous-tendent. Selon les propos des
enquêtés, il semble que cette stratégie est inscrite dans
leur système social d'information et de communication. En
témoignent les propos suivants émis au moment des
entretiens : «Je me promène de porte en porte pour
informer les gens pour la plus part ou bien je convoque une réunion de
bureau pour informer les autres, qui, à leur tour se chargent de passer
l'information de quartier en quartier » ; déclare un
vieux agro éleveur, analphabète et président de
groupement. « Avant on se déplaçait de concession
en concession au son du tam-tam pour informer les gens. Maintenant j'utilise un
vélo, un microphone et un haut parleur pour informer les
gens » disait un jeune griot, analphabète.
« Par les amis aussi on obtient des informations »
ajoute un vieux enquêté scolarisé et responsable
administratif. Enfin pour le chef de village de Dieri :
« dès que j'ai une nouvelle, j'envoie un enfant appeler le
griot, c'est son travail ». Au-delà de cette forme de
gestion collective de la communication qui transparaît à travers
ces discours, il se dégage une diversité de modes d'information
et de communication à savoir : « le
porte-à-porte ; le bouche-à-oreille; les assemblée
villageoises ; les réunions de bureau ; le conseil
des anciens et autres rencontres ». Ce qui correspond
à la pluralité des circuits d'information qui existent dans les
différents villages investigués.
Certes, par la consultation des prestataires de services et
la participation à la vie de la société, les
agro-éleveurs obtiennent des informations sur la TAA. Mais cela comporte
des biais dans la mesure où les personnes consultées sont en
majorité des non professionnels ayant des connaissances limitées
sur la gestion de la TAA et l'utilisation des trypanocides. De plus, la forme
dirigée de la communication par le chef du village a ses avantages dans
une société où la cohésion sociale est forte et
l'autorité politique du chef reconnue et respectée par tous.
Mais, serait-elle efficace dans des sociétés comme celles des
Sénoufo, Siamou, Toussian ou Samogho où le chef jouit d'une
autorité morale en tant que gardien des traditions et des
coutumes ? Certainement pas, car soumis à la loi des ancêtres
et au pouvoir des coutumes au même titre que ses sujets, le chef a
très peu d'influence sur la décision des individus. Ainsi, il ne
dispose d'aucun instrument de coercition sur les individus en dehors des
coutumes. Or, il ne peut pas s'en servir pour des fins personnelles.
D'où, le chef peut servir de relais en matière de communication
pour le changement de comportement en faveur de l'utilisation rationnelle des
trypanocides. Il peut servir d'exemple en tant que leader de la
communauté mais il ne peut obliger un individu à décider
contre ses propres intérêts.
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